Marronniers

Publié le par Carole

Marronniers
Tout le monde les connaît, ces "marronniers", qui viennent, de temps à autre, dans nos journaux, éventer de quelques feuilles légères les encalminages fugitifs et les brèves accalmies de l'actualité
J'ai appris récemment que l'expression provient d'un vrai marronnier du jardin des Tuileries, un marronnier rose, qui avait prospéré, disait-on, sur le corps des gardes du roi massacrés, en 1792. Il avait l'habitude d'annoncer le printemps en fleurissant avant les autres, et, régulièrement, on en donnait de florissantes nouvelles dans les journaux. D'abord très ardents et chargés de messages politiques enflammés, peu à peu ces articles s'étaient apaisés, si bien qu'on ne les "sortait" plus à la fin qu'aux jours calmes, et que tous les lecteurs avaient fini par se prendre d'amour pour leur vieil arbre, de plus en plus pâle et délicat, et en cela semblable à tous les vieux marronniers de ce monde, qu'il avait fallu finalement abattre, après son dernier printemps, en 1913. On en avait replanté un autre, jeune et frais, bien sûr - un joli marronnier sans histoire... mais, de celui-là, nul n'a jamais eu de nouvelles. Il y avait, n'est-ce pas, bien d'autres choses à raconter, en 14...
Cela m'a laissée rêveuse.
Si seulement les "marronniers" avait pu l'emporter...
Je n'ai pas pu m'empêcher d'imaginer ce que serait un monde où nos journaux et nos écrans, au lieu de "couvrir", dans la terreur ou la fièvre, ces guerres et ces attentats, ces meurtres et ces scandales que chaque jour moissonne, n'auraient plus rien à faire, jamais, qu'à nous donner, en boucle et en détail, en exclusivité et en TNT, des nouvelles des marronniers roses et blancs, des cerisiers d'ici et de là-bas, des érables et des noisetiers, des violettes, des tulipes, du chant des merles et du retour des hirondelles. 
Un autre monde, vraiment, un autre monde.
Mais pouvons-nous encore rêver ?
 
Je ne sais pas, vraiment pas. Mais j'ai vu hier que nos grands marronniers du Cours Saint-Pierre ont, cette année encore, poussé hardiment, tendrement, vers un nouveau printemps, leurs douces fleurs nacrées, sous le corset relâché des bourgeons.
 

Publié dans Fables

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Q
Je ne sais pas... mais j'espère cependant qu'un jour nous apprendrons des arbres ce que nous avons oublié.<br /> Merci, Carole.
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A
Ça m'a fait penser à ce titre de livre :<br /> <br /> https://saintyrieixlaperche.wordpress.com/2013/04/05/memoires-dun-marronnier-dinde/<br /> <br /> Je ne l'ai pas lu. J'ai pensé que dutheillet venait peut-être du terme occitan pour marronnier d'Inde. Or teil signifie tilleul. Rien à voir. Je poursuis ma recherche !<br /> <br /> Ah cours St-Pierre, c'est en avant sur le marronnier que je vois de mon fenetrou.
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C
Merci pour le lien, je chercherai le livre.
N
Des marronniers hélas bien douloureux, par les temps qui courent...
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D
Bonjour, <br /> Il y a des coincidences terribles. Lire votre article qui imagine un monde qui parle de marronniers et de fleurs, juste après avoir lu à propos de morts à Bruxelles, c'est terrible. <br /> À propos de marronniers, j'ai toujours été charmé par celui de la ville de Genève, le marronnier de la Treille. Il faut lire à ce propos, ça montre que le monde n'est pas que laideur et terreur. http://ge.ch/grandconseil/data/divers_publication_pdf/marronnier_officiel.pdf
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C
Merci de ce lien. Un jour viendra peut-être où nous pourrons les regarder comme ils le méritent, dans la paix, ces beaux "marronniers".
C
Je lis votre texte alors que je viens d'apprendre qu'il y a eu un attentat dans le métro de Bruxelles... Je veux cependant regarder les marronniers en fleurs.
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C
J'ai révisé mon texte initial, rédigé hier soir. L'actualité, décidément, ne nous laisse aucun répit.
C
En effet, je viens de l'apprendre moi aussi. Les terroristes sont ces monstres qui veulent nous priver tous de "marronniers" et de bonheur, obstinément et cruellement.
A
Les journalistes peuvent envoyer leur « marronniers » et autres infos dramatiques. A cette époque, tout le monde ne pense, enfin, qu’à une chose : l’arrivée du printemps et les beaux jours à venir.<br /> Le nature, immuable, en pleine explosion, se moque totalement de l’humanité grouillante qui l’entoure. Elle ne peut attendre… <br /> Tels les impressionnistes, plantons un chevalet imaginaire et regardons.
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A
Oh ! Carole, quelle merveilleuse idée tu nous apportes là, avec ton délicat pinceau autour d'une notion que j'ignorais - un sens caché de "marronnier" dans le vocabulaire journalistique. Mais pourquoi serait-ce moins "humain" ? Qu'est-ce qui est préférable, de la Vie à ses humeurs ? Dans un paysage, préfère-t-on les nuages à la majesté des cimes ? Et quand les sadhus de Bénarès se baignent dans le Gange, trouvent-ils dommage de ne plus prêter attention au saletés voguant sur l'eau du fleuve ?
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A
C'est vrai, l'essentiel est bien là, cette nature sans laquelle nous ne pourrions pas vivre mériterait un peu plus notre attention pour la préserver d'une part et aussi tout simplement notre émerveillement. Mais je me souviens que lorsque je vivais à Paris, la renaissance des marronniers était tout de même un petit évènement pour beaucoup de parisiens.
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J
Ce n'est pas faux Carole, mais les petits bonheurs ne sont pas vendeurs et les gens avides de sensations plus forte, snif....
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M
Je te suis sur ce chemin là Carole. Tu as bien raison<br /> ;)
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H
Si l'on pouvait davantage regarder le monde, on finirait peut-être par se voir vraiment. On se verrait beaux. Mais encore faudrait-il assumer cette beauté... Nous serait-il plus facile de fuir la réalité des arbres et des oiseaux et des fleurs dans la folie humaine?
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