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Un petit revolver dans son écrin

Publié le par Carole

Je feuilletais distraitement ce matin un numéro de l'Histoire - celui de décembre, je crois. Soudain mon attention flottante a été aimantée - cela arrive si bizarrement, chaque fois, si impérieusement - par deux pages qui auraient pu paraître insipides, tant le sujet a été récemment rebattu.
C'était, dans la rubrique "Actualités", un article de plus, consacré à ce fameux petit bout de film qui a fait le tour des réseaux sociaux, l'an dernier, parce qu'on a cru y reconnaître la silhouette de Marcel Proust, figurant fantomatique d'un grand mariage mondain, descendant les marches de la Madeleine (ça ne s'invente pas...). 
 

 

L'auteur de l'article réfutait par de savants arguments cette identification émouvante, déduisant sans hésiter, de toutes les informations qu'il avait rassemblées, que le jeune homme très flou, le bel indifférent de la photo n'était qu'un inconnu sans qualités, ombre parmi les ombres de "la cohorte des fausses apparitions d'écrivains célèbres".
Et, au passage, dans une courte phrase nichée au creux d'un très long paragraphe, il nous apprenait, sans s'attarder sur ce fait qui apparemment ne lui semblait mériter aucun commentaire, que monsieur Proust, effectivement inscrit sur la liste des invités, avait offert aux jeunes mariés... "un petit revolver dans son écrin".
 
Cela m'a laissée rêveuse... l'auteur de la Recherche... offrant à des mariés un petit revolver dans son écrin ?
Un revolver... ?... dans son écrin... ! Monsieur Proust... si correct et si policé... Pouvait-on vraiment croire... ?
 
Et puis, oui, finalement. 
Une silhouette floue qui pourrait être celle de tout le monde. L'air d'être ailleurs quand chacun s'évertue à avoir l'air d'y être. Un par-dessus de bonne facture, tout à fait élégant. Et dans la poche un petit revolver (dans son écrin).
 
C'est bien cela, un écrivain.

 

 

Publié dans Fables

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Croqueville

Publié le par Carole

    La neige avait recommencé à tomber.
    Tant de flocons légers qui n'avaient l'air de rien, mais qui peu à peu s'entassaient et allaient lentement recouvrir le monde. En faire un autre monde, informe, incolore et glacé, qui finalement, vieilli, sali et résigné, se tasserait en boue. 
    Humbles flocons un à un obstinés. D'abord si menus, infimes épingles sur la peau, bientôt se pressant accablants et glacés. Comme les ennuis de la vie, les erreurs, les faiblesses, les sottises, les ratages, les échecs... chacun d'eux presque rien pas grand chose, à peine une mince piqûre à la surface de l'espoir, mais s'accumulant obstinés et serrés, et finissant par recouvrir tout ce qu'on avait en soi de couleurs, d'énergie et de joie.
    Il avait de plus en plus de peine à avancer [...]
 
 
Suite du récit sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com
 
 

Publié dans Récits et nouvelles

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Séquoia

Publié le par Carole

Séquoia géant (sequoiadendron giganteum) - Château de la Fleuriaye à Carquefou

Séquoia géant (sequoiadendron giganteum) - Château de la Fleuriaye à Carquefou

    Dans le beau livre où Sophie Chérer a re-nommé* pour nous tant de mots affadis d'usage et de banalité, j'ai lu (ou peut-être re-lu ?) la merveilleuse histoire du mot séquoia.
  Au début du XIXème siècle, un Indien Cherokee, que dans sa langue on avait nommé Se-quo-yah, en raison d'une obscure infirmité* (mais que les Blancs avaient re-nommé George Guess*, peut-être parce qu'il était métis, et aussi pour qu'il nous reste quelque chose à deviner), s'était initié à la connaissance de l'alphabet et à la pratique de la typographie dans une petite imprimerie de campagne installée par les Blancs et, après leur départ, en avait récupéré les plombs. Après des années d'effort et de réflexion, il était enfin parvenu à élaborer un syllabaire apte à noter, avec les caractères refondus des Visages pâles, tous les mots neufs et colorés de sa langue de Peau rouge. Prouvant ainsi que les plombs des Blancs ne servaient pas seulement à nourrir de balles la gueule avide des fusils, mais aussi à jeter dans le monde les mots qui devaient y semer leurs graines. Et que les lettres des alphabets humains ne sont ni blanches ni rouges, mais de toutes les couleurs qui n'en font jamais qu'une de la pensée humaine.
   Et voilà qu'une dizaine d'années après la mort de Se-quo-yah, un naturaliste autrichien nommé Endlicher (celui qui vient endlich, enfin), ayant eu connaissance de l'immense patience du Cherokee typographe, choisit de l'honorer en donnant son nom d'homme à l'arbre géant qu'il s'efforçait de classer dans la dernière séquence du grand livre des botanistes - cette taxinomie qui, re-nommant le monde, en fait enfin ce compte précis, définitif et universel que le vieux Jardinier fatigué négligea d'établir, après la création de cet immense Jardin suspendu dans les airs qu'il re-nomma la Terre - pour qu'elle rêve du Ciel.
 
   Une belle histoire de mots, en somme, cette histoire de séquoia, une histoire de mots qui se croisent et se tissent, se métissent et s'unissent, et enfin ramifient, se nommant et se re-nommant, en un bosquet fécond de symboles et de significations.
 
   De l'Indien découvrant ingénu le pouvoir des mots imprimés,
au naturaliste achevant de re-nommer les arbres du Jardin pour afficher sur le plus grand d'entre eux, dédaigneux des leçons de Babel, l'ultime écriteau conquérant de la raison des Blancs, mais choisissant pour cela le nom d'un Cherokee rêveur qui croyait pouvoir faire sonner la parole des vaincus sur les plombs des vainqueurs,
la boucle des mots qui font rêver se nouant à la terre et au ciel avec autant de force, d'humilité, d'orgueil et d'humanité, que les deux bras énormes et dragonnants du fabuleux sequoiadendron giganteum de notre petite ville de Carquefou...
    
 
 
   ...Belle, peut-être trop belle histoire... 
  Il se trouve que notre Séquoia, géant pourtant des plus débonnaires, a donné lieu récemment à un duel d'étymologistes. Pour l'un des combattants, le mot dériverait, comme une séquence de bois sec et savant, du verbe latin sequor. Pour l'autre duelliste, c'est bien et pour toujours du Peau Rouge Se-quo-yah qu'il tient toute sa verdeur.
 
   Alors, sequo(r)ia ou Se-quo-yah, le nom du séquoia ? sans doute un peu des deux...
 
  Mais que nous importent ici les querelles des savants ? Quand bien même ce ne serait qu'une légende, l'histoire du Cherokee qui croyait aux livres re-nommé en arbre par l'Autrichien qui voulait faire du monde un livre, restera toujours pour nous plus vraie que l'histoire vraie.
 
   Car elle a la vérité profonde, la vérité de forêt murmurante
des mots qui se nouent et se tressent en échelle, comme les branches du haricot magique, 
pour que nos âmes-séquoias puissent enfin grimper tout là-haut, si haut, jusqu'à ces cimes du vieux Jardin où on voit si bien clair
près du vieux Jardinier,
que l'humanité entière n'y a plus sous le ciel
qu'une unique couleur et une unique langue,
ce vert profond des mots qu'on sème et qu'on ressème comme des arbres,
pour qu'ils nous éveillent enfin comme des printemps.
 
 
*"Se-quo-yah pourrait signifier, dans sa langue, pied de cochon" (Sophie Chérer, p. 57)
 
 

Publié dans Fables, Lire et écrire

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La rose sous la neige

Publié le par Carole

La rose sous la neige
La neige. Ce silence quand elle tombe. Cet enchantement soudain de la banalité devenue cristal et blancheur.
Comme une tentation de pureté mortelle.
Et nos pas déchirant tant d'étoiles minuscules et glacées descendues sur la terre, jusqu'où pourraient-ils s'en aller, sur ces chemins sans vie où s'efface leur trace ?
Jusqu'à quelle solitude éternelle et intacte, vierge de tout réveil, où dormir le coeur clos, dans un lit d'infini ?
 
Mais la rose, la rose colorée qu'impatiente le blanc,
la rose où se déplient, dans la soie imparfaite
des pétales frissonnants où froufroute le temps,
les ailes encore froissées des printemps à venir.
 
La rose qui s'égoutte de tout son poids d'hiver.
La rose qui s'ébroue en grimpant sur sa tige.
La rose à la recherche de son chemin d'épines.
La rose aux yeux ouverts comme l'oiseau du nid.
 
Imparfaite et vivante. La rose sous la neige.
 

Publié dans Fables

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L'art du temps

Publié le par Carole

Michel Corboz - Folle Journée de Nantes - 3 février 2018

Michel Corboz - Folle Journée de Nantes - 3 février 2018

L'art du temps... c'est ce que j'ai pensé, une fois de plus, ce matin, en songeant qu'elle allait encore se terminer, cette "Folle journée" de musique dont les heures toujours si brèves s'étirent pourtant sur plus d'un jour.
L'art du temps, l'art dont la matière est le temps, voilà ce que c'est, pour moi, que la musique, et ce pour quoi elle me fascine.
 
L'art du temps, la musique - car elle seule sait compter chaque instant, chacune de ces pulsations vibrantes du monde qu'elle appelle des temps, pour leur donner leur place, précieuse et minutieuse, dans l'écrin d'infini que leur fait le silence.
L'art du temps, puisqu'elle n'existe que dans l'instant, et que rien ne saurait la fixer, malgré l'illusion des enregistrements - mais qu'elle ne peut jamais mourir, vivant et revivant en chaque instrumentiste qui recommence, en chaque auditeur qui revient.
L'art du temps, vraiment - car elle seule sait reproduire le temps dans son rythme battant, dans l'élan qui le pulse au cercle toujours rejailli de sa perte incessante.
 
Et voilà pourquoi il est toujours si délicieusement douloureux d'assister à un concert. D'entendre la musique dans l'éphémère suspens où elle nous est donnée, avant de nous être reprise. Comme si on entrait dans la matière même de ce temps qui frappe et souffle et chante dans nos veines sa musique de vie, de mort et d'ici-au-delà.
 
Jamais je ne le comprends mieux que lorsque je vois, chaque année, Michel Corboz diriger encore son ensemble vocal, depuis la chaise où il se tient si vieux, comme un jeune musicien, parmi tant de jeunes musiciens que nous voyons vieillir.
Chaque fois comme si c'était la première fois. Chaque fois comme si c'était la dernière fois. Chaque fois comme si c'était l'unique fois. 
 
 
C'était, tout à l'heure, le Requiem de Mozart. Où résonnent à jamais les dernières notes entendues en son coeur par celui qu'on jeta à la fosse commune.
C'était aujourd'hui.
Et c'était déjà hier.
Demain peut-être.
 
 
 
 

Publié dans Nantes

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Lorraine

Publié le par Carole

Juste un mot ce matin : Lorraine nous a quittés hier. 
Dans le vacarme de ce monde, c'était une voix claire et délicate. Dans la folie de ce monde, c'était une voix calme et sereine. Dans la violence de ce monde, c'était une voix douce et tendre.
Une voix.
Une voix comme il y en a si peu.
Une voix comme une âme.
 
Il nous reste son cahier.
Où veille encore sa voix.
Son âme.
 
 

Derrière la grille c’était désert

Mais j’ai l’esprit qui vagabonde

A défaut d’avoir l’univers

Je me suis inventé un monde

 

LORRAINE

 

 

Publié dans Divers

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