Quand tout va de travers et qu'on va décrocher
Quand ça penche et ça tangue et qu'on tremble et qu'on flanche
C'est un mot qu'on se dit qu'on se jure en ivrogne
Action
Quand ça craque et menace et qu'on veut qu'on voudrait
Quand ça grince et ça gronde et qu'on doit qu'on devrait
C'est un mot qui console un grand mot pour demain
Action
Quand il faut qu'il faudrait qu'on y passe à la fin
Qu'on y pense qu'on en parle qu'on dirait qu'on se fâche
C'est un mot qui endort nos pauvres coeurs en rogne
Action
Quand on croit se faire croire qu'on pourra qu'on pourrait
C'est un mot qui se paie de nos maux sans vergogne
Compère rusé faux frère hâbleur de notre lâche
Inaction
Ecume et roche
Poetry must be new as foam, and as old as the rock.
(R.W. Emerson, 1845)
Voilà une belle maxime oubliée, à méditer, et certainement à élargir, au-delà de la poésie, à tout ce qu'on aimerait appeler "art".
Ecume neuve et vieux rocher. Roches solides et délicate écume.
S'en souvenir, toujours. S'écarter des bougons rocailleux qui s'accrochent aux rochers du passé comme des huîtres creuses. Echapper au culte fanatique du Nouveau, qui fait de tant d'artistes, aujourd'hui, ces acrobates étranges qu'on voit glisser de la crête des vagues jusqu'à l'évier du néant, dans le froissement d'eau sale de l'indifférence crasse ou des dollars entassés.
Ecume et roc.
Roc et écume.
Friselis de la vie sur le socle du temps.
Vous qui peinez et travaillez
J'ai pu voir enfin, hier, à l'occasion des journées du Patrimoine, les belles fresques de l'ancienne église ouvrière des Batignolles.
"Venez à moi, vous qui peinez et travaillez", disait le grand Christ de l'autel à tous ceux que la vieille malédiction a condamnés à travailler à la sueur de leur front et qui s'affairent autour de lui.
J'ai pensé à Diego Rivera. Une référence tellement inattendue, dans cette petite église nantaise.
On représente souvent, dans les églises, ici ou là, de chapiteau naïf en statue émoussée, l'humble travail des Humbles. Mais il n'est pas fréquent de le célébrer ainsi, somptueusement, et de lui consacrer - littéralement - l'essentiel du décor.
Si peu fréquent même, si surprenant et si dérangeant - par ce mot j'entends qu'un certain ordre est mis à mal, bouleversant rangs et places -, que je me suis demandé si ce n'était pas pour cela, au fond, et non pour on ne sait quel risque d'écroulement, que cette église des pauvres, échappant à grand peine à la démolition, avait été, après un demi-siècle seulement d'existence, définitivement fermée, remplacée par un nouveau et terne bâtiment de béton.
Quoi qu'il en soit, j'ai admiré cette célébration naïve de la peine des hommes.
Des hommes... Et des femmes aussi.
Car, et c'est sans doute le plus admirable et le plus dérangeant, dans cette église où Marie elle-même dresse la table en compagnie du petit Jésus, avant de retourner ravauder son linge, elles n'ont pas été oubliées, ces millions de femmes laborieuses qui cousent, nourrissent et soignent, et, de tous leurs efforts méprisés, toujours recommencés, soutiennent le monde et le font tourner, le créant et le recréant sans cesse - divinement.
La grande roue, le cimetière, et les lointains bleutés (réédition)
J'ai profité, comme bien d'autres, des Journées du Patrimoine pour me rendre au sommet de la tour de Bretagne.
Là-haut, après le premier moment de trouble provoqué par le vertige, ou peut-être plutôt par les ombres étranges que dessine l'épais grillage tendu comme une tente pour empêcher les suicides, chacun bientôt cherchait avec passion à retrouver, derrière les mailles de fil de fer, là-bas, sa maison, son petit morceau d'univers, son tout de chaque jour, avalé par l'immensité du paysage.
Renonçant à trouver le mien, qui se noyait sans espoir dans les masses indistinctes de la banlieue, j'ai posé mon appareil dans un trou du grillage pour prendre cette photo.
C'était si étonnant, si évidemment symbolique... la grande roue de la fête foraine surgissait devant moi toute blanche et légère, comme une fleur de pissenlit semant au vent d'automne, et, derrière elle, à droite, dans la direction que traçait l'infime colonne Louis XVI presque effacée, juste après les bosquets encore bien verts du Jardin des plantes, j'apercevais nettement ce champ gris semé de hautes pierres, ponctué de rares arbres sombres : le cimetière de la Bouteillerie.
La roue tournait lentement, blanche et bleutée, au bord du ciel, bien au-dessus des toits, avec son chargement d'humains en fête - le cimetière attendait dans la paix qu'ils reviennent à l'hiver, qu'ils redescendent vers la terre...
Une petite vanité, en somme, vue de très haut.
Rien d'étonnant au fond à ce que, depuis le sommet de la Tour, si haut bâtie pour célébrer la grandeur de la ville et l'audace des hommes, on voie ainsi les maisons se dessiner en cubes dérisoires, et la vaste cité se réduire à si peu - semblable à ces plans-reliefs d'architecte qu'on montre dans certains musées - au musée des Invalides, par exemple, et même au Clos-Lucé d'Amboise, où j'en ai observé un récemment, représentant la ville idéale de Léonard, juste sous la maquette si émouvante de l'homme volant, ce bel Icare suspendu dans les airs par de courtes ailes de chauve-souris. - De quoi réfléchir à nos égarements de mortels, minuscules et superbes enfants de Dédale.
Depuis l'église si lourdement posée, à gauche, on aurait peut-être pu tracer quelques voies d'espérance - mais ce n'était, hélas ! que Saint-Clément, terne bâtisse de la fin du XIXe siècle, seule église bourgeoise et laide parmi tant d'admirables que l'on peut voir à Nantes.
Cependant, il y avait, dans les fonds, là-bas, comme sur un tableau de Léonard, ces beaux lointains bleutés où la terre rejoint le ciel. Par un jeu patient et subtil d'ombre et de lumière, sfumato, insensiblement. Ces grands chemins vaporeux et sereins où tremble l'horizon, au bord laiteux du monde. Ces longs glacis trempés de brume et lavés de clarté, au pied des pentes bleues du temps, où l'infini fait signe.
Cependant, il y avait, dans les fonds, là-bas, comme sur un tableau de Léonard, ces beaux lointains bleutés où la terre rejoint le ciel. Par un jeu patient et subtil d'ombre et de lumière, sfumato, insensiblement. Ces grands chemins vaporeux et sereins où tremble l'horizon, au bord laiteux du monde. Ces longs glacis trempés de brume et lavés de clarté, au pied des pentes bleues du temps, où l'infini fait signe.
Le Mur
"Ils sont là, et chaque matin semble accroître leur nombre. "
(Kafka, La Muraille de Chine)
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Vous devez venir de loin, de très loin, voyageur, pour ne pas connaître le Mur.
D'un autre monde, peut-être ? D'un monde qui ne connaîtrait pas les murs ?
De ces confins, peut-être, où vivent encore, dit-on, des peuplades nomades qui se contentent de tentes ou de cabanes de branchages, de chasses incertaines et de troupeaux errants ?
Ici, le Mur ne saurait plus surprendre personne, et il est rare, à vrai dire, de plus en plus rare, qu'on vienne me trouver, moi le guide, pour m'interroger. Si rare même que, je ne vous le cacherai pas, le Conseil a décidé de ne me donner aucun successeur, lorsque, l'année prochaine, je partirai à la retraite.
Il est à craindre, alors, étranger, que l'histoire du Mur ne sombre définitivement dans l'oubli. [...]
Suite du récit à lire sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com
Un mariage...
... et un message important, que je vous retransmets, chez Quichottine :http://quichottine.fr/2015/09/93-coeurs-pour-un-mariage-et-des-reves-denfants.html :
"Nous sommes particulièrement fiers de notre nouveau-né : Le Mariage.
Ce livre de 334 pages sur lequel nous avons travaillé depuis février 2012 représentait un défi supplémentaire en ne nous contentant pas de rassembler des textes indépendants mais en écrivant une véritable histoire, celle du mariage de Marie et Clément et de toutes les personnes qui y ont assisté et qui confient leurs sentiments, leurs souvenirs au contact des mariés. Chaque auteur a créé son personnage, lui a donné vie. Ceci a nécessité une communication par courriel entre les différents auteurs et une relecture attentive de coordinateurs pour assurer la cohérence du tout. Les illustrateurs avaient une contrainte : travailler en noir et blanc, pour diminuer le coût du livre.
Nous souhaitons de tout cœur que le mariage, ce livre pas tout à fait comme les autres, aux 186 mains et 93 cœurs, ait une audience record parce qu’il le mérite mais surtout pour qu’il puisse donner de la joie à des enfants malades."
Châteaux de sable
Enfant, j'ai aimé les châteaux de sable. Passionnément - je veux dire : avec ce mélange d'instinct de possession et d'angoisse qui fait les grandes passions.
Acharnée, je creusais, je bâtissais, je fortifiais. Tandis que la mer, lente et vorace, avançait comme l'heure, de toutes ses dents d'écume, vers les créneaux et les tourelles, je luttais pour sauver mon château.
Rien n'est plus difficile, sans doute, pour un enfant, que cette découverte du temps, de la fatalité, et, en somme, de la mort.
Jusqu'au dernier instant je travaillais et je résistais, me hâtant de consolider les murailles, étayant les remparts et écopant les douves.
Pourtant, lorsque la vague, enfin, léchait les dernières tours en ruine et les chemins de ronde où s'enfonçaient les mouettes, je ne pouvais jamais l'empêcher, ce sentiment bizarre de bonheur, soudain, à voir le château se fondre comme pincée de sel.
Cette autre découverte : qu'on ne bâtit que sur le sable, des oeuvres que le temps roulera comme grains d'illusion, et que c'est pour cela, précisément pour cela, qu'il nous faut les bâtir. Une pincée de sel sur le néant qui vient. Ce n'est vraiment pas rien.
Miss Hokusai
Il y a toujours, derrière les grands artistes qui accèdent à la gloire, des femmes obscures et des enfants délaissés, vies dévouées, effacées ou rebelles - mais toujours sacrifiées, et toujours oubliées.
C'est ce que nous rappelle Miss Hokusai, ce dessin animé qui retrace les tourments et les doutes de "O-Ei", la fille méconnue d'Hokusai, qui fut aussi son élève, sa collaboratrice, sa protectrice, et, d'une certaine façon, sa rivale.
A propos d'une autre de ses filles, O-Nao, enfant mal aimée, aveugle et morte toute jeune, dont le film évoque aussi le sort pitoyable, Keichi Hara fait dire au vieux fou de peinture qu'il lui a "pris la vue et la vie".
Prendre à ceux qui l'entouraient "la vue et la vie", comme un criminel, pour en fortifier son pinceau,
- ou bien assassiner en lui l'oeuvre vivante et lumineuse qui jaillissait comme un dragon.
Que vouliez-vous qu'il fît, le vieux fou de peinture ?
Pas vraiment eu le choix, voilà tout.
Photo de mariage
Que l'on regarde au loin, cheveux au vent, l'avenir qui s'en vient, pour un cliché d'éternité que le temps ternira, ou qu'on fixe le bout de ses pieds, tout nu sur le rivage, c'est toujours et sans fin la même histoire : il n'y a en ce monde que des mondes, des millions et des milliards de mondes, qui, posés côte à côte dans leurs bulles d'écume, ne se rencontrent pas
- on pourrait en pleurer si souvent
qu'il est bon quelquefois d'en sourire.