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Les tilleuls

Publié le par Carole

tilleul-bellier.jpg
 
Il suffit de passer, en juin, sous un tilleul en fleurs, pour que tout soit de nouveau là, intact : la chaleur qui s'allonge dans les ombres du soir, et l'appel monotone des tourterelles lentes, tandis que l'enfant, libre comme un jeune arbre au dernier jour d'école, s'avance dans la rue gardée de vieux tilleuls, balançant son cartable, vers l'été des vacances qui ne pourra jamais finir.
Et c'est toujours la même stupeur, et c'est toujours le même bonheur, quand on s'en va, en juin, dans l'odeur des tilleuls : que ce soit justement le plus impalpable qui nous fasse franchir les années, que ce soit le plus périssable qui sache seul guider notre mémoire vers son éternité.

 

Publié dans Enfance

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Les voisins

Publié le par Carole

    J'ai visité l'appartement par un beau soir d'automne. Un soleil roux et tiède entrait avec le vent par les fenêtres ouvertes. Dans la chambre la plus vaste, celle qui donnait sur le parc, celle d'où on voyait la rivière frissonner sous les arbres, celle où bien sûr j'installerais mon Voltaire, le jeune négociateur qui m'accompagnait m'a tout de suite fait remarquer la qualité du parquet. De très belles lames de hêtre blond. Première qualité. Un sol très propre, et lumineux comme un miroir [...]
 
suite du récit sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

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Le champignon d'Hectot

Publié le par Carole

Jardin des Plantes de Nantes - Le magnolier d'Hectot

Jardin des Plantes de Nantes - Le magnolier d'Hectot

Je l'ai déjà photographié, celui-là.
Au début, j'ai cru qu'il s'agissait d'une fantaisie nouvelle de Claude Ponti.
Qu'on avait dessiné un visage à notre arbre, pour amuser le passant, et bien lui rappeler que les arbres et les hommes forment un même peuple...
Puis j'ai compris que non. Que c'était un vrai champignon. Un lignicole, un lignivore, un polyphore, un ganoderme, un saprophyte, une fistuline ou un... je ne sais pas...
 
...mais je suis sûre qu'il grossit. Saison après saison. Inéluctablement. Qu'il noircit. Qu'il s'enkyste et qu'il s'alourdit. Qu'il l'entraîne, notre biséculaire magnolier d'Hectot, de son poids de tortue, de son grand bec d'oiseau des îles, de ses lèvres serrées de coquillage.
Qu'il l'entraîne, mais vers quoi ?
Vers cette boue d'en-bas où tous les géants de ce monde finissent par s'étendre, vaincus?
Vers le ciel où le vieil arbre lance encore, lui le grandiflora, ses fleurs de nénuphar aussi légères et blanches que des nuages d'été ?
Ou vers la mer, là-bas, d'où jadis il nous vint, dans le grincement du vent et l'enchantement des îles, et l'angoisse des naufrages ?
 
Je n'en sais rien, 
mais l'arbre, peu à peu, je le vois bien, docile et las, il se laisse tirer par ce poids sur sa peau, par ce chancre grossi comme un coeur sur son corps tout palpitant d'insectes.
 
 
On dit que les grands champignons des troncs poussent sur les blessures des arbres, comme des cicatrices qui s'abreuvent de sève.
On dit aussi que tous ne sont pas mortels.
Celui-là n'est peut-être après tout qu'un parasite inoffensif, venu en profiteur pour taper le carton avec son vieux copain d'Hectot et boire à sa santé son riche alcool de sève...
 
Seulement j'ai toujours l'impression qu'il ressemble à la bouche du temps.
Chaque saison plus sèche, plus dure et plus vorace. Mâchant la vie pour en faire de la mort, mâchant la mort pour en faire de la vie. Mâchant le bois pour lui donner sa forme. Mâchant le monde pour lui donner pâture.
Et qu'il a poussé là pour nous en avertir : l'arbre si vieux que nous avions fini par le croire immortel, las de porter son bel habit d'éternité, quand les lèvres du temps l'auront bien remâché, 
comme un géant vaincu, comme une feuille éteinte échouée sur le sable, comme un bateau perdu sur ses vagues fantômes,
comme tous les arbres en ce monde,
comme chacun de nous,
un jour,
bientôt peut-être
se couchera
laissant ses fleurs, au loin,
dans un dernier baiser,
s'en aller vers le ciel,
s'en aller ver la mer,
s'en aller vers la terre,
s'en aller.
 
 

Publié dans Nantes

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Rue de la Convention

Publié le par Carole

Rue de la Convention
Je me posais cette question, tout à l'heure, rue de la Convention, dans ce vieux village républicain de Chantenay où les boulevards s'appellent encore Liberté, Egalité et Fraternité :
La Convention, combien sauraient encore ce que ce mot veut dire, si on interrogeait, en ce jour d'élections législatives, non seulement ceux qui iront voter et ceux qui n'iront pas, mais même ceux qu'ils éliront et ceux qu'ils n'éliront pas ?
 
Il y a longtemps que nous ne la connaissons plus sur le bout des dates, l'histoire de nos institutions. Et c'est dommage.
Mais après tout ça ne change pas grand chose. Car l'Histoire, elle, est comme le petit bonhomme vert qui court, intrépide, devant nous, chaque fois que nous traversons au feu.
Ignorante ou savante, elle s'en va toujours pressée, dès que la route est libre, et, quoi qu'on vote ou ne vote pas, il ne reste rien d'autre à faire, quand elle s'est élancée, qu'à courir derrière elle, sans bien savoir pourquoi, sans bien savoir pour où.

Publié dans Divers

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Le triomphe du charcutier

Publié le par Carole

Le triomphe du charcutier
C'était comme un arc au triomphe tranquille, accoudé en vieil artisan sur un coin de vitrine, au milieu du pâté effondré des maisons démolies.
Deux piliers de passé en tablier bien rouge et en bleu de faïence. Une transparence de vitrine éclatée où flottaient encore vaguement des sourires de comptoir, des salutations de quartier derrière la caisse enregistreuse, et des frémissements de balance pesant à sous de pauvres gens chaque gramme de viande.
 
On ne démolit plus, à Nantes, ces façades de petits commerces que les Italiens de chez Jean Cortina sertirent de céramiques bon marché, colorées et inventives comme des bijoux Art Déco. Et ce bel arc, avec ses camaïeux de rouge, ses feuilles d'acanthe géométriques et ses lettres lamées d'argent, triomphe du travail bien fait et de la patience du carreleur, valait vraiment la peine qu'on s'était donnée pour le sauver, à coups de classements et de directives patrimoine.
 
J'ai essayé d'imaginer de quoi elle aurait l'air plus tard, une fois construite, la façade du grand ensemble en chantier, avec sa porte charcutière au triomphe d'arc modeste, hissant les couleurs du passé sur le béton grisâtre du présent.
Ce serait une étrange chimère, à coup sûr. Mais pas plus que nos rues piétonnes et muséifiées, pas plus que nos châteaux-forts restaurés tout confort, pas plus que...
Car c'est ainsi, aujourd'hui. De même que les villes du moyen âge, terrifiées par les raids à venir, bâtissaient leurs remparts avec la pierre des monuments romains, nous autres les Modernes, pleins du remords d'avoir détruit des mondes pour les rebâtir en poussière de béton, nous tentons de sertir nos existences grises dans les pans de beauté et de vies effondrées que nous sauvons des ruines. Espérant sans y croire, en nos coeurs mécréants de démolisseurs, que ces arches trop fragiles nous sauveront nous-mêmes de notre écroulement programmé.
 

Publié dans Nantes

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Monsieur Menuet et mademoiselle Chanson

Publié le par Carole

Monsieur Menuet et mademoiselle Chanson
Fleurie, engazonnée comme un petit jardin, la boîte aux lettres avait l'air de me faire cygne... je veux dire, de me faire signe. Qui donc s'était logé là, sous ce toit de fleurs bleues, dans cette charmante boîte à billets doux ?
 
"Monsieur Menuet et mademoiselle Chanson".
 
Monsieur Menuet et mademoiselle Chanson... comme c'est joli... ! C'est merveilleux qu'ils habitent quelque part en ce monde, ensemble, ces deux-là, et que justement il me soit donné aujourd'hui de passer devant leur demeure enchantée.
 
Monsieur Menuet et mademoiselle Chanson ? vraiment ? Je reviens sur mes pas. Et là, je lis, résignée, ce qu'il faut et toujours fallut lire : "Mr Menut / Melle Chanson". 
Monsieur Menuet, c'était mon regard qui l'avait inventé. 
 
Cela m'arrive si souvent, de lire un mot pour un autre, et d'y croire un instant, avant de revenir à ce qu'on s'obstine à appeler la réalité. Pas plus tard qu'hier, par exemple, sur un vieux mur, j'ai aperçu une affiche noire et déchirée qui annonçait : "Explosion de photos"... J'y ai cru, comme toujours, avant de comprendre, déçue, qu'il s'agissait d'une banale exposition de photos, qui plus est déjà révolue.
 
Le monde où nous vivons est un monde plein de mots. Un monde d'informations et d'injonctions. Alors notre esprit insoumis, parfois, choisit la distraction. Il bouscule les lettres, fait son petit surréaliste. Il veut lire de traverse et poser sa chanson, en menuet tressautant, sur les débris de l'évidence. Bien sûr, ça ne dure qu'un instant. Juste le temps de se dire qu'il y aurait là, peut-être, un bout de chemin marabout de ficelle qui aurait pu nous mener, par ses détours et ses lacets, jusqu'au pays de poésie qui est en chaque vie.
Et puis sottement on vérifie, bêtement on se reprend.
"Monsieur Menuet et mademoiselle Chanson", c'était tellement idiot, maintenant qu'on y repense...
 
 

Publié dans Fables

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Un sourire

Publié le par Carole

Un sourire
Je l'ai déjà photographié plusieurs fois.
Je ne peux pas m'empêcher de venir vérifier, de temps à autre, s'il est toujours là.
Le clown.
C'est un vieux clown maintenant, un vieux clown avec un vieux sourire. Un sourire de six ans... Peu de gens y parviennent, à sourire six ans durant. A sourire six ans durant derrière la grille d'une boutique désespérément close.
 
Je ne sais pas pourquoi on l'a laissé là, lorsqu'on a tourné pour la dernière fois la clé dans la serrure. Pourquoi il est resté tout seul, derrière la grille qui se rongeait de rouille, à sourire, à attendre. 
Peut-être est-ce justement à cause de son sourire. Ou alors à cause de la date sur l'affiche, marquant le temps fatal de l'échec et de la disparition, comme ces horloges qu'on arrêtait, jadis, dans la chambre des morts. Ou bien par dérision, pour narguer aussi bien la faillite que les espoirs passés. A moins que ce ne soit simplement par lassitude, parce que, dans la fatigue du déménagement, arracher cette mince affiche avait soudain semblé un effort aussi inutile qu'insurmontable. 
Toujours est-il qu'il est resté là, derrière sa grille, à nous regarder vivre, à s'effacer dans son sourire.
Chaque fois que je reviens le voir, il est un peu plus pâle, il est un peu moins rouge, il est un peu plus bleu. Et les contours de son corps se confondent de plus en plus avec la saleté qui macule la vitre cassée. Mais son sourire, lui, reste pur et bien visible, dans la courbe charnue de ses lèvres, dans l'éclat de son oeil bien ouvert. Un vrai sourire de clown, tout pailleté d'enfance et de mélancolie.
Bientôt il ne restera rien de lui. Sauf son sourire. C'est son sourire qui s'en ira le dernier. Comme celui du chat du Cheshire, son sourire restera encore quelques moments, quand il n'y aura plus rien, sur la vitre brisée, à flotter dans le vide, à faire comme si la mort n'était pas tout à fait la mort.
Comme tous les sourires de ce monde. La dernière chose à s'effacer.

Publié dans Fables

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L'amour bleu

Publié le par Carole

A la sortie du cinéma, sur le mur qui sentait l'urine, quelqu'un avait écrit :
 

En ronde bleue, les lettres s'élançaient à l'assaut du ciment. Trempé dans l'encre de là-haut, l'amour s'écrivait sur les ombres et courait bleu de ciel, comme un lierre en été sur son pan de mur gris.

Un peu plus loin, il y avait encore ce message, encore ces grandes lettres nouées et enlacées à déliés et à pleins, comme on s'embrasserait, emportées vers leur ciel :
 

Dans toute la rue, sur les compteurs à gaz, sur les bornes ennuyées et les murs délaissés, sur tout le laid qui écrasait la joie, cela grimpait, battait et bleuissait, comme le sang vivant remontant vers le coeur :
 
 bleu 
l'amour bleu
l'amour bleu l'amour bleu
amour
 
Je me demande toujours qui nous écrit ces messages.
Qui donc nous aime assez, nous, les indifférents, les passants de la ville,
pour nous l'écrire obstinément
en ronde en bleu
en gras
en grave
en hâte
en douce
en bleu
en rond
en pleins
et en déliés
encore encore encore encore.
 

Publié dans Fables, Nantes

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Beauté (sans rendez-vous)

Publié le par Carole

Dans une rue comme la nôtre, une boutique nouvelle, c'est toujours une sorte de joie.

Je ne l'aurais peut-être pas remarquée, pourtant, celle-ci, tant il faisait gris et crachin, si mon regard n'avait pas été attiré par ce léger clignotement. Un mot, là-haut, au-dessus de la vitrine obscure, un mot clignait vers les passants d'en bas. "Rendez-vous, "rendez-vous"... - cela battait au-dessus de mes yeux myopes comme un coeur incertain. 

J'ai ajusté mes lunettes. Ce n'était qu'une enseigne, une enseigne très ordinaire, et de piètre qualité manifestement. Une enseigne au néon, dont les tubes déjà fatigués tremblotaient par endroits, indiquant simplement, en lettres multicolores aux formes irrégulières, qui paraissaient avoir été récupérées dans on ne savait quelle "casse" : 

BEAUTÉ (sans rendez-vous)

[...]

Suite du récit sur mon blog de récits et nouvelles cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

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La famille Carex - réédition revue d'un texte paru le 5-05-2012

Publié le par Carole

La famille Carex - réédition revue d'un texte paru le 5-05-2012
...au Jardin des Plantes
où l'on avance comme en poésie,
sur les chemins tournants de l'analogie,
qui entraînent nos pas rêveurs.
 
 
   Au Jardin des Plantes vit et prospère une famille que je connais bien, pour l'avoir rencontrée souvent, en promenade dans mon propre jardin, et dans tant d'autres lieux qu'elle fréquente à ses moments perdus... Une famille que vous connaissez sans doute un peu vous aussi : je veux parler de la famille Carex.
   Ils y sont tous, ou presque, je crois, au Jardin des Plantes, ces Carex. Ils vivent là tranquilles, dans leurs petits logements de ciment, derrière des panonceaux proprets - rangés comme au cimetière, et pourtant si vivants, si coriaces.
 
  Une grande famille, figurez-vous... Issue de la branche des Cyperacées, par les Monocotylédones, rien de moins. Une grande et vaste famille qui compte parmi ses membres des personnalités aussi marquantes et diverses que le jeune et chlorotique Carex pâlissant, le malheureux Carex penché, le vieux Carex courbé et l'inquiétant Carex vésiculeux - sans oublier le Carex lisse, le sévère Carex noir et le noble Carex élevé.
    Certes - mais n'en va-t-il pas ainsi dans toutes les familles ? - on déplore parmi eux de criantes inégalités : ainsi le Carex appauvri cousine amèrement avec le Carex luisant, tellement plus fortuné ; quant au pauvre Carex écarté, qu'on n'invite jamais, son sort n'est pas beaucoup plus enviable, vous l'avouerez, que celui du misérable Carex puce, contraint de brocanter tristement sa pénible existence.
    Hélas, le Carex paradoxal vous le confirmera, rien n'est simple, rien n'est un en ce monde...
 
   On compte parmi ces Carex, je crois, tous les caractères qu'identifia jadis Théophraste, le vieux naturaliste : les hypocondriaques, comme le Carex à pilules ; les inconsolables, les mélancoliques, tel le Carex en deuil ; les glauques et les rampants, grouillant à l'ombre du Carex bas ; les angoissés, les terrifiés qu'un rien accable, groupés serrés sous la bannière tremblante du Carex panic ; et puis tous les hésitants, les velléitaires, les tourmentés, émules du Carex divisé... J'en connais d'irascibles, aussi, de ces Carex : le Carex hérissé, par exemple, qu'un rien fait se dresser sur ses ergots. Il y en a qui vous tiennent la dragée haute, comme ce Carex pointu ou ce terrible Carex terminé en bec - des gens très âpres, ceux-là, très coupants en paroles, qui tiennent du reste de leurs ancêtres, puisque les Carex sont issus lointainement d'une gens Caro, ainsi surnommée à Rome, dit-on, pour son côté tranchant. Et puis, c'est inévitable, certains ont les dents longues : tel ce Carex des renards. D'autres fanfaronnent un peu, mais ces prétentieux-là sont vite remis à leur place : voyez ce Carex presque en queue de renard, hirsute et défraîchi...
 
    Une grande famille, cette famille Carex, une très grande famille, et si humaine, au fond.
 

Publié dans Fables, Nantes

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