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La maquette

Publié le par Carole

À monsieur Richard Lejeune

 

    Je ne vous la montrerai pas : elle a depuis si longtemps disparu. Perdue dans on ne sait quel déménagement. Dans cette indifférence inéluctable qui réduit peu à peu à un petit tas de poussière impalpable les bagages des morts.
 
    C'était un petit morceau de bois sculpté que ma grand-mère avait sorti d'un tiroir, histoire de m'amuser, un jour de pluie d'ennui de je ne sais pas quoi faire.
    Au début on ne comprenait pas. Puis on distinguait les murs, les toits, les bornes, le muret des jardins, la porte basse des maisons, la porte haute des étables. Tout un monde ciselé qui dormait dans le bois, et qu'il fallait suivre très lentement, avec sa paume tiède, pour en éveiller le détail tout vivant.
    Mon arrière-grand-père Noël avait réalisé, peu avant de mourir, cette maquette qui représentait sa rue, sa vie, ce qu'il voyait de sa fenêtre. Quand il ne quittait plus la rue où il marchait à petits pas, quand il ne vivait plus sa vie qu'à la fenêtre, quand il ne voyait plus qu'avec ses mains sculptant le bois.
    Je l'ai tenue entre mes mains, je l'ai maniée comme un jouet. Mais je savais bien que c'était autre chose. Tout à fait autre chose. Quelque chose dont je pouvais seulement comprendre que je le comprendrais plus tard. Beaucoup plus tard. 
 
     C'était un petit morceau de bois sculpté. 
    C'était comme ces objets si finement dessinés que les pharaons emportaient avec eux dans leurs pyramides, et qui devaient représenter leur vie pour qu'elle puisse continuer. 
   Et lui, mon arrière-grand-père Noël, était entré dans la mort en nous laissant sa maquette. Comme on laisserait derrière soi son regard.
 

 

Publié dans Enfance

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Noir et blanc, blanc et noir

Publié le par Carole

Noir et blanc, blanc et noir

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Noir et blanc. Blanc et noir.
Droite et gauche. Gauche et droite.
Bure et plumes. Plumes et bure.
Rude et tendre. Tendre et rude.
Bons voisins. En damier.
Au balcon. Font la paire.
Différents. Vont ensemble.
Sous le vent. Se ressemblent.
Même vie. Même toit.
Comme toi. Comme moi.
L'un et l'autre. L'autre et l'un.
Compagnons.
Nom de nom !
Noir et blanc, blanc et noir

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Publié dans Fables

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More living

Publié le par Carole

More living

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Au château de Blois, il y a aussi ce tableau, si extraordinaire, dans sa naïveté de vitrail : c'est une représentation, par un élève d'Antoine Caron, de la décapitation du grand Thomas More, l'inventeur du mot "utopie", qui avait eu le courage de s'opposer à Henry VIII.
Le peintre a montré simultanément deux moments bien distincts : celui de la marche au supplice, où le philosophe agrippé par un de ses disciples s'arrête devant nous, bien vivant, puis le moment de la décapitation, où déjà il s'engage dans la mort. Et ce qui est remarquable, c'est que la scène où il se tient vivant et aimé est placée au premier plan, tandis que celle de sa mort s'efface tout au fond, presque indéchiffrable et irréelle, tant les silhouettes du bourreau et de sa victime y sont minuscules et décolorées.
Et c'est vers le vivant, d'abord, vers celui que le disciple retient parmi les hommes, que s'en vont les regards. Chacun pose en passant sur lui un peu de son reflet, que la vitre retient pour un instant sans prix.
 
Il est toujours vivant, l'Utopiste, le vieux peintre naïf ne s'y est pas trompé, il ne peut pas vraiment mourir, n'est-ce pas, l'Utopiste, tant nous avons encore besoin de lui.
More alive. More living than ever, n'en déplaise aux puissants de ce monde.

Publié dans Blois

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Le mouvement perpétuel

Publié le par Carole

     C'est sa fille qui m'a téléphoné.
    Pas lui. Sa fille. Bredouillait une histoire absurde. Son père, disait-elle, son père, un vieil homme de quatre-vingt-douze ans, avait mis au point une invention. Une invention de très grande portée. Une sorte de mouvement perpétuel... un engrenage qui... un mécanisme que... elle ne savait pas bien expliquer... mais son père, lui, me dirait, il m'expliquerait, me montrerait, me convaincrait...
    D'habitude, quand on reçoit ce genre d'appel, on cherche une manière polie d'éluder. 
   Je vous rappellerai madame... bien entendu sans faute... dès que j'en aurai le temps... laissez-moi votre numéro... je suis très occupé ces temps-ci je vous contacterai... 
    Evidemment on ne donne pas suite. Evidemment. [...]
 
Récit à lire sur mon blog de  récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

 

Publié dans Récits et nouvelles

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Pourquoi nous l'aimons

Publié le par Carole

  Château de Blois - Portrait d'Antonietta Gonsalvus par Lavinia Fontana, 1583
Château de Blois - Portrait d'Antonietta Gonsalvus par Lavinia Fontana, 1583

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Ici, à Blois, nous l'aimons tous. Antonietta.
Elle est notre Joconde, qui nous sourit derrière sa vitre, dans tous les reflets du château.
Fille velue d'un père velu, on l'avait offerte à un roi, qui en avait orné sa cour, comme d'une curiosité rare digne de vivre dans le luxe et la soie. Elle était gracieuse et savante, elle avait un minois ravissant de chat ou de petit oiseau, un beau visage de jeune fille. 
On vous apprendra aujourd'hui qu'elle souffrait d'hypertrichose, une maladie génétique exceptionnelle. Au XVIe siècle, on voyait en elle une jeune sauvage, une soeur du Sigismond de La Vie est un songe, un petit animal merveilleux, transformé par l'éducation et le raffinement en une jeune beauté de cour. Si elle avait vécu plus tôt, on l'aurait sans doute tuée. Si elle avait vécu plus tard, on l'aurait exposée pour faire rire, dans un Barnum quelconque, avec tous les freaks de ce monde. Plus tard encore, on l'aurait opérée, épilée, normalisée — ou cachée.
Pour Lavinia Fontana, qui était elle-même une curiosité de cour – femme-peintre, quand il n'y avait dans le métier que des hommes –  et qui l'a peinte avec un respect délicat et un talent profond, elle fut tout simplement ce qu'elle devait être : Antonietta.
 
Ce qui est à la fois fascinant et apaisant, dans ce portrait, c'est non seulement qu'Antonietta soit si belle, mais qu'elle nous regarde et nous parle avec tant de confiance et de simplicité, nous tendant cette lettre qui contient son histoire. Tout est bien, nous dit-elle, tout est beau. Tout est en ordre, puisque je suis si près de vous, que je vous parle et que je vous regarde. Vous êtes humains puisque je suis humaine, moi qui aurais pu être un monstre, puisque je suis parmi vous, semblable à vous, telle que Lavinia m'a vue, telle enfin qu'en moi-même.
Et c'est parce qu'elle nous parle si doucement, si délicatement, si simplement, de la beauté, et de l'humanité, que nous l'aimons tous ici tellement, notre Antonietta.
 

 

Publié dans Blois

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Un arbre

Publié le par Carole

Blois - Forêt de Russy
Blois - Forêt de Russy

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C'est février, c'est hiver et c'est gris, c'est boueux, c'est si froid... on se promène, comme il convient, en forêt de Russy. Voilà qu'on aperçoit, de l'autre côté du chemin, un drôle de champignon... une crinière de feuilles, crépue comme un grand lierre, sur son pied de vieilles pierres.
On s'approche, évidemment.
Et bientôt on comprend. C'est un puits qui vit là, enraciné dans la clairière, un vieux puits sonnant l'ombre derrière ses grilles-rouilles, qui frémit dans le vent comme un arbre d'hiver.
On se penche pour voir, écartant le feuillage. On découvre enfin cette plaque à demi effacée :
Un arbre

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Il avait dix-sept ans, il s'appelait Bernard, il était éclaireur, il menait les Alliés perdus dans la forêt.
C'était un jeune de Molineuf ou de Saint-Nicolas, peut-être un élève du lycée Augustin-Thierry, qui savait mal l'anglais et connaissait les bois.
Il était fier d'avoir été choisi, il avait dix-sept ans, il était FFI, il marchait d'un bon pas, avançant vers demain, comme font les gamins quand ils jouent les héros. Jusqu'à la ville il marcherait ainsi, petit Poucet glorieux, à enjambées de dix-sept ans.
Soudain, parties de derrière la margelle, ces balles en rafales... ces soldats qui s'enfuient vert-de-gris... Il n'a pas eu le temps de se jeter dans les buissons, il est déjà tombé en arrière dans la boue. Son sang à flots s'en va dans l'herbe en source noire se mêler sous la terre à l'eau sombre du puits, aux larmes de sa mère. C'est fini. Il aura pour toujours dix-sept ans. Ses os vieilliront toujours jeunes, et son corps sans aimer sèchera dans la boue.
 
Il y en a partout, hélas, à chaque carrefour, à tous les détours du chemin, de ces bribes d'histoires, de ces tragédies de la guerre où la mort cabotine.
 
Mais un oiseau vient boire à la flaque de sang
une graine dans l'ombre agrippe tous ses ongles
et le temps doucement sur la trace du mort
plante un jardin de nids
et la plaque de bois se blottit dans la haie
pour écrire le mot paix avec les pierres de craie
de la margelle usée
du puits qui va profond
jusqu'au coeur de ce monde
chercher la vie
la vie qui va
comme l'oubli
la vie qui bat
comme un récit
la vie qui aime
comme un homme
 
pour qu'elle grandisse
et s'enracine
 
comme un arbre
sur le noir
 
comme un bouquet
pour après
 
comme un gamin
dans le matin.
 

Publié dans Blois

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La source

Publié le par Carole

     Cela se passe dans mon petit village. Un village plein de sources et de ponts, où partout frémit l'eau dans ses herbes et ses vieux saules têtards.
    Cela se passe au temps d'avant le temps, quand les saints couraient le monde et en redessinaient la forme [...]
 
Suite à lire sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

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Le soldat sur la route

Publié le par Carole

Il y a en ce moment au château de Nantes une exposition rare : on y montre les remarquables gravures de guerre réalisées par Jean-Émile Laboureur entre 1914 et 1918, pendant les années qu'il a passées "à l'arrière".
On le lui a bien reproché, en son temps, cet "arrière-plan" confortable qui fit de lui un spectateur.
L'exposition présente même la lettre très joliment tournée du bec qu'un corbeau de 14 adressa à l'état-major pour faire tomber l'artiste de son nid dans la boue des tranchées:

 

Le soldat sur la route

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Pourtant, j'ai rarement vu regard plus juste que ce regard du graveur "planqué", refusant l'héroïsme avec toute la vaillance des déserteurs-nés.
Qu'il observe, comme Prévert, les soldats innocents et coupables, au tir forain s'offrant eux-mêmes comme des cibles.
Jean-Emile Laboureur - "Tir forain"
Jean-Emile Laboureur - "Tir forain"

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Ou, plus profond encore, qu'il nous montre ce simple soldat s'en allant sur la route.
Seul, à la lisière maigrelette d'un désastre rageur, avançant sans détourner le regard sur l'étroit chemin de sa vie, sans savoir si mais avançant, parce qu'il n'y a rien d'autre à faire qu'à aller voir ailleurs quand tout flambe, il m'a mieux fait comprendre le "voyage" de Céline, sur cette route mince et rêche comme une corde qui ne mènera qu'à la nuit, mais qu'on s'obstine à tenir jusqu'à la dernière culbute et le dernier fossé.
Il semble bien naïf, l'ami Apollinaire, dans son bel uniforme. Surtout bien conformiste.
Il en faut du courage pour préférer la vie, dans la foule des héros. 
Il en faut, de la force, pour avancer, solitaire et léger, du côté des vergers, quand le monde veut gronder.

 

Jean-Émile Laboureur - "Le soldat sur la route", eau-forte, 1914
Jean-Émile Laboureur - "Le soldat sur la route", eau-forte, 1914

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Publié dans Nantes

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Exécution

Publié le par Carole

     La foule attend, bruyante et impatiente. Des enfants crient, des femmes âgées se sont assises à terre. On attend, on bavarde, on téléphone, on mange. Une pyramide de nougats tremble dans un nuage de guêpes. Le marchand d'escargots fait ses affaires. [...]
Suite du récit à lire sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

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Lire ?

Publié le par Carole

Charles Dantzig - Pourquoi lire ?
Charles Dantzig - Pourquoi lire ?

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En dégustant ce livre de bon cru, qui n'est pas, qui ne veut pas être un recueil de maximes, mais où tout tend, irrésistiblement, à se cristalliser en maximes et sentences, je me suis souvenue que c'est une particularité notable de tous les ouvrages récemment consacrés à la lecture, que leurs auteurs s'expriment en moralistes disséqueurs de nos vices.
Sur tout autre sujet, on écrit des traités, des dictionnaires, des ouvrages instructifs, argumentés et détaillés, ou bien des romans, des poèmes, des pièces et des scénarios.
Pour parler de la lecture, plus d'autre chemin possible, désormais, semble-t-il, que le chemin de traverse, fouetté d'orties cinglantes, de la maxime.
Sans doute parce que, comme le dit Charles Dantzig lui-même, la maxime est une "cartouche" (de gros sel, cum grano salis) que l'auteur tire sur nous pour secouer notre indifférence, et qu'on ne peut plus aujourd'hui parler de la lecture autrement qu'en chasseur caustique d'idées reçues, dans un monde si entièrement marchandisé qu'il croit avoir tout annexé - même elle ? - à son matérialisme léthargique.
Mais, puisque le destin des maximes, aussi aiguës soient-elles, est toujours de venir se loger, comme des bonbons dans leur boîte, dans les cases élégantes des anthologies, je vous ai préparé un petit assortiment des maximes de bon poids que j'ai trouvées dans ce livre, malicieusement offert par un grand lecteur à tous les lecteurs, grands et petits, que nous sommes. Prenez sans crainte et savourez, c'est aussi sucré que salé :
 
"La littérature, et en particulier la fiction, est une forme d'analogie. Ou, plus précisément, une des formes de compréhension par l'analogie." (p.12)
"Un livre n'est pas fait pour les lecteurs, il n'est même pas fait pour son auteur. Il est fait pour être." (p. 27)
"Lire est un acte grave qui isole. Je dirais même qu'on lit pour s'isoler." (p.91)
"Lire ne sert à rien. C'est bien pour cela que c'est une grande chose. Nous lisons parce que ça ne sert à rien." (p.241)
"La meilleure raison de ne pas lire, la voici : pour réfléchir. Car enfin, tout le temps que nous lisons, nous sommes comme le serpent devant le flûtiste." (p.239)
 
Toutes les raisons de ne pas lire, en somme, qui sont les vraies raisons de lire...
 
En refermant le livre, je me suis souvenue de la bibliothèque du Nautilus, où Nemo a rassemblé tous les livres qui comptent, à jamais enfermés avec lui dans l'espace clos du sous-marin. 
C'est là, enfant, que je rêvais de lire. Embarquée. Sans retour. Tout à la fois plongée dans l'océan du monde et séparée de lui par la vitre des pages. Et toute ma bibliothèque, je ne l'ai bâtie, livre à livre, que pour la déménager, un jour, à bord du Nautilus
Le seul endroit où la lecture aurait vraiment pu s'accomplir n'existe donc que dans un livre.
Et voilà une autre raison de ne pas lire qui est, au fond, l'ultime raison de lire.
 

 

Publié dans Lire et écrire

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