Marronniers
Tout le monde les connaît, ces "marronniers", qui viennent, de temps à autre, dans nos journaux, éventer de quelques feuilles légères les encalminages fugitifs et les brèves accalmies de l'actualité
J'ai appris récemment que l'expression provient d'un vrai marronnier du jardin des Tuileries, un marronnier rose, qui avait prospéré, disait-on, sur le corps des gardes du roi massacrés, en 1792. Il avait l'habitude d'annoncer le printemps en fleurissant avant les autres, et, régulièrement, on en donnait de florissantes nouvelles dans les journaux. D'abord très ardents et chargés de messages politiques enflammés, peu à peu ces articles s'étaient apaisés, si bien qu'on ne les "sortait" plus à la fin qu'aux jours calmes, et que tous les lecteurs avaient fini par se prendre d'amour pour leur vieil arbre, de plus en plus pâle et délicat, et en cela semblable à tous les vieux marronniers de ce monde, qu'il avait fallu finalement abattre, après son dernier printemps, en 1913. On en avait replanté un autre, jeune et frais, bien sûr - un joli marronnier sans histoire... mais, de celui-là, nul n'a jamais eu de nouvelles. Il y avait, n'est-ce pas, bien d'autres choses à raconter, en 14...
Cela m'a laissée rêveuse.
Si seulement les "marronniers" avait pu l'emporter...
Je n'ai pas pu m'empêcher d'imaginer ce que serait un monde où nos journaux et nos écrans, au lieu de "couvrir", dans la terreur ou la fièvre, ces guerres et ces attentats, ces meurtres et ces scandales que chaque jour moissonne, n'auraient plus rien à faire, jamais, qu'à nous donner, en boucle et en détail, en exclusivité et en TNT, des nouvelles des marronniers roses et blancs, des cerisiers d'ici et de là-bas, des érables et des noisetiers, des violettes, des tulipes, du chant des merles et du retour des hirondelles.
Un autre monde, vraiment, un autre monde.
Mais pouvons-nous encore rêver ?
Je ne sais pas, vraiment pas. Mais j'ai vu hier que nos grands marronniers du Cours Saint-Pierre ont, cette année encore, poussé hardiment, tendrement, vers un nouveau printemps, leurs douces fleurs nacrées, sous le corset relâché des bourgeons.