Comme tant d'autres, j'ai laissé au repos ma voiture assoiffée. Sur son trottoir reverdi que les oiseaux regagnent, elle attend en broutant, cheval fourbu pas mécontent de rester dans son pré.
Plus d'essence. La panne...
Autrefois, quand la mer était calme, et qu'il fallait attendre un navire compagnon, ou que le menuisier du bord avait besoin d'un peu de temps pour réparer les mâts qu'une tempête avait ébranchés, on mettait ainsi le navire, voiles repliées, au repos, en panne.
Alors les marins désoeuvrés s'asseyaient. Ils regardaient passer dans le ciel les grands oiseaux de mer, remplissaient leurs bouteilles de bateaux chimériques, ou sculptaient sur des dents de requins des paysages et des visages qu'on n'avait jamais vus, et que la mer reprendrait, bientôt, quand elle aurait vidé leur sac.
La pénurie, la crise, le blocage... on peut en parler de bien des façons, évidemment. Tant de journaux et de télévisions s'y égosillent, en boucle, en scoop, en continu.
Mais nous, au moins, contraints de mettre en panne nos déplacements inutiles, nos courses frénétiques et nos rendez-vous minutés, forcés de nous asseoir, ou bien d'aller à pied, nous retrouvons, un peu, très peu, si peu, le rythme antique de la vie sans moteurs.
Une vie dont nous n'avions plus la moindre idée.
Lente comme un navire sous le vol des oiseaux.
Pas une vie facile. Juste une vie pas vite.
Une vie qu'on peut tenir entre ses mains, comme un petit morceau de temps, pour la regarder vivre, ou même la sculpter, lentement, ou l'emplir de chimères, avant qu'elle ne s'en reparte à la vague.