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Coquelicot

Publié le par Carole

coquelicot-tombe-version-2.jpg
 
Le vent jette aux oiseaux
l'été comme le grain
pour que le temps le sème
dans les labours d'automne 
et dans le froid qui vient.
 
Coquelicot tombé
sur le coin du trottoir,
dans ta robe de bal
chiffonnée par les heures
et blessée sous nos pas,
 
il m'a semblé que tu étais
la fleur brûlante de l'été,
la belle des jours envolés
que l’ombre aurait clouée
sur nos regrets.

Publié dans Fables

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Les cormorans

Publié le par Carole

 
Au bord de l'Erdre lente, aux rives de la ville, nichent les cormorans. Hiératiques et sombres comme des divinités anciennes, ils attendent. Les yeux levés, le cou tordu, ils ont toujours l'air de vouloir déchiffrer, aux longs cartouches blancs que dessinent là-haut le sillage des avions et des nuages fugitifs, des phrases invisibles, de mystérieux signaux.
Et les arbres des rives chargés de ces cormorans immobiles semblent de grands chandeliers sombres enfoncés dans la terre face aux bateaux qui passent, d'étranges sémaphores, plantés sur la rive du monde pour avertir ceux qui passent  - de quelle obscure menace, là-haut, que leur déroberait le bleu du jour et la douceur des berges ?
Parfois, un des oiseaux s'envole et rase l'eau pour attraper un poisson dans un sillon boueux du flot qui se referme. On se sent soulagé, on se dit que ce n'est après tout qu'un oiseau pêcheur, un banal cormoran, venu de la mer, retiré dans les terres, un dévoreur de poissons, un glouton comme un autre.
Puis l'oiseau revient, sans bruit se percher sur la rive, pour guetter, immobile et sombre, le ciel si bleu qui nous paraît de nouveau traversé de nuages, de sillages et d'angoisses.
Que pourraient donc savoir les oiseaux, que les hommes ignorent encore ?

Publié dans Nantes

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Stop ! Butte Sainte-Anne

Publié le par Carole Chollet-Buisson

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Il est assez curieux, pour le passant qui, descendant la côte de l'Hermitage, approche de la statue de Sainte-Anne, de lire, sur le panneau fixé près du socle où, droite et souveraine, elle tend vers l'estuaire sa main de pierre bénie, au lieu du nom de la sainte, de tous les renseignements qu'il attendrait sur la statue et le culte qu'on lui rend, ce seul mot : STOP. Cela doit vouloir dire quelque chose, se dit le passant, cela ne peut relever entièrement du hasard, ou de la négligence des services municipaux. Il s'arrête un instant, obéissant à cet ordre mystérieux - et brusquement devant lui tout est là - cette courbe de Loire où le jaune d'or de la grue Titan s'accorde si bien aux tours grises et brumeuses de la cathédrale, ces rochers furieux arrêtés au flanc bleu de la ville, ce rivage apaisé où le bras d’une sainte salue le Corbu de Rezé.
    Et le ciel, tout entier rassemblé dans cet instant, se couche en rond là-bas comme une bête douce.

Publié dans Nantes

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Songe d'une lune d'été

Publié le par Carole

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Ce soir, avant de fermer la porte du jardin, j’ai photographié la lune. Car Neil Armstrong vient de mourir et s’y trouve désormais pour toujours.
 
Je me souviens si bien de cette nuit d’été, de cette nuit de songe qu’il a passée là-bas, là-haut, sur la lune, quand il était encore vivant.
C'était pendant les grandes vacances et j'étais à Guéret, chez mes grands-parents, avec mes frères et mes cousins. Nous dormions depuis longtemps quand mon grand-père, solennel, est venu nous tirer du lit.
Dans le petit séjour où trônait, sur un meuble protégé d'un napperon, la télévision toute neuve, les voisins étaient déjà là, venus en hâte. Nous, les enfants, encore appesantis de sommeil, nous nous étions serrés par terre, devant l’écran.
Il ne se passait rien. On entendait des hommes se parler dans une langue que nul ne comprenait, interrompus par des bips incessants et étranges.
Et puis soudain on avait vu. L’image brouillée tremblotait. Un fantôme gris de scaphandrier, un homme vacillant, empaqueté comme un bonhomme Michelin, était lentement descendu d’une échelle. Enfin il avait posé sur le sol un pied hésitant. Alors il avait prononcé une phrase destinée à devenir célèbre, et de laquelle personne, dans la salle de séjour néo-Henri II de mes grands-parents, n’avait compris un mot. Cependant tous s’étaient mis à crier de joie, et mon grand-père avait  filmé l’écran en super-8 (où donc est-il, ce film, aujourd’hui ?).
Puis une autre ombre lente était descendue de l’échelle.
Et la danse avait commencé. Maladroite d’abord, si pure bientôt, si aisée. Les ombres allaient et venaient, bondissantes, transparentes, s’affairant, auprès de machines inconnues, à des choses incompréhensibles, mais qui semblaient graves et urgentes dans l’échange incessant des bips et des voix étrangères.
Elles avançaient, bondissant toujours, dans une étendue triste de sable gris semée de trous circulaires qui semblaient le résultat d'impitoyables bombardements, avec l'élégance des acrobates oubliant tout du sol sur le trapèze qui les emporte au ciel..
C’était beau, autour de moi on ne cessait de s’exclamer, et mon grand-père filmait encore. Pourtant je m’étais sentie un peu effrayée, à les voir si légers au milieu de leur désert obscur, ces héros pour lesquels on nous avait tirés du lit.
Le présentateur se réjouissait, l’humanité venait, disait-il, de faire un immense progrès. Et l’on poussait des cris de joie. On s'appelait dans les rues, des fusées de cheminots éclataient à la gare. Le monde était infini, l’avenir sans limite. Moi, je plissais fort les yeux, je savais qu’il faudrait que toute ma vie je me souvienne de ces images et de ces mots d’une nuit de juillet.
 
Car j'avais appris beaucoup ce soir-là.
J'avais appris que l’humanité est forte, courageuse et belle, capable d’aller sur la lune, de s'y mouvoir avec l'aisance qui n'appartient qu'aux dieux et aux danseurs de cordes, capable aussi d'admirer ses héros, de tirer d'eux sa joie et son amour de l'avenir.
Mais j'avais découvert, en même temps, qu'un homme, même le plus célèbre, même le plus vénéré, même casqué et revêtu d'une armure de cosmonaute, n'est guère, vu de là-haut, qu’une petite chose fragile et légère, une ombre à peine distincte sur un écran brouillé.
Aujourd’hui mes grands-parents sont morts, et leurs jeunes voisins de Guéret sont devenus de tremblotants vieillards. Et toi, Neil Armstrong, qui fus la gloire de la science et l'espérance d'une époque, tu t’es définitivement envolé vers la lune. Tu étais si grand, tu étais si léger.
Comme l’humanité.
26 août 2012

Publié dans Fables

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Cannes à pêche

Publié le par Carole

canne-a-peche-1-recadre.jpg   "Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant est un sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au fond du lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l'air.
  (Aloysius Bertrand, "Ondine", Gaspard de la Nuit)
 
 
Au bord du plan d'eau, le dimanche, c'est un fouillis de cannes à pêche, longues et minces libellules de toutes les couleurs. Les pêcheurs vont de l'une à l'autre. Gens calmes et silencieux, ils restent là des heures, surveillant peu leurs lignes, regardant beaucoup l'eau. 
Sur le flot vert où se trempe le ciel, bel oiseau assoiffé qu'ébouriffent les branches, vont en famille les canards bruns, promeneurs du dimanche, autres pêcheurs très silencieux. Des araignées marchent sur l'eau comme des Christ délicats, les saules immenses ouvrent au vent les rideaux tremblants de leurs tentes.
Et les carpes, au milieu de l'étang, font leurs ronds de danseuse, happant à la surface une mouche étourdie, un brin d'herbe qui passe.
Il arrive, quelquefois, que l'une d'elles aille en rêvant se pendre à l'hameçon. Le pêcheur, alors, tiré de sa torpeur, hésite un peu. Si par hasard la carpe est large et qu'elle luit au soleil, désirable, de tous les reflets de l'étang, il la pose doucement dans sa musette, et longtemps la regarde s'éteindre ; le plus souvent, il la rejette à l'eau - petite carpe deviendra grande, et le pêcheur est si patient... 
 
Vient-on vraiment, le dimanche, au plan d'eau, pour pêcher des poissons ? 
Ne vient-on pas plutôt pêcher en songe les reflets qui éclairent la peau brune des vagues, le tremblement des saules, et la langueur du jour qui passe ?
La lumière du matin tisse d'or frais chaque sillon du flot, l'après-midi on voit voguer sur l'eau lente l'ombre des arbres bleus, le soir teinte d'ivoire et de sang tiède l'eau qui s'approfondit, tandis que vient la nuit, de son pas velouté de fauve.
Et les pêcheurs qui tout le jour attendent, paisibles, face à leur image qui tremble et lentement s'efface en se mêlant au flot, ne sont-ils pas, tout simplement, dans ces humbles dimanches de la vie, près de leurs cannes à pêche, les sages de ce monde, restés sur le rivage ?

Publié dans Le village : Selommes

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Coquillages

Publié le par Carole

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Que l'on puisse décorer ainsi un vieux mur, au coin d'une gouttière rouillée. Que l'on puisse s'agenouiller un quart d'heure sur le sol, à fixer soigneusement, sur le ciment frais recouvrant on ne sait quel désastre, des coquillages et des galets ramassés là-bas, où si rarement on est allé, au bord de cette mer aux lointains mirages, dont on a gardé tout le bleu dans les yeux qui vieillissent, et le sable léger comme paillettes au creux des mains qui travaillent. Que l'on puisse tracer, à ras de bitume et de glaise, un petit chemin de Compostelle pour les pluies pèlerines descendant d'un vieux toit. Que l'on puisse peiner à orner sa maison de ce que les passants jamais n'admireront, tant on le place bas, tant on le colle à la rouille, à la paille, au goudron, aux pierres les plus usées.
C'est beau, comme de tailler un morceau de dentelle sur la pierre d'un puits noir, comme de poser un dessin tendre sur la paroi d'un cachot, ou comme de coller, en un soir de misère, des fleurs de faïence et de verre sur les parois étroites de la maison "Picassiette", à Chartres, tout près d'ici.
C'est peu de chose, évidemment, si peu de chose... un rayon mince de lumière, un grain de poésie naïve dans le quotidien sans pitié, la coque de l'espoir sur la perle fragile qui germa dans un coeur. Presque rien...
Mais c'est quelque chose, voyez-vous, que je photographie, quand je passe.
 
(A lire aussi, si vous ne connaissez pas "Picassiette":
http://www.chartres.fr/culture/arts-et-spectacles/maison-picassiette/
http://fr.wikipedia.org/wiki/Maison_Picassiette)

Publié dans Le village : Selommes

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Libellule

Publié le par Carole

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"Le mot qui la nomme est magnifique. Tout de grâce, de légèreté. Il possède lui aussi quatre l. Ainsi la libellule est-elle une symbiose parfaite de la nature et de la langue, de la biologie et de l'orthographe." (Bernard Pivot)
 
 
 
Libellule, c'est vrai, ton nom est un poème.
Non seulement parce qu'il contient les quatre l tout battants de tes ailes,
mais aussi parce qu'il te contient toi-même si belle,
et qu'il t'emporte au ciel d'un trait de plume et d'eau fraîche, dans l'aérienne et minuscule bulle de ton vol d'angelot.
 
Surtout, songes-y, libellule, c'est un nom qui commence comme le mot le plus beau de ce monde, qui est le mot liberté. Un nom plein de promesses.
 
Libellule, tu dansais sur la rive, j'ai suivi du regard l'arc-en-ciel frêle et rapide que tu traçais, entre eau et soleil, sur la page du jour.
Tu t'es posée, comme une feuille frémissante de toutes tes nervures transparentes, sur la haute tige d'une ombelle que les jardiniers avaient récemment fauchée.
Là, je t'ai vue, libellule, te jeter en gloutonne sur je ne sais quel puceron figé dans son sucre, oublié par les fourmis et les araignées. Longtemps tu t'en es délectée, animée par l'énergie de cette faim sans limite qui traverse toute la nature. Le vent te poussait, léger et joueur, cherchant à te ramener à lui, et toi tu résistais, avide d'achever ta proie. Je t'ai vue te replier, t'enfermer, accrochée à ta fourche, dans tes ailes naguère si belles, comme dans un voile gris, tandis que tes pattes articulées de mouche descendaient sur la tige asséchée, l'enserrant, se crispant de désir et d'obstination.
Puis, quand, le festin fini, tu as voulu regagner le ciel, tu es restée à terre, engluée par le traître fil qu'une araignée enfuie, mise en déroute par les faucheurs, avait laissé pendre derrière elle - arrêtée dans ton vol, pauvre acrobate, par le brin de filet déchiré dans lequel tu t'étais prise, en cherchant à mieux agripper ta proie sur la tige décapitée.
Prisonnière, tu m'as regardée de tes yeux étranges et inexpressifs.
J'aurais voulu t'expliquer, mais que peut-on dire à une libellule mue par cette grande faim qui traverse de part en part le monde vivant, et capturée enfin par elle ?
D'un doigt je t'ai délivrée... tu es repartie, un peu plus lourde, sous mon regard désenchanté, vers le ciel où le soir, déjà, poussait en lents troupeaux ses nuages assombris.
 
Si fragile beauté.
Difficile liberté.

Publié dans Fables

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Des rats dans les murs

Publié le par Carole

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Enseigne du "Rat goutteux" allée Penthièvre - cours des Cinquante-Otages (à l'emplacement d'un ancien magasin de tissus).
"Des rats, des rats dans les murs..." (Lovecraft)
 
 
   Dans le tramway, une jeune fille téléphone - et j'entends ces paroles bizarres : "D'habitude je vais déjeuner chez Suzanne, mais aujourd'hui je n'irai pas...je n'ai pas envie de manger avec un rat... "
   Le tramway, que je prends tous les jours, est décidément l'endroit le plus étrange du monde. Est-il possible que cette Suzanne soit un rat louant quelque part dans la ville un appartement ? Ou bien dois-je comprendre qu'un rat s'est installé chez elle ? - la crise du logement, dure aux hommes, l'est aussi pour les rats sans doute. On sait que les rats vivent à côté des citadins, dans les mêmes rues, les mêmes immeubles, et qu'ils s'approvisionnent aux mêmes épiceries, aux mêmes boulangeries, fréquentant les mêmes fastfoods et les mêmes bistrots, recourant aux mêmes égouts, aux mêmes bennes à ordures. Les rats sont la preuve de la civilisation, tous les archéologues vous le confirmeront. La preuve par l'envers, en quelque sorte. Dans chaque ville, ai-je appris dans je ne sais plus quel livre, vivent au moins autant, et même souvent bien plus de rats que d'humains. Il suffirait pour les voir de regarder entre les interstices des trottoirs, sous les tables, derrière les rideaux, dans les placards, au fond des poubelles, au creux des armoires. En fait, si nous ne les voyons pas, c'est parce que nous préférons les ignorer. La ville est emplie de rats, il faut l'admettre en toute lucidité. Dans les tours du château des Ducs, dans les caves de l'île Feydeau, sur les balcons des immeubles chics des rives d'Erdre, dans les bureaux de l'Hôtel de ville, sous la pendule de la Cigale, dans les parkings de la Tour de Bretagne, partout, des rats, des rats, des rats. Des rats assis qui bavardent, des rats goutteux qui vendent du tissu dans des boutiques renommées, des rats qui courent en tout sens, débordés de travail, des rats penchés sur des dossiers et sur des livres, des rats peinant sur des écrans d'ordinateurs, des rats misérables que la faim jette dans les rues, des ombres de rats affalées sur les trottoirs, et des rats pansus bien nourris chez Suzanne, prenant l'apéritif à l'heure du déjeuner. Comme nous tous acharnés à survivre, à ronger leur frein, à faire leur trou, à se caser au mieux. Une ville de rats dans la ville des hommes. Admettons-le une bonne fois, il le faut bien.
   La jeune fille qui téléphonait est descendue soudain, et voilà que s'assied à sa place un passager tenant une boîte fermée. Un être affolé s'agite et crisse à l'intérieur. J'aperçois ses yeux perçants par les trous ménagés sur le dessus - c'est... non...! est-ce vraiment... ? - Et ce type au regard aigu, devant moi, qui tient la boîte sur ses genoux... cette moustache fine, ces lèvres palpitantes... et cet air d'avoir faim, d'être prêt à tout avaler... c'est... oui, je crois, je crois bien que c'est...que c'est lui... le rat... le rat de Suzanne !

Publié dans Nantes

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Notre lion protecteur

Publié le par Carole Chollet-Buisson

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Alors que je photographiais ce beau lion entouré de fiers drapeaux d'Afrique, près du boulevard de la Madeleine, quartier pauvre de réfugiés, d'immigrés et d'étudiants sans le sou, un passant, noir de peau et d'âme claire, est venu me parler - c'est, je trouve, l'un des grands bonheurs du photographe : ceux qui le voient travailler, souvent, s'approchent pour lui dire quelques mots, heureux que quelqu'un donne du prix à ce qui fait leur quotidien si souvent ignoré.
"Vous photographiez le lion ? il est beau, hein ? 
-Très beau !
-C'est notre lion protecteur !"
Il m'a regardée cadrer, souriant. Puis, bien sûr, il s'est éloigné. On ne noue, autour de l'appareil-photo, que des relations très fugaces... - mais qui peut-être n'en sont pas moins profondes...
Car je crois avoir compris ce que l'homme avait voulu dire en parlant de lion protecteur.
Ce bel animal, posé sur une façade disgraciée, tirant parti de tout pour exister, de la tôle, des fenêtres grillées, des boîtes aux lettres grises, fixant la ville sombre de ses yeux clairs et courageux, c'est l'âpre vie des pauvres. Et le désir de beauté qui ne les quitte pas, aigu comme l'épée, vient se planter fort et majestueux, lumineux comme l'espoir et la fierté d'être soi, dans les cours étroites de l'angoisse et de la misère, sur les hauts murs froids de l'exil.
Fort comme le lion d'Afrique. Fort comme l'humanité.

Publié dans Nantes

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Retour du bal

Publié le par Carole

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Cette photo est la dernière que j'ai prise du "Voyage à Nantes", qui vient de s'achever...
J'avais admiré - et bien sûr photographié - le grand tableau d'Alfred Roll, intiutlé "Retour du Bal", que le musée des Beaux-Arts avait confié aux galeries Lafayette, rue de Verdun. Dans la vitrine c'était si troublant de voir la rue, avec ses maisons, ses enseignes, ses passants et ses véhicules, se superposer, mobile, au tableau immobile, de voir une foule passer sur l'or du cadre, avancer dans la traîne de la robe de soie, marcher sur le bouquet de roses rapporté du bal, traverser le regard de l'élégante, de la belle pensive arrachée par le peintre, par la vitrine du grand magasin, à l'intimité de sa toilette du soir, à ses rêves de la nuit. 
 
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Dans mon dos j'entendais une jeune fille chanter - assez faux, car l'air est difficile, mais d'une jolie voix très claire - le célèbre "Alabama song" de Kurt Weill.  
Et puis brusquement elle a cessé de chanter, et, simultanément, pour la première fois je l'ai vue, distinctement, dans la vitrine : elle était vêtue de rose, mais elle portait, elle, une robe courte et des chaussures de sport.
Elle avait posé au sol, au lieu de fleurs, ses quelques affaires, comme le font les mendiants, et manifestement elle faisait la quête. Pourtant... quand on fait la manche, d'habitude, on ne chante pas Kurt Weill, même revu par Jim Morrison... elle n'avait pas l'air misérable du tout du reste... plutôt l'allure d'une Lola d'aujourd'hui... oubliée dans la rue, au retour du bal ou d'un bar de Mahagonny, par on ne sait quel Michel parti plus loin chercher fortune.
Etrange jeu de facettes où le Voyage à Nantes avait rejoint le Voyage de la vie, où la toile du peintre avait rencontré la vie de la rue, qui elle-même avait rejoint la vie factice de la scène et du cinéma...
L'art était l'image du réel, et le réel était le miroir de l'art... rien n'était plus simple au fond,  je le savais depuis longtemps. J'ai eu, pourtant, un moment de vertige.

Publié dans Nantes

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