ça va aller
.
Tout à l'heure, au centre commercial, je me suis acheté une paire de chaussures. En me tendant le ticket de caisse, la vendeuse m'a fait observer qu'il ne me servirait de toute façon pas à échanger l'article.
-Ah, pourquoi ?
-Le magasin va fermer.
Rien ne l'indiquait pourtant.
-Fermer ? Complètement ?
-Fermer ? Complètement ?
-Oui. Il n'existera plus.
J'ai dit, bêtement : - C'est dommage.
-Pour nos emplois surtout !
-Oh, je suis désolée... pour vous... !
-Vous inquiétez pas pour moi, ça va aller !
Elle a dit cela du même ton que ces grands malades qui, lorsqu'on leur demande de leurs nouvelles, n'en ayant que de terribles à donner, repoussent votre pitié -"Oh, ça ira, ne vous tourmentez pas pour moi, j'en ai vu d'autres ! "- parce qu'on n'a pitié que de ceux qui n'ont plus d'espoir, et que l'espoir est la dernière cheville retenant à la vie les corps qui se défont, celle qu'il ne faut jamais lâcher.
Il m'a semblé bizarrement sinistre, à la sortie de la boutique, le mannequin démonté de la vitrine d'à côté. Comme si ses tronçons ternis, rayés, usés, avaient attendu là, patients et obscurs, l'imprévisible choix du maître capricieux qui pouvait décider de les remonter en forme d'humains, ou de les renvoyer à l'entrepôt dans le panier à déchets.