Escaliers
A Toi, vieil escalier, que longtemps j'ai grimpé, de palier en palier, m'arrêtant pour souffler, ahanant d'illusions, aux obscures stations de mon humble calvaire.
Je viens de lire que des savants canadiens avaient formellement établi que grimper les escaliers était un moyen presque aussi sûr de rajeunir son cerveau que d'étudier. Eh oui... selon leur très savante étude, un savetier qui, sa vie durant, escaladerait en sifflotant son maudit escalier de bois vermoulu, jusqu'au petit studio du sixième sans ascenseur que la faiblesse de ses ressources l'a contraint de louer, au lieu de se prélasser dans l'ascenseur doré qui s'envole, impérial, du hall de marbre de son voisin financier, rajeunirait son cerveau de 0,58 années par ascension de deux étages quotidiennement entreprise, soit 3 fois o,58 années qui font 1,74 ans, tandis qu'un étudiant vieilli sous le harnais rajeunirait seulement le sien de 0,95 an à chaque redoublement.
Si vous avez, comme moi, l'esprit de l'escalier, vous voici déjà tout à fait étourdi, je m'en doute. Aussi j'arrête ici ma modeste tentative de rajeunir votre cerveau par les degrés de la multiplication et les spirales vertigineuses de la grammaire et de la fable...
Je me suis toujours demandé qui pouvait bien imaginer de monter, en guise d'escalier - ou d'ascenseur social peut-être - ces recherches insolites et frivoles où l'on se penche avec minutie et passion sur - je cite au hasard et dans le désordre - les effets salutaires des pépins de pamplemousse relativement à la santé des poumons, l'intérêt prééminent d'ouvrir trois fois par jour ses orteils en forme d'éventail pour maintenir l'équilibre de ses vertèbres, ou le nombre de grains de sésame - à moins que ce ne soit d'ellébore - qu'il est nécessaire d'absorber à la treizième bouchée de chaque repas pour éviter la dépression... Sans doute s'agit-il seulement d'augmenter les tirages de journaux essoufflés, courant l'article pour faire grimper leurs ventes.
Tout de même... au fond, cette histoire d'escaliers studieux... elle n'est pas si bête, cette fois, pas si bête...
Grimpez, étudiez... allégez vos misères, oubliez vos lourdeurs, méprisez vos paresses. Et chaque jour cherchez, un peu plus haut, à l'étage du dessus, ou simplement à l'entresol, l'humble effort qui élève... Vers ce qui vous appelle, vers ce qui vous grandit, hissez-vous, avancez, et grimpez. Grimpez toujours, à petits sauts ou à bonds de chamois, de marche étroite en rocher vacillant, sans jamais vous lasser, grimpez... chaque jour posez-vous, ne serait-ce qu'un peu, ne serait-ce qu'à peine, au-dessus de ce que vous étiez la veille.
Au bout du compte, sur le dernier palier ou l'ultime sommet, je ne sais pas de combien d'années votre cerveau aura rajeuni, mais vous, vous,
vous serez enfin
devenu
vous-même.