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Autoportrait au miroir du prisonnier

Publié le par Carole

On pouvait visiter aujourd'hui l'ancienne maison d'arrêt de Nantes, fermée il y a deux ans, et actuellement investie par un groupe d'artistes avant sa prochaine démolition.
Je m'étais toujours demandé, en longeant les hauts murs emperruqués de barbelés, comment on vivait là-dedans. Et j'ai vu.
La cage à folie du "mitard".
 
ancienne-maison-d-arret---le-mitard.jpg
 
Les cellules sombres aux fenêtres grillées, minuscules, où paraît-il on logeait à trois ou à quatre. Les oeilletons au couvercle tordu rouillé souillé d'avoir été tant de fois retourné sur le vide.
 
ancienne maison d'arrêt - oeilleton
 
La cour humide où l'on tournait en rond comme pauvre Lélian, une heure par jour et sans soleil. Les noms gravés sur les murs sourds, en lettres profondes comme la rage. Les dépouilles étranges des "missiles", ces objets interdits jetés de l'extérieur, restés pendus aux barbelés comme cadavres à leur gibet.
 
les missiles
 
Et cette empreinte enfoncée dans le sol de la salle de sport... quel bond il avait fait, quelle énergie il avait mise à sauter, et comme il était lourdement retombé, celui qui l'avait laissée là, sur le lino usé.
 
ancienne-maison-d-arret---empreinte-salle-de-sport.jpg
 
Dans l'une des cellules ouvertes aux visiteurs, j'ai fait mon autoportrait au miroir fêlé :
 
ancienne maison d'arrêt autoportrait-copie-1
 
Qu'il serait différent, ce monde si violent, ce monde si cruel, si chacun pouvait se regarder au miroir auquel l'autre se voit. Le criminel au miroir de sa victime. Le juge au miroir de son condamné. Le prisonnier au miroir de son gardien. Et le passant au miroir de tous ceux qui derrrière l'oeilleton purgent leur vie perdue.
Ce qui pourrait nous sauver du mal, ce n'est pas la sévérité, pas davantage la douceur. Non, ce qui pourrait nous sauver, c'est l'imagination. Seulement l'imagination, soeur jumelle de compassion.
 
 

 

Publié dans Nantes

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Juste avant le mot "FIN"

Publié le par Carole

santons.jpg
 
C'est un soir dans la ville. Un soir comme tous les autres. On passe dans la rue remplie de figurants et de décors banals.
Et soudain cette image sur l'écran qui tremblote. Une très vieille femme qui s'affaire à ranger. Juste avant le mot "FIN".
C'est un soir dans sa vie. Un soir pas comme les autres. Car c'est le dernier soir. La boutique est à vendre. La boutique est vendue.
La femme ne nous regarde pas. Elle a tant de travail. Toute une vie à trier à mettre dans son ordre. Santons vieillots figurines oubliées visages effacés. Et ces livres de comptes qui paraissaient si lourds mais qui tombent en poussière. Se hâter tout ranger dans les cartons sans fond de la mémoire qui flanche. Puis tirer le bilan comme un rideau de fer. Avant de refermer la porte.
Il vient toujours, ce soir-là, dans une vie - le soir, le dernier soir, si longtemps redouté, si longtemps attendu sur la pellicule un peu floue.
On tourne tant de films, et toujours ce mot "FIN" sur la dernière image.
 

Publié dans Fables

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Magie des commencements

Publié le par Carole

commencements---Houdin---Poulain.jpg
  Blois - rue Porte-Chartraine
 
 
À chaque rentrée scolaire, nous allions "chez Labbé". C'était alors une petite librairie perchée autour de ses escaliers tremblants, et tenue par de vieilles personnes empressées. Nous achetions des cahiers Clairefontaine que je choisissais toujours bleus, et des crayons Caran d'Ache pour peindre avec les doigts. Puis nous passions au comptoir prendre livraison des manuels de l'année, que l'ennui pâlirait bientôt, mais qui sentaient encore le papier frais glacé et l'encre de septembre.
Dans la rue Porte-Chartraine, en sortant, je levais toujours les yeux vers ces deux plaques bizarrement jumelles. Quel mystère pouvait donc bien unir le prestidigitateur et le chocolatier, pour que le destin ait choisi de les loger à leurs débuts à la même enseigne de banalité, dans la même maison grise ? Était-ce grâce au magicien qui l'avait précédé que les modestes étals du jeune confiseur avaient pu bâtir brique à brique ces usines miraculeuses qui répandaient sur la ville entière leur chaud parfum de chocolat ? Comment était-il possible qu'Auguste Poulain, ce monsieur si malin qui distribuait des images aux enfants et qui avait fait construire derrière la gare un château de magicien à tourelles, ait pu un jour habiter cette vieille demeure sombre ? Était-il vraiment imaginable, en outre, qu'un prestidigitateur en chapeau haut de forme ait pu se présenter au monde sous l'apparence d'un nourrisson vagissant ? Par quelle magie inexplicable et délectable tant de métamorphoses avaient-elles pu avoir lieu, et prendre naissance ici, précisément icidans cette maison ?
Serrant tout contre moi mes livres et mes cahiers au parfum de rentrée, attendant dans la rue ma mère qui bavardait avec les dames libraires, j'interrogeais les inscriptions. Car il y avait là-haut dans ces mots en miroir quelque chose... quelque chose qui me semblait bien terni et plus mort qu'une pierre tombale, mais dont je percevais pourtant très vaguement l'importance vivante, quelque chose qui se murmurait comme un secret presque effacé sur les vieux murs, et qui s'alliait mystérieusement au papier tendre des cahiers neufs, aux crayons bien taillés et rangés dans leur boîte, et même aux lourds manuels qu'on n'avait pas encore recouverts de cet impitoyable kraft qui allait tout gâcher. Quelque chose que je ne comprendrais que bien plus tard, quand je l'aurais perdu...
    Magie des commencements. 
 

Publié dans Blois

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Derrière le grillage

Publié le par Carole

maison-rue-alfred-Halloux.jpg
 
C'est elle. Non, ce n'est pas elle. 
On disait "la maison de la rue Alfred-Halou". Tout près du cimetière, posée contre les rails de la ligne Paris-Hendaye, elle n'était pas bien belle, elle n'était pas bien riche. Mais c'était "la maison de la rue Alfred-Halou". Mes grands-parents y ont longtemps vécu avec leurs cinq enfants.
Le jardin était rempli de glaïeuls. Une balançoire s'en allait dans l'air bleu, chargée de jeunes filles. Le linge claquait au vent sur le grand fil à linge, saluant les trains qui passaient en sifflant. 
C'était au temps où mon grand-père était chef de section à la gare de Blois toute proche. Où ma grand-mère avait des cheveux si noirs qu'on les aurait cru bleus. Et où je babillais, toute petite fille et poupée de mes tantes.
 
Maintenant on construit et on exproprie. On mure et on barbèle. Il faut bien que les choses se fassent. 
Elle n'est plus sur les plans qu'un problème à résoudre, la maison de la rue Alfred-Halou. 
 
Et, pâles, amaigris et fragiles, derrière le haut grillage, les souvenirs se massent et nous regardent, silencieux et grisâtres comme des prisonniers.

 

 

Publié dans Enfance

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Doute

Publié le par Carole

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Blois - rue du père Monsabre - octobre 2014
 
 
Il me plaît que ce soit justement ici qu'on ait installé cette étrange "fondation du doute". Car c'est à cet endroit, à cet endroit précisément, que se situe mon premier souvenir.
Je me vois toute floue mais c'est moi. Moi, ce moi toujours bien moi qui perdure dans le temps sans que jamais j'aie pu comprendre pourquoi il lui a fallu si souvent changer de visage et de voix. Montant ces marches grises qui me semblent si hautes. Tenant la main de ma jeune tante si blonde - celle qui dessine des Pierrots et des clowns, celle qui ne vieillira jamais, celle qui doit mourir et rester toujours jeune mais qui ne le sait pas, celle qui est si jolie et si gaie sous ses boucles. Elle me conduit là-haut, nous sommes seules immobiles au milieu du grand escalier, toutes deux côte à côte en équilibre sur les marches du temps. Je ne sais pas ce que nous faisons là, je ne sais de ce jour plus rien que cette image vague, mouvement arrêté sur la pellicule de mémoire.
C'est une image si difficile à lire, une image presque enfuie qui ressemble à ces photographies minuscules et pâlies que développe mon grand-père. Une image embuée de doute, où tremble l'avenir comme une boucle blonde.

 

 

Publié dans Enfance

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Romans de Toussaint

Publié le par Carole

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Cimetière de Blois
 
Souvent, à la Toussaint, en visitant ses propres morts, on visite un peu aussi, dans le vieux cimetière, en voisins, les inconnus des tombes anciennes qui s'écroulent.
On déchiffre les noms, on observe les dates à demi effacées, on compatit, on sourit ou on s'interroge, comme si on lisait un récit presque éteint venu d'un autre siècle. En peu de mots se tracent des existences que le présent livrait au hasard, mais que la mort a changées en destins - ou en romans, puisque tout roman est un destin posé sur le hasard des vies.
Thérèse... André... une jeune mère, un enfant emporté peu après... c'était en ces années où sévissait la tuberculose. On tourne lentement les pages de l'histoire sanglotante de ces jeunes vies souffrantes, de la douleur du veuf laissé tout seul...
Et là, ce chevalier qui a laissé son heaume, résolument tourné vers l'ouest, sous cet étrange bateau de granit retourné, quelle aventure a-t-il voulu commémorer ? Quel destin de conquistador ou de don Quichotte ? Hélas, la visière du grand homme ne s'ouvre plus que sur la pierre...
 
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On marche, on lit, on se raconte ces existences inconnues. On leur tend au passage un brin de cette éternité fragile qui ne dure que le temps du récit. Peut-être nous en sont-ils reconnaissants malgré tout, les pauvres morts bien oubliés ?
 
Les vieux cimetières sont des romans aux centaines de tomes-tombes, récits fanés-rouillés-brisés de tant de vies perdues. 
Page à page le temps les feuillette, les ternit, les recouvre, et bientôt les efface - comme tous les romans.

 

Publié dans Blois

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Eventail

Publié le par Carole

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Grue Titan - anciens chantiers navals de Nantes - 30 octobre 2014 - 18 heures 07.
 
 
Il y a des lieux qu'on a vus si souvent qu'on ne les voit plus, des lieux qu'on ne songe même plus à regarder. Et puis, soudain, alors qu'on passait distrait comme à l'habitude, on lève un instant les yeux – juste un instant, sans y penser – et on s'arrête, émerveillé, fasciné, stupéfait. Car tout est là, tout, bien à sa place. Les couleurs et les ombres. Les verticales et les horizontales. Les obliques si nettes et la résille effilochée des arbres d'automne. Les bancs de nuages ondulant sur leurs vagues de couchant, et l'oiseau minuscule épinglé au grand ciel. Même ces mots, absurdes jusqu'alors, posés tout en bas du tableau dans leur coin d'ombre, comme une signature de maître – "Cale 2 créateurs".
Voilà que le paysage banal se déploie devant nous somptueux et parfait, comme un éventail ouvert dans la main du soir. Juste un instant. Et c'est si déchirant de le voir se refermer, indifférent à sa propre perfection, dans la nuit et l'écroulement des lignes, à l'instant même où on était enfin capable de le regarder.
 

Publié dans Nantes

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La voie

Publié le par Carole

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J'ai sous les yeux le catalogue de l'exposition "Hokusaï" qu'on peut voir en ce moment au Grand Palais.
Et ce qui me bouleverse, ce n'est pas seulement de constater l'incroyable richesse et la perfection surhumaine de cette oeuvre, c'est surtout de pouvoir, image après image et page après page, grâce à l'organisation chronologique qui a été si justement choisie, suivre tout doucement la "voie" empruntée par le maître.
Elle nous est presque étrangère, à nous impatients Occidentaux, cette notion de "voie", pourtant c'est l'une des clés qui pourraient nous ouvrir, si nous savions la tourner et la retourner, les portes innombrables, transparentes et opaques, solides et coulissantes, de l'ancienne pensée japonaise. Tout ce qui demande savoir ou savoir-faire s'apprend selon le "dô", la "voie", et il y a une "voie" pour les peintres et les calligraphes aussi bien que pour les guerriers et les femmes de la bonne société apprenant à nouer l'obi des kimonos ou à préparer le thé.
Comme tout chemin, la "voie" a d'abord été tracée par les pas de milliers de prédécesseurs. Et, comme tout chemin, elle va d'étape en étape. Ainsi, le peintre s'engageant dans la voie apprend lentement son métier, suivant son maître. Lorsqu'enfin il franchit la première étape, le premier "dan" qui lui permet de s'approcher du maître, il lui est loisible de changer de nom, car la voie est un chemin toujours double : comme un arbre mobile dont les racines accompagnent le feuillage, elle chemine à la fois dans les réalisations visibles de celui qui la suit et dans les profondeurs invisibles de son être.
Puis, parvenu un peu plus loin sur la "voie", le peintre atteint la seconde étape, celle qui fait de lui un maître à son tour. Il change encore de nom, et il reprend le chemin qui ne peut s'arrêter. Il lui faut atteindre l'étape suivante, et la suivante encore, pour avancer, d'étape en étape, juqu'au dernier "dan". Là seulement commence l'autre chemin, celui qui mène à l'inconnu. Et seul peut l'atteindre le maître qui a vécu assez vieux pour s'être plusieurs fois dépouillé de son nom, comme un mince serpent changeant de peau jusqu'à se faire dragon. C'est pourquoi Hokusaï, estimant qu'il n'avait commencé à comprendre son art qu'à l'âge de soixante-treize ans, a exprimé le souhait en apparence insensé de vivre au moins cent-dix ans afin que "point ou ligne, tout soit vivant" dans ce qu'il tracerait. Et c'est en effet dans ses années d'extrême vieillesse qu'on voit son art se libérer, tenter toutes les expériences, tous les renouvellements, toutes les folies de la vie bouillonnante.
Ainsi, alors qu'en Occident, à la même époque, de jeunes artistes se chargeaient comme des géants de frayer seuls et d'un coup des avenues nouvelles, au Japon le vieux maître avançait sur son étroite voie, à petits pas de nain, attendant le grand âge pour s'élancer en titan là où s'effacent toutes les routes.
 
Dans la dernière oeuvre qu'on connaisse de lui, réalisée alors qu'il avait probablement quatre-vingt-neuf ans et se faisait appeler Gakyō Rôjin Manji, "le vieux fou de peinture", un dragon s'envole dans le ciel sur le dernier tronçon insaisissable du chemin, ce nuage noir sinuant qui conduira peut-être au néant, peut-être à l'infini. Peu importe. L'essentiel est que son corps vertigineux se confonde exactement avec le tracé de l'encre. Ou inversement. A moins que ce ne soit encore le contraire.
 
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Publié dans Japonisme

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Le fil de l'âme

Publié le par Carole

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Broderie de Mitsuko Uesugi exposée au festival "Samouraï" - Nantes, château des ducs, 26 octobre 2014
 
 
Derrière la vitre, deux grues de soie dans le ciel du Japon. Et sur la vitre le reflet des pavés de la vieille demeure des ducs de Bretagne.
Tous les fils colorés du ciel de là-bas se retissant aux flaques de granit du sol grisé d'ici.
 
C'était hier "o-matsuri" au château de la reine Anne où l'on avait organisé un festival japonais en soutien aux victimes de Fukushima. Et l'on pouvait admirer, parmi les chants, les danses, les représentations de kabuki et les combats de samouraïs, d'incroyables broderies, réalisées par une Japonaise de 107 ans, Mitsuko Uesugi. 
Il paraît qu'elle a commencé à broder à 94 ans, et que depuis elle n'arrête plus de tendre ce fil qui s'étire comme sa vie, tressant des oiseaux, des déesses et des nains, tout un peuple de soie naissant somptueux et vivant de ses vieux doigts mourants.
 
Ainsi, parfois, dans le corps épuisé d'un vieillard qui s'efface, grandit l'âme neuve et légère d'un artiste nouveau-né. 
 
 
La brodeuse de là-bas avait lancé jusqu'ici, sur le fuseau tourbillonnant du monde, le fil fragile de son âme d'artiste, et c'était beau de le voir s'enrouler jusqu'à nous comme un toton d'éternité.
Il suffirait, se disait-on, que le fil vole léger de vie en vie, qu'il ne rompe jamais, qu'il s'en aille sans fin tournant
de main en main
et d'âme en âme
pour rhabiller le monde
le triste monde où l'on meurt où l'on hait
de sa parure secrète de sa parure première
de sa parure de fête.
 
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 Broderie de Mitsuko Uesugi exposée au festival "Samouraï"
Nantes, château des ducs, 26 octobre 2014
 
 
 

 

Publié dans Nantes

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Portes de craie

Publié le par Carole

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L'échafaudage était habillé d'une vaste tente, sur laquelle on avait redessiné le bâtiment comme un décor de théâtre. 
A peine si l'on distinguait encore la poignée luisante, et la forte serrure, de la porte de bois qui menait, derrière la fragile muraille de toile, aux coulisses du chantier, peuplées de poutres, de passerelles métalliques et de rudes ouvriers à l'ouvrage. 
On recouvre ainsi désormais de grands voiles baroques les bâtiments en travaux des beaux quartiers, pour cacher l'effort si méprisé des travailleurs de l'ombre. Mais la porte... la porte qui toujours mènera de l'apparence à son envers, il faut bien qu'elle s'ouvre quand même quelque part, même à peine, n'est-ce pas ?
 
Cette porte de bois plantée dans son dessin m'a rappelé un conte inverse - exactement inverse -, lu autrefois dans un vieux livre que j'avais emprunté à la bibliothèque de mon école-,  l'un des premiers que j'aie lu, à moins que je ne l'aie rêvé.
Il y était question d'un bonhomme qu'on avait dessiné à la craie. Il prenait vie dans le dessin qui l'avait jeté sur le papier, puis il s'emparait à son tour de la craie oubliée par le dessinateur. Muni de cette craie, il s'avançait hardiment dans le monde qu'on appelle réel. Et, chaque fois qu'il rencontrait un mur, avec sa craie, tout simplement, il ouvrait une porte dans ce mur. Il s'en allait ainsi, de mur en mur, ouvrant toujours des portes que son avancée refermait, traversant sans fin les rudes parois de ce monde et sans fin se heurtant de nouveau à elles.
Il m'est aujourd'hui impossible de me souvenir de la façon dont finissait l'histoire. Peut-être à la fin le bonhomme de craie se fracassait-il sur un dernier mur, ultime rempart du réel venant à bout du rêve ? Je ne sais pas. Je ne me souviens que de ces portes de craie s'ouvrant sur les murs sombres, et qui se refermaient derrière lui, l'obligeant à ouvrir encore, dans les murailles qui s'épaississaient, des portes toujours nouvelles et toujours plus fragiles.
Le livre me fascinait, je le lisais et le relisais, essayant d'en approfondir le mystère, dessinant moi-même à la craie, sur tous les murs qui se heurtaient à mon élan, des portes étroites et bancales qui refusaient de s'ouvrir. Et je réessayais toujours, incapable de me résigner, brisant ma craie sans force sur ma petite ardoise d'écolière maladroite.
J'avais dû le deviner, que le bonhomme à la craie était une métaphore de l'artiste, ce travailleur maudit, condamné à dessiner et redessiner sans fin les portes d'illusion qui pourraient mener de l'autre côté des murailles, tandis que derrière lui les remparts se referment, inexorablement indifférents à son effort.
 
place vendôme travaux.psd

 

Publié dans Enfance

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