Cela amuse toujours, au Jardin des Plantes, ces canards qui vont à la file, au pas de l'oie et à la queue-le-loup, bons moutons de Panurge.
Ils ne savent pas où ils vont, mais y vont tous ensemble.
Leurs plumes apeurées frémissent au vent qui passe, alors ils marchent vite derrière celui qui marche.
Ce monde est bien obscur, mais ils pensent y voir clair, en suivant le derrière de celui de devant.
Si la pente est glissante, ils sauront la descendre, puisqu'ils sont tous ensemble,
jusqu'au néant comme un seul
homme.
Banc'al
Je l'ai vu au Jardin des Plantes.
Oh, certes, il n'aurait pas cassé trois pattes à un canard. Faisant le pied de grue, il attendait sur ses béquilles, incertain, vacillant.
Il était né pour ramper sur le sol, après tout, dans la boue et la paix, et voilà qu'il lui était poussé, au lieu d'une griffe de lézard, ce grand pied de statue qui voulait qu'il s'élève.
Nain affligé d'une patte de géant, il ne savait qu'en faire.
Banc'al - comme tant d'autres - il n'avait reçu du destin que ces dons incomplets qui nous font trébucher avant même d'avoir pris notre élan.
Danger
Le danger...? pas de danger qu'il nous écrase, n'est-ce pas. N'est-il pas solidement ligoté ? Maîtrisé, encerclé, ceinturé. Muselé par les lois et les règlements, surveillé par toutes les polices, en quarantaine éternelle dans les grands hôpitaux de la raison. Sous contrôle, on vous dit, en rouge et noir féroce et laid, solidement menotté dans les geôles obscures de la violence et des passions mauvaises.
Le danger ? Tout le monde sait ce que c'est, le danger. On s'y connaît, on sait le tenir à distance. Pas de danger qu'on s'y laisse prendre, au danger.
Et puis.
Et puis voilà qu'il vient à nous, tout doux, mâchant son brin de joie. Tendre comme un printemps, charmant comme l'insouciance, avenant comme un jour de vacances.
Et puis voilà qu'il vient à nous, tout doux, mâchant son brin de joie. Tendre comme un printemps, charmant comme l'insouciance, avenant comme un jour de vacances.
Beau compagnon de route de nos petits bonheurs, plaisantin obligeant qui soudain, alors qu'on croyait encore lui sourire,
aux trois coups du destin,
de tout son poids de mort
nous
assomme.
L'éveil
Un an déjà. Un an. Cela avait été si soudain, si incompréhensible, que cela n'était peut-être jamais réellement arrivé.
Il y avait un an pourtant. Exactement. Comment pouvait-il en être aussi certain, puisque cela n'avait pas eu lieu ? Un an ? Cela ne voulait rien dire, un an, puisque le temps ne passait plus et que tout s'était arrêté. [...]
Suite du récit à lire sur mon blog cheminderonde.wordpress.com
Coeur rouge sur mur gris
C'est un enfant qui passe il dessine en rêvant
Son propre coeur qui bat comme une fleur de sang
Petit coeur sur le mur goutte de sang trop rouge
Brave coeur souriant qui veut chanter sa vie
Petit coeur sur le mur bouclier du bonheur
Beau pétale d'espérance sur la page du gris
Gommette d'illusion humble goutte d'amour
Que la pluie tout à l'heure fera sans y penser
Tomber en jet de sang sur la flaque de boue
Des promesses blessées des grands mots déchirés
C'est un enfant qui rêve il ne peut pas savoir
Que le vent sur les murs efface chaque soir
Avec ses manches noires et ses mains de crachin
Le tableau du matin où s'épelait l'espoir.
Cueillir l'obstacle
Toujours il surgit quelque part pour briser ton élan.
L'obstacle.
Sous tes doigts qui luttaient, et qui croyaient toucher
le bleu dont on forge les clés,
cette morsure soudain, cette douleur fichée :
le clou de fer aigu de la réalité.
Qu'importe s'il fait mal et s'il te fait saigner,
ne va pas l'éviter,
avance loin tes doigts vers ce qui les déchire.
Car l'obstacle, l'obstacle, l'impitoyable obstacle,
il te faut le cueillir comme une épine vive.
Puis le laisser grandir comme une écorce rude
et t'en envelopper dans le froid et la faim.
L'enfiler comme un gant sur ta peau écorchée,
jusqu'à ce qu'il devienne enfin
ta propre main.
L'éphéméride (réédition revue)
Dans ma cuisine, chaque début d'année, j'accroche un de ces petits calendriers qu’on appelle des éphémérides – vous savez bien : à chaque jour correspond un feuillet, qu’on arrache à mesure.
Quand un jour est achevé, bien mort et oublié, il faut arracher la page, et passer à la suite. Le calendrier, d'abord si épais, si bien carré sur sa nouvelle année, de jour en jour maigrit, maigrit, maigrit, impitoyablement, et au 31 décembre, hop, c'est fini, il suffit de déchirer la dernière page, de jeter aux ordures le petit squelette de carton, et de fixer au clou une autre éphéméride - toute neuve et fraîche.
Mais moi, non... je n’arrive pas à arracher les pages – le calendrier reste la plupart du temps comme il est, bloqué au 5 janvier quand nous sommes au 9 février, par exemple... Et, quand enfin je me décide..., les pages arrachées, je ne parviens pas à les jeter. Jamais. J’en fais un petit tas tremblant que je dépose sur le sommet du réfrigérateur où il se couvre lentement de poussière. D’année en année les petits tas s’accumulent et s'écrasent là-haut, gris et las, châteaux de jours frangés de sale qu'effondre la marée du temps. Et je ne me résous jamais - je ne dis pas même à m'en débarrasser - mais simplement à remarquer que la poussière y fait son nid, et l'araignée tous ses festins.
Pourtant, je m’en souviens très bien, lorsque j'étais enfant, mes grands-parents de Guéret accrochaient eux aussi dans leur cuisine une éphéméride, illustrée des dessins humoristiques et des piteuses plaisanteries de l’almanach Vermot - qui me semblaient, en ce temps-là, aussi spirituelles et distrayantes qu'une page de ce Journal de Mickey auquel ils m'abonnaient chaque année.
Les jours s'inscrivaient en chiffres énormes et rouges sur les feuilles très minces, si agréables à chiffonner. Je m'amusais à les réduire en boules minuscules et compactes, ainsi que je le faisais pour les emballages de bonbons, avant de les jeter comme du grain dans la corbeille à papier.
C’était un tel plaisir pour moi chaque matin d’arracher la vieille page et de découvrir la nouvelle.
Arracher les pages usées avec le mépris qu'on a pour les vieux jouets cassés, rire un instant de la journée qui s’annonçait, puis chiffonner pour l'oublier le chiffre rouge des jours éteints, c’était alors une si pure joie...
Page blanche du Nouvel An
Feuille des jours
L'année se tourne
Et puis retombe
Avec ses ombres
Et ses soupirs
Et ses sourires
Ne crains pas ce qui change
Ouvre la page blanche
Prends la plume et commence
Pour que tout recommence
Car de ta main
Tu l'écriras
Tu le créeras
Cet avenir
Qu'on ne peut lire
Mais qui est tien.
Que 2016 soit une belle page de votre vie !
Meilleurs voeux à tous !