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Choix

Publié le par Carole

Choix
"Le bonheur est un choix" avait écrit celui qui avait fait d'un mur gris son tableau noir, pour nous donner leçon de morale et de vie.
Un choix, le bonheur ? Peut-être pas pour l'homme qui travaillait sur le trottoir, dans le froid du matin, à démêler lentement on ne savait quels fils à bâtir, pour la maison des autres.
Et moins encore pour la femme qui m'avait abordée tout à l'heure pour me demander une pièce, parce qu'elle était à la rue, qu'elle ne pouvait plus ni manger ni s'habiller, et que "tout le monde l'avait laissée tomber".
 
Non, le bonheur n'est pas un choix, c'est une chance, une chance très rare.
Mais lorsqu'on a la chance de pouvoir être heureux, ce serait une insulte à tous les malheureux de ce monde de ne pas le choisir 
comme il nous a choisis, par hasard et pour un instant, ce bonheur si volage. Et de ne pas l'aimer comme on aime les amants de passage - pour aujourd'hui, sans lendemain, à la folie.

Publié dans Fables

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Les ponts

Publié le par Carole

Il pleuvait, il ventait ce jour-là. Je suis passée courbée sur le pont Haudaudine.
Sous les arches noircies, une Loire vorace remuait sa cuillère de boue dans le flot bouillonnant. Cuisine de tempête, marmite de courants.
Parvenue sur le quai, levant enfin la tête, j'ai vu ce panneau sombre, pleurant comme une tombe.
Je me suis approchée pour le lire.
 
Les ponts
"Le voilà" me dit une voix étouffée.
Il était là, blanc comme un masque, badigeonné de chaux, et l'on ne distinguait que son visage, son cou et une partie de sa poitrine. Le reste du corps, les bras, les jambes, disparaissait dans le mur. 
 
Ismail Kadaré, Le Pont aux trois arches

 

Ainsi, le pauvre gars, il était mort ici. Tombé de son échafaudage aux mâchoires de la Loire pour nous bâtir un pont. Et on avait coulé son nom dans le métal comme on l'aurait emmuré. Un nom, pour tous les autres, les millions d'autres, qui n'avaient plus de nom.
C'était soudain tout à fait comme dans ces récits d'Ismail Kadaré, où les ponts sont scellés sur des cadavres humains qui leur servent de socle.
Le pont avait trois arches, notre pont Haudaudine... le fleuve remuait sa potion des jours noirs.
Alors, je ne sais pas ce qui m'a prise, face au panneau de bronze, sur le pont Haudaudine. Une sorte de vertige. Je les ai vus, tous. Partout, les ponts posés sur les cadavres. Et les siècles sans fin de peine humaine et d'humbles sacrifices, pour édifier les tours et dompter les courants, pour qu'on puisse à la fin marcher un peu plus loin, pas après pas vers l'au-delà, sur les fleuves et les gouffres, par-dessus l'impossible.
 
Ce monde est un monde d'ouvriers emmurés et de ponts. Où les pierres s'enracinent sur les corps. Où les os viennent tenir les arches. Pour que chaque vivant puisse aller d'une rive à l'autre son chemin d'avenir.
Un monde terrible. Un monde immense.
Un monde immense. Un monde terrible.
 

Publié dans Nantes

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Une feuille

Publié le par Carole

Une feuille
Au bord de ce petit chemin boueux que j'emprunte chaque jour pour attraper mon bus, il devait y avoir des jours qu'elle attendait, patiente comme un nid, que je m'arrête un peu.
Alors ce matin, quand je me suis penchée, agacée, pour rattacher un lacet indiscipliné qui prétendait me retarder en pataugeant salement dans l'ornière, je crois qu'elle en a profité.
Car tout à coup elle a été là, devant moi, tranquille et souveraine.
Humble merveille, elle avait tout son temps, puisqu'elle était le temps, posé comme un oiseau pâli sur la branche légère, 
la feuille morte encore attachée sur la tige, veillant sur le bourgeon qui grandissait vers son été.

Publié dans Fables

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Pâquerettes (réédition revue)

Publié le par Carole

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Au lendemain du carnaval, quand tous les confettis, fleurs des fêtes d'un jour, jonchent le sol de leurs brassées défaites, les pâquerettes écrasées sous les pas se déplientdéfroissent un à un leurs pétales, remaquillent leurs collerettes. Se remettent debout. 
C'est qu'elles n'ont pas fini, ces patientes de Pâques, le long chemin qui conduit les saisons. C'est qu'elles sont en route, tranquilles pèlerines, vers tous les chants d'oiseaux.
 
Enfant, j'aimais cette vigueur modeste des pâquerettes, qui surgissaient du gel toutes minces élancées, pour parler du bonheur. A Pâques, chez mes grands-parents, dans le jardin de Guéret où nous passions les fêtes, elles poussaient dru dans les flaques de neige qu'avait laissées l'hiver. Je me souviens d'avoir cherché, dans l'herbe frottée de givre, de froids lapins enveloppés de papier d'aluminium, et bien des oeufs brillants tout tachetés de boue. M'accroupissant parmi les fleurs, fermière des promesses du monde, je les moissonnais pour entasser sur leur corps tous mes trésors précaires. Longtemps, je le savais, silencieuses et douces, elles garderaient ouverts leurs yeux dorés, comme autant de petits soleils, au fond de mon panier plein d'ombre.
 
Il me semblait que chacun de leurs pétales contenait un jour de ce printemps qui venait de renaître. Aussi je les effeuillais anxieusement pour savoir combien de temps il durerait encore. Jamais je ne trouvais assez de pétales, et je recommençais toujours. J'avais beau les cueillir par poignées, détruire impitoyablement la spirale parfaite de leur fraîche couronne, elles renaissaient sans cesse, sans un reproche, et celles que j'avais piétinées se redressaient toujours dans l'herbe, sans mot dire, pour que je les cueille, et les effeuille, et les piétine encore. Au soir, quand elles se refermaient, elles étaient toujours du même rose ardent et fragile que le ciel.
 
Mais il fallait quitter Guéret par des routes qui tournaient comme le temps. Quand je revenais aux grandes vacances, l'été brûlant avait séché les pâquerettes du jardin, et le vent les jetait aux insectes dans l'herbe crépitante, confettis tristes et fanés, rebut des fêtes du printemps.
 
Plus tard, j'ai appris que les pâquerettes n'ont en réalité pas de pétales, mais des dizaines de petites fleurs ligulées, entourant un coeur jaune lui-même composé de dizaines d'autres fleurs tubulées. Ainsi, chaque fleur capitule tourne au vent sur sa tige comme un bouquet minuscule et pourtant immense, composé de tant de fleurs jaunes et blanches qu'aucun enfant ne pourrait les compter.
 
Pourquoi, cependant, n'ai-je jamais pu trouver une pâquerette dont le coeur vivace aurait été piqué d'assez de fleurs à effeuiller
pour que rien ne se meure,
que le printemps dure à jamais,
au jardin disparu de Guéret ?

Publié dans Enfance

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L'autre son des cloches

Publié le par Carole

Louvain - Belgique - Un carillonneur interprète "Imagine" de Lennon

Il m'a rappelé le violoncelliste de Sarajevo, il y a vingt ans, jouant obstinément sous les tirs des snipers l'irréductible mélodie des hommes, ce carillonneur belge, venu sonner hier pour tous les morts et les vivants en deuil.
Quelques notes très grêles au-dessus de la ville. Quelques notes si faibles, juste au-dessus des larmes. Quelques notes fragiles assourdies par la nuit, pour sonner tout ensemble le glas des morts et les heures de l'espoir.
Je pense que John Lennon aurait aimé l'entendre, quand il est tombé sous les balles de son assassin, ce tintement léger dans la fureur du monde. Et peut-être l'a-t-il tout de même entendu, malgré tout, une dernière fois, dans les battements affaiblis - ailes de papillon brisées - de son coeur s'éteignant.
 
Quand la barbarie veut tout étouffer de cris et de sang, quand l'horreur veut nous priver de bonheur et de rêve pour installer son règne, c'est tellement peu de chose, et pourtant tellement nécessaire, de l'entendre encore résonner, si doux, si frêle, l'autre son des cloches : celui de l'humanité, fragile et incertaine, mais toujours, toujours, toujours là.

Publié dans Divers

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Marronniers

Publié le par Carole

Marronniers
Tout le monde les connaît, ces "marronniers", qui viennent, de temps à autre, dans nos journaux, éventer de quelques feuilles légères les encalminages fugitifs et les brèves accalmies de l'actualité
J'ai appris récemment que l'expression provient d'un vrai marronnier du jardin des Tuileries, un marronnier rose, qui avait prospéré, disait-on, sur le corps des gardes du roi massacrés, en 1792. Il avait l'habitude d'annoncer le printemps en fleurissant avant les autres, et, régulièrement, on en donnait de florissantes nouvelles dans les journaux. D'abord très ardents et chargés de messages politiques enflammés, peu à peu ces articles s'étaient apaisés, si bien qu'on ne les "sortait" plus à la fin qu'aux jours calmes, et que tous les lecteurs avaient fini par se prendre d'amour pour leur vieil arbre, de plus en plus pâle et délicat, et en cela semblable à tous les vieux marronniers de ce monde, qu'il avait fallu finalement abattre, après son dernier printemps, en 1913. On en avait replanté un autre, jeune et frais, bien sûr - un joli marronnier sans histoire... mais, de celui-là, nul n'a jamais eu de nouvelles. Il y avait, n'est-ce pas, bien d'autres choses à raconter, en 14...
Cela m'a laissée rêveuse.
Si seulement les "marronniers" avait pu l'emporter...
Je n'ai pas pu m'empêcher d'imaginer ce que serait un monde où nos journaux et nos écrans, au lieu de "couvrir", dans la terreur ou la fièvre, ces guerres et ces attentats, ces meurtres et ces scandales que chaque jour moissonne, n'auraient plus rien à faire, jamais, qu'à nous donner, en boucle et en détail, en exclusivité et en TNT, des nouvelles des marronniers roses et blancs, des cerisiers d'ici et de là-bas, des érables et des noisetiers, des violettes, des tulipes, du chant des merles et du retour des hirondelles. 
Un autre monde, vraiment, un autre monde.
Mais pouvons-nous encore rêver ?
 
Je ne sais pas, vraiment pas. Mais j'ai vu hier que nos grands marronniers du Cours Saint-Pierre ont, cette année encore, poussé hardiment, tendrement, vers un nouveau printemps, leurs douces fleurs nacrées, sous le corset relâché des bourgeons.
 

Publié dans Fables

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Par les cornes !

Publié le par Carole

Par les cornes !
L'un nous parant la viande, l'autre allongeant nos crins,
Artistes en magasin, poètes à leur façon,
Ces deux marchands malins s'étaient en bons voisins
Passé la bête à cornes et le bétail à laine
Pour le dire d'un sourire en manière d'unisson
Aux oisifs, aux passants qui bayaient aux corneilles :
 
" Cela ne suffit pas de peigner le bison,
La girafe, le buffle, le crincrin, le mouton,
Cela ne suffit pas, ne fait pas un destin.
C'est par les cornes qu'il faut les prendre et les tenir,
Les clients, les taureaux, le bonheur, l'avenir,
La chance et l'espérance, la fortune et la lune.
 
Par les cornes la vie !
Par les cornes, on vous dit ! "
 

Publié dans Fables

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ça va aller

Publié le par Carole

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Tout à l'heure, au centre commercial, je me suis acheté une paire de chaussures. En me tendant le ticket de caisse, la vendeuse m'a fait observer qu'il ne me servirait de toute façon pas à échanger l'article.
-Ah, pourquoi ?
-Le magasin va fermer.
Rien ne l'indiquait pourtant.
-Fermer ? Complètement ?
-Oui. Il n'existera plus.
J'ai dit, bêtement : - C'est dommage.
-Pour nos emplois surtout !
-Oh, je suis désolée... pour vous... !
-Vous inquiétez pas pour moi, ça va aller !
Elle a dit cela du même ton que ces grands malades qui, lorsqu'on leur demande de leurs nouvelles, n'en ayant que de terribles à donner, repoussent votre pitié -"Oh, ça ira, ne vous tourmentez pas pour moi, j'en ai vu d'autres ! "- parce qu'on n'a pitié que de ceux qui n'ont plus d'espoir, et que l'espoir est la dernière cheville retenant à la vie les corps qui se défont, celle qu'il ne faut jamais lâcher.
 
Il m'a semblé bizarrement sinistre, à la sortie de la boutique, le mannequin démonté de la vitrine d'à côté. Comme si ses tronçons ternis, rayés, usés, avaient attendu là, patients et obscurs, l'imprévisible choix du maître capricieux qui pouvait décider de les remonter en forme d'humains, ou de les renvoyer à l'entrepôt dans le panier à déchets.
 

Publié dans Fables

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Les reflets

Publié le par Carole

    De ses yeux fatigués, le vieux Yamagawa suit les reflets dorés que le soir nonchalant gaufre sur l’eau ridée. Une lune encore pâle y descend comme en barque vers l’ombre des montagnes, et sur le ventre noir des grands nuages gorgés de pluie qui se sèchent au soleil, les libellules infimes aiguisent les rayons de leurs ailes battantes.
    Le monde ressemble à ces reflets, pense-t-il, toujours neuf et si vieux, sombre et toujours lumineux, immense et minuscule. Le monde est comme la rivière, il s’écoule avec elle, et s’en va vers la mer, plus loin que l’horizon, mais s’en revient toujours avec la pluie, quand les nuages égouttent leurs filets sur la montagne qui se noie, et que les gouttelettes, haricots bleus du jour, rebondissent et ricochent – zaa zaa potsu potsu – pour tracer le sillon du temps qui recommence. [...]
 

suite du récit à lire sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

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Escaliers

Publié le par Carole

A Toi, vieil escalier, que longtemps j'ai grimpé, de palier en palier, m'arrêtant pour souffler, ahanant d'illusions, aux obscures stations de mon humble calvaire.

A Toi, vieil escalier, que longtemps j'ai grimpé, de palier en palier, m'arrêtant pour souffler, ahanant d'illusions, aux obscures stations de mon humble calvaire.

 
Je viens de lire que des savants canadiens avaient formellement établi que grimper les escaliers était un moyen presque aussi sûr de rajeunir son cerveau que d'étudier. Eh oui... selon leur très savante étude, un savetier qui, sa vie durant, escaladerait en sifflotant son maudit escalier de bois vermoulu, jusqu'au petit studio du sixième sans ascenseur que la faiblesse de ses ressources l'a contraint de louer, au lieu de se prélasser dans l'ascenseur doré qui s'envole, impérial, du hall de marbre de son voisin financier, rajeunirait son cerveau de 0,58 années par ascension de deux étages quotidiennement entreprise, soit 3 fois o,58 années qui font 1,74 ans, tandis qu'un étudiant vieilli sous le harnais rajeunirait seulement le sien de 0,95 an à chaque redoublement.
Si vous avez, comme moi, l'esprit de l'escalier, vous voici déjà tout à fait étourdi, je m'en doute. Aussi j'arrête ici ma modeste tentative de rajeunir votre cerveau par les degrés de la multiplication et les spirales vertigineuses de la grammaire et de la fable...
 
Je me suis toujours demandé qui pouvait bien imaginer de monter, en guise d'escalier - ou d'ascenseur social peut-être ces recherches insolites et frivoles où l'on se penche avec minutie et passion sur  - je cite au hasard et dans le désordre - les effets salutaires des pépins de pamplemousse relativement à la santé des poumons, l'intérêt prééminent d'ouvrir trois fois par jour ses orteils en forme d'éventail pour maintenir l'équilibre de ses vertèbres, ou le nombre de grains de sésame - à moins que ce ne soit d'ellébore - qu'il est nécessaire d'absorber à la treizième bouchée de chaque repas pour éviter la dépression... Sans doute s'agit-il seulement d'augmenter les tirages de journaux essoufflés, courant l'article pour faire grimper leurs ventes.
 
Tout de même... au fond, cette histoire d'escaliers studieux... elle n'est pas si bête, cette fois, pas si bête...
 
Grimpez, étudiez...  allégez vos misères, oubliez vos lourdeurs, méprisez vos paresses. Et chaque jour cherchez, un peu plus haut, à l'étage du dessus, ou simplement à l'entresol, l'humble effort qui élève... Vers ce qui vous appelle, vers ce qui vous grandit, hissez-vous, avancez, et grimpez. Grimpez toujours, à petits sauts ou à bonds de chamois, de marche étroite en rocher vacillant, sans jamais vous lasser, grimpez... chaque jour posez-vous, ne serait-ce qu'un peu, ne serait-ce qu'à peine, au-dessus de ce que vous étiez la veille.
Au bout du compte, sur le dernier palier ou l'ultime sommet, je ne sais pas de combien d'années votre cerveau aura rajeuni, mais vous, vous,
vous serez enfin
devenu
vous-même.
 

Publié dans Fables

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