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Ikebana

Publié le par Carole

ikebana
 
Ikebana, c'est la voie des fleurs. L'un des chemins qui mènent à l'accomplissement de soi, dans la contemplation du monde.
Le vieil homme qui était venu hier nous parler de l'ikebana, et qui avait composé pour nous ce bouquet, n'était pas japonais, mais après des années d'apprentissage auprès de maîtres japonais, il était devenu lui aussi un maître. Le bouquet était très beau, avec ses fleurs et sa tige d'asperge représentant le ciel, la terre, et l'humanité qui se tient entre terre et ciel. Mais ce n'est pas du bouquet que je voulais parler. Non... en fait, je voulais vous raconter une histoire :
 
Lorsqu'à la fin de la séance quelqu'un a osé demander au maître pourquoi, n'étant pas japonais, il avait consacré sa vie à l'ikebana, il a d'abord paru un peu hésitant. Puis il s'est lancé : autrefois, a-t-il dit, il était simple employé dans une jardinerie, et il était vraiment fatigué de son métier, fatigué de sa vie toute entière, qui lui paraissait vide.
Un jour il s'était rendu chez une de ses clientes âgées, qu'il connaissait depuis longtemps. Ils s'étaient mis à bavarder et il avait parlé de ce grand vide en lui. La femme alors lui avait révélé qu'après avoir connu une autre vie sans fleurs, elle était devenue maîtresse dans l'art de l'ikebana, qu'elle enseignait désormais. Elle lui avait proposé de l'initier à son tour et il était devenu aussitôt son disciple. Bientôt, il avait entièrement oublié son existence antérieure de marchand de végétaux, et il n'avait plus songé à rien d'autre qu'à se rendre au bout du monde, dans l'ignorance et la pauvreté, pour apprendre cet art de l'ikebana, dont il ignorait tout jusqu'alors.
La vieille cliente n'était pas celle qu'il croyait. Les fleurs n'étaient pas ce qu'il avait toujours vu en elles. Lui-même n'était pas non plus celui qu'il croyait devoir être toujours. Il avait eu d'un coup cette triple révélation, et il avait trouvé sa voie : la voie des fleurs, ikebana. 
 
Sa voie, chacun peut bien finir par la trouver. Mais pour cela il faut oser prendre l'autre chemin, fût-il de ronces et de cailloux, et laisser derrière soi les pétales morts de sa vie antérieure, comme un serpent laisse sa vieille peau. 
Pour accomplir sa vie, savoir quitter sa vie. Ou bien plutôt avoir un jour la force de la cueillir enfin, dans le pauvre jardin de ses échecs et de son ennui, pour en faire ce bouquet, dressé dans le triangle du ciel, de la terre et de l'humanité, qui cherchera la voie, un peu plus près de la lumière.

Publié dans Fables

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Aquarelle

Publié le par Carole

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La pluie sur le pare-brise repeint la rue d'ici en aquarelle fine.
Le vent trempe ses doigts sur la palette en joie d'un peintre échevelé.
 
La pluie fait son Monet, le temps fait son Sisley.
Dans chaque goutte d'eau tremble un impressionniste.
Il nous pleut des musées comme des giboulées.
 
L'art au coin de la rue pose son chevalet, mendiant sans parapluie.

 

Publié dans Fables

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Retrouvailles

Publié le par Carole

    Elle n'aurait jamais dû. S'inviter comme cela, elle aurait dû se douter qu'il ne fallait pas.
    Il y a des choses qui ne se font pas. Et aussi des choses qui font que ce qui ne se fait pas finit par arriver.
    Car, franchement, elle aurait tellement préféré que rien n'arrive.
 
   Pourtant, quand elle était descendue du train, à V., le vendredi soir, et qu'elle était sortie de la gare, elle avait immédiatement senti son coeur battre. Tout au long du chemin, elle avait pensé : c'est la ville de Patricia. Patricia habite ici. Patricia... Et elle avait regardé autour d'elle, attentive, vibrante, comme si chacune de ces femmes qu'elle croisait dans les rues avait pu être Patricia. Patricia... Il y avait si longtemps qu'elle ne l'avait pas vue. Mais comment aurait-elle pu oublier Patricia ? [...]
 
Suite du récit sur mon blog de nouvelles cheminderonde.wordpress.com

 

Publié dans Récits et nouvelles

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Dans la rue avec don Quichotte

Publié le par Carole

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La voiture était garée très sagement. Une voiture ordinaire dans une rue banale. Et ces deux là soudain, surgis comme des ombres, sans ride ni raison...
 
Don Quichotte, je le savais, que tu n'avais jamais abandonné. Que tu allais toujours, à pied, à cheval, en mule, ou en voiture, vers tout ce qui ne peut s'atteindre, et qui pourtant doit nous conduire.
Mais qu'on ait pris la peine de poser ton image, silhouette aussi minuscule qu'éternelle, sur la carrosserie banale d'une voiture ordinaire, cela m'a donné, je ne sais pourquoi, l'impression que nous pourrions encore, laissant là nos automobiles et nos villes épuisées, nous tous, Sancho passants de ce monde en déroute, avancer près de toi, au grand pas des rêveurs qui ne va nulle part, vers... oui, vers... vers quoi au juste ? 
 

Publié dans Fables

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Marelle

Publié le par Carole

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Qui donc avait dessiné cette étrange marelle ? On aurait cru une échelle de soie menant tout droit vers le ciel bleu à travers les nuages du beau temps. Une marelle d'adulte, sans doute, jolie, sentimentale, insignifiante. Pas une marelle d'enfant.
 
Je m'en souviens. Je m'en souviens très bien... En ce temps-là de l'enfance, c'était tout autre chose, une marelle, c'était un jeu très grave, dans la cour de récréation de ma petite école. 
On dessinait les cases à la craie, nef et transept, comme à l'église. On les numérotait, on traçait au chevet un grand rond pour le ciel, puis, à regret – mais c'était la règle, c'était la loi – on inscrivait au centre un cercle plus petit qu'on appelait l'enfer, grillé de traits comme une geôle. Quand tout était fini, on lançait le palet, on sautait à pieds joints. Un deux trois la terre. Quatre cinq six le ciel. Attention l'enfer. Le trajet était lent, méthodique et cérémonieux. Et quand on parvenait enfin, tout au bout du parcours, tout près, tout près, si près du ciel, toujours on frissonnait en jetant le dernier caillou... s'il allait, ce caillou trop léger qui devait nous tracer le chemin, s'il allait, oublieux de tant de soins, s'égarer capricieux dans ce cercle grisé, accroupi comme un sphinx, où se tenait l'enfer ?
Elle était dure, elle était rude, la marelle d'alors, elle enseignait qu'il peut suffire d'un geste, d'un seul mouvement maladroit du poignet, d'un seul jet de pierre du destin, pour que le lent parcours accompli sur la terre, pour que le ciel promis à nos efforts, d'un coup brutal, imprévisible, insurmontable, se renversent à jamais en enfer.
 
C'est très sérieux, les jeux d'enfants. On y apprend la vie. Et la mort aussi. On y apprend le succès. Et l'échec qui menace. La patience. L'imprudence. Et la loi. C'est très sérieux, l'enfance.

 

Publié dans Enfance

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Le candidat

Publié le par Carole

    Si on avait demandé à Géo Dubeaussage pourquoi il s'était inscrit au bac, à quatre-vingt-six ans passés, alors qu'il était pensionné de l'Etat, et qu'il n'avait plus, en fait de curriculum vitae, qu'à s'occuper de celui qu'il allait bientôt devoir fournir à Dieu... il n'aurait pas bien su quoi répondre. 
    Il y avait tant de raisons qu'au fond, il n'y avait plus de raison.
   Si quelqu'un lui avait demandé pourquoi, contre tout espoir et à son âge, il s'était inscrit au bac... quelqu'un... disons, par exemple, ce journaliste du Phare, assis là, en face de lui sur le canapé [...]
 
Suite du récit à lire sur mon blog de nouvelles cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

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Les échasses

Publié le par Carole

échasses 1
      Fête de la musique - 21 juin 2014
 
 
Au solstice d'été où l'année se retourne, on fête la musique comme on fêtait autrefois Carnaval. On joue, on danse, et la vie de nouveau chante sa note juste.
Hier soir c'était extraordinaire, d'un seul coup, dans la rue, de voir surgir, précédant un groupe de tambours, cet Africain perché sur ses échasses immenses comme un danseur dogon. Sur ses poteaux de bois si hauts, si lourds, si dangereux, il dansait, il sifflait, il courait, avec l'aisance d'un jeune dieu. 
Peut-être qu'au matin il ramassait quelque part des poubelles, peut-être qu'il transpirait sur un chantier, peut-être qu'il vendait des foulards dans la rue. Mais au soir, dans la fête, il était un géant magnifique entraînant derrière lui la foule.
Il était enfin devenu un autre.
Il était enfin devenu lui-même.
 
 echasses-3.jpg

 

Publié dans Nantes

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Quelque chose de Sarajevo

Publié le par Carole

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Hôtel de la Duchesse Anne - Nantes 
 
 
Le soir où il a brûlé, les rues voisines se remplissaient de cendres chaudes, comme à Pompéi.
De vieilles gens se racontaient les bombardements de 43, que la fumée leur rappelait.
Il flottait sur l'été commençant comme un parfum de ruine et d'agonie.
Les arbres du jardin des plantes faisaient non de la tête, en hennissant dans le vent brûlant.
Le feu grimpait aux poutres des charpentes comme un animal fou.
Cela grondait et frémissait d'une colère ancienne, d’un souffle de volcan et de guerre.
La clarté du couchant s'est prolongée dans la nuit jusqu'à l'aube du lendemain.
 
Il est resté près du château ce grand corps vide et blanc, ce grand squelette séché au feu, aussi mort et aussi immortel que la duchesse en sabots.
Portes murées, parois recouverts de suie et de tags, et, tout là haut, dans les feuillages art-déco épargnés, comme à la cime d’un grand pommier foudroyé, l’enchantement de ces balcons, nids de béton pour les anges, et la merveille de ces fenêtres ouvertes tout grand sur le ciel.
 
Château de Belle au bois brûlé, depuis dix ans endormi, hésitant entre mourir et vivre, entre défaite et renaissance.
Et c'est bien comme cela. Il faut qu'il y ait dans une ville un petit coin de Pompéi. La mémoire des désastres, la certitude de la fragilité. Quelque chose de Sarajevo. 

 

Publié dans Nantes

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Victor Hugo si j'te croise dans la rue...

Publié le par Carole

   Le ver luisant dans l'ombre erre avec son flambeau.
Le vent fait tressaillir, au milieu des javelles,
Le brin d'herbe, et Dieu fait tressaillir le tombeau.
 
Victor Hugo, Crépuscule
 
 
     Il paraît que certains lycéens ont peu apprécié d'avoir eu à commenter pour le bac le poème "Crépuscule" de Victor Hugo.
    Il paraît même qu'on a beaucoup "twitté" en sortant de la salle d'examen. Et, bien sûr, en cette période où le bac fait l'actualité, on a pu lire en "une" des journaux du lendemain quelques messages étranges....
 
  tweet Hugo -1
 tweet Hugo -2
 
    Un abîme, n'est-ce pas, entre la poésie des tweets et celle du grand Victor ?
   Pourtant, faut-il qu'il soit vivant, encore, le vieil Hugo, pour qu'on lui donne, en 2014 et en verlan, le conseil amical et sans orthographe d'éviter les "sujets qui fâchent", ou de ne pas traverser trop ingénument la rue...
   Je ne serais pas étonnée que, du fond de sa tombe, il nous tweete en réponse quelques mots aiguisés sur la lame de Saltabadil, qu'un brin d'herbe rougi au crépuscule du solstice notera, magistral, en 140 caractères, sur les marges d'une copie égarée.
 

Publié dans Fables

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Promenade

Publié le par Carole

aiguille départ 5
        Nantes - Site des Fonderies de l'Atlantique - 18 juin 2014
 
 
On a rhabillé en jardin exotique la fonderie fermée. Agaves et cactus étirent dans la limaille leurs lames et leurs pointes. Des badauds se promènent, admirant les yuccas, parmi les machines muettes, pensives comme des dieux éteints. On a logé sous les piliers des jeux pour les enfants, une piste de skate, quelques bancs d'amourettes
Il n'y a pas si longtemps, pourtant, qu'ici le fer coulait comme la lave, dans un fracas d'éruption. 
Que des ouvriers transpirants versaient le métal en feu dans des moules en forme d'hélices de navires.
En l'an 2000 encore.
 
Sous les hauts plafonds de métal ajourés de palmiers, les skateurs vont et viennent. Mais la vieille aiguille arrêtée dans sa rouille ne reviendra plus jamais sur l'encoche du départ.
 
Devant la vieille halle éventrée relookée réhabilitée, sur le mur de graff officiel et municipal, un peintre a signé crûment sa fresque :
 
chômeur sans expérience
 
Un jeune sans doute, un sans X-périence, un anonyme, un X, vie rayée par les statistiques. Peut-être le fils d'un ouvrier d'ici qui n'aurait pas coché les bonnes cases à l'école, et qu'on aurait laissé pourrir avec le Clemenceau.
 
Au rez-de-chaussée du grand immeuble neuf qui ombrage la halle d'un profil de Babel, un restaurant s'est installé. A la terrasse on boit et on bavarde dans le soleil de juin, sans prendre garde à la poulie très noire paralysée au-dessus d'une fosse enherbée.
 
Soudain un homme dit, très fort : "Et hop ! voilà, d'un coup, comme ça !"
 

Publié dans Nantes

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