Il y a tant de raisons d'écrire en jaune sur une porte rouge : "chat noir". et si peu de motifs pour inventer une "journée du chat".
... Or j'apprends qu'aujourd'hui - qui est déjà hier - était "la journée du chat"...
Cela me plaît, au fond, ce clin d'oeil si félin, futile et ronronnant, tout à fait souriant, à tant de pompeuses "journées de" - journées à particules, fournées à certitudes -, qui bousculent et déroutent les vieux saints du calendrier, ces manants démodés.
"Journée de la femme"," journée de la gentillesse" ou "journée du climat", tout est bon, peu importe, pourvu que chaque jour nous pensions tous ensemble ce qu'il faut que l'on pense pour être de son temps.
A chaque jour sa bien-pensance et sa bonne pensée.
Aux lendemains l'indifférence et l'oubli médiatique.
C'est ainsi.
En ce monde pressé, tout gronde et tout menace, et des volcans s'échauffent partout où nous dansons, mais sur son agenda notre bonne conscience note ses rendez-vous.
Et les pages fanées, aussitôt arrachées, comme de vieux journaux, s'envolent aux cratères.
Poussière tutélaire
Il y a au Japon, comme partout, de merveilleux noms de lieux, radieusement posés parmi leurs paysages montagnards ou maritimes, que l'histoire, comme partout, s'est chargée de repeindre avec les cendres et les pleurs de sa palette d'artiste mauvais.
Ainsi, Nagasaki, 長崎, c'est la "longue pointe", tandis qu'Hiroshima est l'"île large", 広島.
Longues et larges, nagai hiroi, îles et pointes, shima saki, leurs cendres et leurs ruines, leur sable mêlé d'os, et leurs cris et leurs pleurs
sont le noir promontoire surplombant cette époque funéraire et moderne
où Civilisation, effarée, a brusquement compris qu'elle n'était pas seulement la fille de Barbarie, mais qu'elle était aussi sa mère - et qu'elles se poursuivraient sans trêve comme l'oeuf et la poule, piétinant tout espoir, jusqu'à ce qu'Avenir, cet enfant inconnu, nous trace enfin loin d'elles une autre voie humaine.
Larges et longues, Hiroshima, Nagasaki,
toujours plus près, toujours plus vastes, dans vos ruines fumantes
longues et larges, Hiroshima, Nagasaki,
îles-nuages errant sans horizon,
vous recouvrez le monde entier, le monde d'aujourd'hui,
de votre voile
funéraire
- notre ultime poussière
tutélaire.
Le vent
Le vent le vent le vent le veut. Tout se soumet au vent, tout s'en va dans le vent, tout se perd dans le vent, les chênes, les éléphants, et les gens comme ils sont.
Pourtant
cela arrive quelquefois
que la simple fleur du trottoir, au fort de la tempête, nouant tous ses pétales en corde, s'amarre à elle-même pour ne pas disparaître...
que la simple fleur dénudée, dans le vent sale et fou qui balaie à nos portes, lutte et résiste pour rester une fleur...
... alors le vent, le vent qui n'aime pas ceux qui vont avec lui,
le vent l'épargne et le vent la ressème,
tandis que, despotique et furieux, il rue et il s'acharne sur tous ceux qui se sont envolés. Loin d'eux-mêmes.
Les jetant
et les dispersant
au néant.
L'orage
C'était l'orage qui l'avait réveillée.
Elle dormait si bien, d'habitude. Si profondément. Olivier en plaisantait souvent : Rien ne pourrait te réveiller, pas même un tremblement de terre. Tu dors à poings fermés.
À poings fermés - quelle drôle d'expression. Serrait-elle vraiment les poings quand elle dormait ? C'était bien laid, alors... et pour se protéger de quoi aurait-elle ainsi fermé ses poings ? Jamais elle ne faisait le moindre cauchemar.
Olivier se trompait... mais, vraiment, cet orage était terrible.
Par la fenêtre ouverte c'était comme si quelqu'un s'était engouffré, secouant le rideau et cognant au carreau. Une forme agitée et furieuse qui voulait qu'on l'écoute, et qui soufflait le froid et la pluie.
— Olivier, murmura-t-elle. Olivier...
Soudain, elle s'aperçut qu'elle était seule. [...]
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Ombres
On se retourne au son d'un accordéon dans la nuit. Et tout à coup, sous le pont qu'on vient de passer, il y a ces ombres qui dansent.
Des gens qui se sont rassemblés là, sans qu'on sache pourquoi. Qui sont venus, tout simplement, danser ensemble par un beau soir d'été. Des gens qui sont heureux.
Leurs ombres glissent sur l'eau sombre, mais ils ne semblent pas les voir. Tournant et s'enlaçant, ils savourent insouciants leur part de bonheur et d'été, tandis que sur l'écran que leur tendent les murs leurs ombres dansent en noir un étrange tango.
Un peu plus loin, un petit garçon rêveur joue au ballon, silhouette perdue dans la lumière trop vaste d'un projecteur puissant.
Et on se dit, en s'en allant, que c'est le temps qui fait son show.
Le temps, ce drôle de marionnettiste qui découpe nos ombres dans la matière vivante de l'instant, et les agite déjà dans la nuit, tandis que nous croyons encore marcher dans la lumière.
La maison
Comme autrefois, ils s'étaient engagés dans le raidillon, main dans la main, d'un même pas joyeux.
Comme autrefois elle avait admiré les aubépines, et elle avait cueilli quelques fleurs au passage, tandis qu'il évaluait, dans les fourrés de ronces, la récolte de mûres à venir.
Comme autrefois il avait dit, au virage de la fontaine, devant la vieille sainte Lucine : "Mi-côte", comme autrefois elle avait répondu : "Ou bien mi-pente", et ils s'étaient souri, en échangeant les mots rituels.
Puis ils s'étaient assis, l'un près de l'autre, promeneurs fatigués, irrésistiblement attirés par ce large banc de bois qu'on avait installé près de la fontaine, et qui, autrefois, n'y était pas. [...]
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Passants
Passants
insectes hâtifs et ternes
dans les galeries d'ombres
de nos villes-lumières
passants
toujours courant
passants toujours fuyant
et toujours immobiles
tournant comme fuseaux
leurs pauvres chrysalides
sous le ventre du ciel
où le verre de Babel
a gratté les étoiles
en haine du silence
passants téléphonant
et passants écoutant
appelant
stridulant
chuchotant
implorant
ces voix
ces voix
ces voix
ces voix
sans fin
ces voix
là-bas
ces voix
venues du vide
infimes
grésillements
d'élytres au loin
qui les retiennent
seuls
au brin de paille
de leur vie.
Brand new world
The moment of the rose and the moment of the yew-tree
Are of equal duration
(T.S. Eliot)
La nature ne connaît que le présent. Mais le coeur palpitant des hommes a inventé
l'instant,
et la seconde qui bat comme le sang,
et la pendule avide, rythme des civilisations, unique pulsation des vies mondialisées,
avec son trotteur fou, ne cessant de pousser le futur dans la fosse du passé, à coups furieux de stiletto.
Brand new world,
toujours plus neuf et toujours plus rapide, bondissant sur l'écran, de milliseconde en microseconde, à quarz et à césium,
tandis que nous courons, tout autour du cadran, toujours plus essoufflés, obsolètes et caducs,
si vieux de devoir être jeunes,
hamsters galopant et ruant
sur la roue du nouveau,
ne travaillant en rond,
dans la fièvre et l'urgence,
qu'à disparaître en hâte.
Brave new world, nous avait bien dit l'autre.
Mais c'était il y a si longtemps
déjà déjà déjà déjà.
Le ticket gagnant
Il lui fallut quelques secondes pour comprendre... 17 21 22 30 44 - 01... 17... 21... 22... 30... 44... et 01... c'était bien cela... Il n'y avait aucun doute, elle ne se trompait pas : le numéro qu'elle jouait chaque semaine depuis tant d'années avait enfin été tiré. Ses mains tremblaient et sa pensée tanguait, mais les numéros étaient inscrits, là, nets, officiels, assurés, sur l'écran poussiéreux de l'ordinateur... tirage du 15-o1... 01 44 30 22 21 17... c'était cela, pas d'erreur... Certes, elle avait beaucoup de retard, mais les soixante jours n'étaient pas écoulés. Pas tout à fait, du moins, puisqu'il restait un jour. Un jour entier, toute la journée du lendemain, pour se manifester, pour se présenter chez Anis, le buraliste du bas de la rue, avec le billet, et demander comment... ou bien pour téléphoner, ou encore... enfin, est-ce qu'elle savait les détails ? Mais elle ferait ce qu'il fallait.
Madame Lucas rajusta ses lunettes, et relut encore une fois, s'efforçant au calme. Le numéro... la date de tirage... tout était exact... Elle avait bien fait de jouer une fois encore, finalement, ce dernier matin, avant de monter dans le taxi qui devait l'emmener à l'hôpital. [...]
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