Le fil de l'âme
Broderie de Mitsuko Uesugi exposée au festival "Samouraï" - Nantes, château des ducs, 26 octobre 2014
Derrière la vitre, deux grues de soie dans le ciel du Japon. Et sur la vitre le reflet des pavés de la vieille demeure des ducs de Bretagne.
Tous les fils colorés du ciel de là-bas se retissant aux flaques de granit du sol grisé d'ici.
C'était hier "o-matsuri" au château de la reine Anne où l'on avait organisé un festival japonais en soutien aux victimes de Fukushima. Et l'on pouvait admirer, parmi les chants, les danses, les représentations de kabuki et les combats de samouraïs, d'incroyables broderies, réalisées par une Japonaise de 107 ans, Mitsuko Uesugi.
Il paraît qu'elle a commencé à broder à 94 ans, et que depuis elle n'arrête plus de tendre ce fil qui s'étire comme sa vie, tressant des oiseaux, des déesses et des nains, tout un peuple de soie naissant somptueux et vivant de ses vieux doigts mourants.
Ainsi, parfois, dans le corps épuisé d'un vieillard qui s'efface, grandit l'âme neuve et légère d'un artiste nouveau-né.
La brodeuse de là-bas avait lancé jusqu'ici, sur le fuseau tourbillonnant du monde, le fil fragile de son âme d'artiste, et c'était beau de le voir s'enrouler jusqu'à nous comme un toton d'éternité.
Il suffirait, se disait-on, que le fil vole léger de vie en vie, qu'il ne rompe jamais, qu'il s'en aille sans fin tournant
de main en main
et d'âme en âme
pour rhabiller le monde
le triste monde où l'on meurt où l'on hait
de sa parure secrète de sa parure première
de sa parure de fête.
Broderie de Mitsuko Uesugi exposée au festival "Samouraï"
Nantes, château des ducs, 26 octobre 2014