Autoportrait au miroir du prisonnier
On pouvait visiter aujourd'hui l'ancienne maison d'arrêt de Nantes, fermée il y a deux ans, et actuellement investie par un groupe d'artistes avant sa prochaine démolition.
Je m'étais toujours demandé, en longeant les hauts murs emperruqués de barbelés, comment on vivait là-dedans. Et j'ai vu.
La cage à folie du "mitard".
Les cellules sombres aux fenêtres grillées, minuscules, où paraît-il on logeait à trois ou à quatre. Les oeilletons au couvercle tordu rouillé souillé d'avoir été tant de fois retourné sur le vide.
La cour humide où l'on tournait en rond comme pauvre Lélian, une heure par jour et sans soleil. Les noms gravés sur les murs sourds, en lettres profondes comme la rage. Les dépouilles étranges des "missiles", ces objets interdits jetés de l'extérieur, restés pendus aux barbelés comme cadavres à leur gibet.
Et cette empreinte enfoncée dans le sol de la salle de sport... quel bond il avait fait, quelle énergie il avait mise à sauter, et comme il était lourdement retombé, celui qui l'avait laissée là, sur le lino usé.
Dans l'une des cellules ouvertes aux visiteurs, j'ai fait mon autoportrait au miroir fêlé :
Qu'il serait différent, ce monde si violent, ce monde si cruel, si chacun pouvait se regarder au miroir auquel l'autre se voit. Le criminel au miroir de sa victime. Le juge au miroir de son condamné. Le prisonnier au miroir de son gardien. Et le passant au miroir de tous ceux qui derrrière l'oeilleton purgent leur vie perdue.
Ce qui pourrait nous sauver du mal, ce n'est pas la sévérité, pas davantage la douceur. Non, ce qui pourrait nous sauver, c'est l'imagination. Seulement l'imagination, soeur jumelle de compassion.