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fables

Faire la circulation

Publié le par Carole

Ce matin, au carrefour, devant l'hôpital psychiatrique, un homme vêtu de blanc fait la circulation.
Il agite ses bras comme la rose des vents, dans son sifflet d'enfant il souffle comme un dieu des ordres nuageux.
Les voitures le frôlent, un souffle d'au-delà dépeigne ses cheveux.
Ses bras tournent en rond, en ailes de moulins.
Il est aussi grand, aussi maigre que Lui.
 
Le monde est fou, et il est fou.
 
Mais les voitures galopent où il ne voudrait pas. Le chaos tient la corde et le chaos l'emporte, et le chaos hennit de fureur et de joie.
 
Accablé brusquement, l'homme renonce et se fige. Ses manches restent en croix un instant suspendues - deux voiles blanches qui n'ont plus d'horizon. Puis se replient vaincues, en pattes d'araignées. 
 
De quel royaume est-il le fou toujours fait mat,
celui qui veut que le monde ait un sens ?
 
 

Publié dans Nantes, Fables

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Tranché

Publié le par Carole

Tranché
Aboli bibelot d'inanité sonore
 
 
C'était, derrière le rideau de fer d'une de ces boutiques d'antiquaire où s'accumulent les curiosités bizarres et les bibelots dérisoires, un chien presse-livres, double de sa moitié, moitié de son entier, qui embrassait le vide. Etonnant songe-creux de plâtre, beau toutou pompéien que partageait le rien, bizarre tout-en-deux qui n'était pas même un.
 
Semblable à ces héros de dessins animés qui courent au-dessus des abîmes sans remarquer que le sol a quitté leurs pas, il continuait, fantastique et tranché, à frétiller de la queue, à cligner de l'oreille et à monter la garde - à faire semblant de rien, à ne pas remarquer - il continuait, tranche d'inanité, tronche d'humanité. Continuait... 
 
 
C'est si souvent ainsi. Les choses, les gens, les mondes, déjà brisés, rompus en blessures et platras, qui pourtant continuent, moulages de leurs cadavres, comme si de rien n'était, comme si jamais ils n'avaient réellement été, à croire qu'ils sont encore, dans leur coquille d'inconscience, ce qu'ils croyaient qu'ils furent.
 
Et je n'ai jamais su s'il fallait les admirer, les plaindre, les avertir, les fuir - ou simplement, de temps à autre, se retourner sur soi-même, revenir sur ses pas, et se tâter les côtes, pour vérifier qu'on marche encore... entier !
 

Publié dans Fables

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Mère et fille (réédition revue)

Publié le par Carole

 
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Quand je les ai aperçues, toutes les deux, assises dans ce fast-food qui jouxte, si bizarrement, une église, je tenais mon appareil-photo que je ne quitte plus guère. J'ai immédiatement appuyé sur le déclencheur. C'était tellement cela.
Cela - Je veux dire l'un de ces tableaux brusquement découpés dans le réel où tant, de l'humanité, nous est donné, d'un coup, à voir et à réfléchir.
Ici, oui, tant de choses étaient réunies : les personnages dans le cadre que leur faisait la baie vitrée, comme enfermés sur une scène, sous les spots ; les vivants de passage aux corps tronqués, sur le reflet étincelant de la vieille église récemment restaurée ; les gargouilles de pierre qui se penchaient pour écouter les mots de ceux qui sont de chair ; la femme mûre qui voulait être jeune, et celle qui, déjà si vieille, ne s'en souciait plus ; la blonde aux cheveux de platine, la grise à la terne permanente maison ; les gobelets de plastique rapidement vidés, et la conversation continuant comme une guerre sans trève ; et cet escalier entrevu, qui aurait pu conduire un peu plus haut, mais qu'on n'emprunterait pas.
Ces mots  enfin - café cappucino - absurdes et vides, barrant et recouvrant les vies comme les réalités sans grâce et jamais oubliées du commerce, chez ceux qui n'ont pour festoyer que les salles encombrées des fastfoods.
 
Mère et fille, ai-je pensé.
Mère et fille, ce ne peut pas être autre chose.
Elles sont venues en ville, et, comme il fallait rester ensemble un peu, qu'il faisait froid, qu'elles n'étaient pas bien riches ni l'une ni l'autre, et pas bien difficiles, évidemment, elles sont entrées dans ce local vulgaire et bon marché, elles ont pris des gobelets de plastique et des pailles au comptoir, elles se sont assises contre la baie vitrée, à la table de plastique mal nettoyée, pour avoir un peu de lumière.
Et tout a commencé, recommencé. La fille qui pérorait, la mère qui écoutait. La fille qui savait, la mère qui se taisait. La fille qui avait sa vie à faire, la mère qui l'avait ratée. La fille qui ne se laisserait pas faire, la mère qui réprouvait. La fille qui voulait marcher dans la lumière et dans l'amour, la mère qui depuis si longtemps avançait dans le gris et l'obscur.
L'éternelle histoire des mères et des filles, dans les familles qu'on appelle modestes, où l'on n'a pas grand chose à espérer. Dans toutes les familles, peut-être.
 
Et puis il y avait tous ces reflets si clairs, qui se penchaient sur elles pour les avertir, et qu'elles ne semblaient pas apercevoir. Ces doux reflets d'un autre monde, qui parlaient d'harmonie, qui murmuraient qu'il fallait se parler, s'approcher, se tendre enfin la main. Qui leur confiaient tout bas, si bas qu'elles ne pouvaient l'entendre, qu'un jour, bientôt peut-être, il n'y aurait que le regret, et l'immense mélancolie désespérée qui étreint, après, quand on comprend, enfin, si bien, tout ce qu'on n'a pas su se dire - quand on retrouve, au fond de sa mémoire, tous les mots jamais prononcés, qui ne le seront plus, et qu'on voudrait crier.
 

Publié dans Fables

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Faux

Publié le par Carole

Faux
Depuis quelque temps on le voit partout dans la ville.
 
En noir en couleur et en gris. En majuscules en minuscules, en lisible et en illisible. Sur les poubelles les murs sales et les palissades. A la va-vite en barbouillis, parfois en calligraphe. Il s'affiche partout, partout il se décline - comme une identité.
 
Faux.
 
C'est un faux tout à fait, un surnom de graffeur, un alias, un pseudo. 
 
Mais il me plaît, ce mot, en ces temps où la communication est devenue une science raffinée, où on mobilise tant d'efforts et d'argent et de réflexion stratégique pour gagner la grande guerre de l'opinion, et nous convaincre de croire à tant de mensonges - publicités, fake news, propagande et propaganda.
 
Faux, dit-il. Penchez-vous sur les ombres, touchez du doigt les failles.
Faux. Vérifiez les couleurs, ne croyez pas au bleu, ne croyez pas au rouge, mais remarquez les taches.
Faux. Voyez comme ça penche, voyez comme ça tremble, voyez comme ça cloche, voyez comme c'est toc.
Faux c'est faux : prenez garde au défaut. Faux c'est faux : qu'on ne vous prenne plus par défaut. Faut savoir dire non pour pouvoir dire oui.
Car il n'y a que le non qui puisse vous creuser, lentement, âprement, au flanc de ces parois du faux qu'il réduit en morceaux, un lacet de chemin vers le
 
Vrai.
 
 

Publié dans Fables

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A mon idée

Publié le par Carole

A mon idée

Ah, mon idée ! L'Idée - si longtemps attendue, si tendrement nourrie, si longuement guettée, si patiemment hameçonnée...

La voilà qui s'approche, qui mordille si vive, qui frétille si fine.

Je me penche, je m'élance, je tends tous mes filets ! comme elle luit, comme elle brille !

 

La voilà qui se prend, sirène ligotée, tournant et scintillant dans toutes ses écailles... oh, je la tiens déjà, je la veux, la harponne et la croche... c'est fait, elle est à moi ! Ah, mon idée, l'Idée !

 

Mais quel reflet m'a distraite, m'amusant de son rien ?

N'est-ce pas plutôt ce froid, soudain, qui fait trembler ma gaule, cette ombre sur l'eau noire des arbres qui grimacent ?

J'hésite, je procrastine - et elle, oh, mon idée, l'Idée, déjà elle crache l'hameçon, se dégage en riant, se disperse en déesse dans tous les plis de l'eau...

 

Je croyais la tenir, j'étais si sûre de moi, j'étais si sûre d'elle, et voilà qu'elle m'échappe, qu'elle a fui, qu'elle a tout à fait disparu.

Ah, mon idée ! L'Idée - C'était au bond qu'il fallait la saisir ! L'enlacer ligotée. La jeter toute vive dans mon seau à projets. Ne jamais la lâcher, plus jamais, la garder bien serrée dans son eau de lumière.

Au bout de mon hésitation, belle indocile elle a pris son élan, pour s'en aller rêver plus loin, toujours plus loin, vers cet horizon vague où les pensées qui se défilent croient se recoudre au ciel.

 

Je l'ai laissé passer, l'instant qui s'en venait à moi,

je l'ai laissée me laisser, l'Idée qui était mienne et qui sera néant.

 

Ah, mon idée ! l'Idée ! Enfuie, perdue, paillette d'or fondue dans le flot des possibles, écume des étoiles qui miroitent là-bas... Et moi qui ne sais plus où la pleurer, moi qui n'ai jamais su où la chercher...  

Ah, mon idée ! l'Idée ! cadavre absent sans visage et sans nom dont je mène le deuil sans savoir qui tu fus...

...je t'ai gravé

cette épitaphe :

 

A MON IDEE

in memoria

reveniat

 

 

 

Publié dans Fables

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La question à la réponse

Publié le par Carole

La question à la réponse
LA REPONSE 
est EN TOI
 
Sans doute.
 
Mais la question ? La question, d'où te vient-elle ?
 
...si souvent tu ne t'es posé d'autres questions que celles que tous se posent,
d'autres questions que celles qu'on te pose,
d'autres questions que celles qui se posent,
d'autres questions que celles qui reposent,
d'autres questions que celles qui vous posent.
 
Si souvent, si souvent, tu n'as répondu qu'à des questions qui n'étaient pas en toi, qui n'étaient pas de toi.
Si souvent, si souvent, tu t'es muré dans ces questions des autres qui ne sont à personne, oubliant d'y percer cette ouverture étroite qui aurait pu encore te mener à toi-même.
 
Alors, maintenant, souviens-toi :
la question,
la question aussi,
la question, cette lézarde obscure
sur le rempart des certitudes,
c'est en toi qu'il te faut la chercher,
l'élargir et l'ouvrir,
avec tes mains qui tremblent
de fouiller dans ton coeur.

Car la question,
ta question,
c'est en toi
et c'est toi
qu'elle attend.
 

Publié dans Fables

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Usu, vetera, nova

Publié le par Carole

Blois, rue Pierre de Blois

Blois, rue Pierre de Blois

C'est, à Blois, une maison qui philosophe, comme philosophaient les maisons riches et les cathédrales, au temps où les murs étaient des livres de pierre et de bois, pour l'instruction des passants.
C'est une maison vieille, dont l'enseigne regrattée nous parle justement de la façon dont le vieux se fait neuf, dont le neuf se fait vieux, dont toutes choses s'usent et dont toutes choses renaissent, puis s'effacent pour renaître et s'user de nouveau, et de nouveau renaître.
USU, dit-elle, USU, VETERA' NOVA
 
Ce qui peut se comprendre ainsi :
 "par l'usage la vieille maison est devenue neuve"
ou
"si l'on s'en sert les vieilles choses se font neuves"
 
mais, aussi bien, pourrait s'inverser en :
"par l'usage la maison neuve est devenue vieille"
à moins que ce ne soit
"si l'on s'en sert les choses neuves se font vieilles"
 
ou même se déchiffrer :
"à force de servir, le nouveau devient vieux"
 
ou encore, pourquoi pas - mais est-ce vraiment si différent ? - :
"à l'expérience, le vieux peut se révéler neuf"
 
Comment savoir au juste ? C'est tout le charme du latin, de nous laisser à deviner, et de nous inviter à débrouiller sans fin l'écheveau laconique des mots qu'il mêle et resserre en énigmes.
 
Mais qu'importe le sens, si la question nous conduit ?
 
 
Sur le fronton malicieux de la vieille maison redevenue neuve qui déjà se recouvre de mousse,
VETERA et NOVA se font face comme les deux plateaux de la balance dont USU est le poids.
 
Entre hier et demain, entre avenir et décrépitude, entre mémoire et oubli, entre pierre qui mousse et paroles qui roulent,
 
nous ne valons que notre poids léger de présent. 
 
 

Publié dans Fables, Blois

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Retard

Publié le par Carole

Le tram s'est arrêté devant la gare.
 
-Hier, dit le garçon qui se tient debout près de moi, j'étais en retard.
-Oui, dit l'autre garçon qui se tient debout près de moi.
-Il y a eu un suicide sur la ligne.
-Je sais, j'étais aussi dans le train.
-On a attendu... c'était... la galère que c'était... 
-Oui, la galère...
-Cette galère...
Le tram s'est déjà éloigné, bientôt il sera à l'arrêt suivant, déjà il est à l'arrêt suivant Mais tous les deux, ils ont les yeux rivés vers la gare qu'on n'aperçoit plus qu'à peine, et ils n'arrivent pas à clore leur récit maladroit.
-Il s'est...
-Cette galère que c'était...
-Un truc de fou...
-On est tous descendus du train.
-C'était...
-Oui, c'était...
-Une galère...
-Jamais vu ça...
-C'était...
 
Ils ne se parlent pas vraiment. Ils ne savent pas s'en parler. Mais ils n'arrivent pas à se taire. Et de leurs jeunes mains, comme ils l'empoignent, tous les deux, cette barre métallique à laquelle ils se sont accrochés.
Comme s'ils pouvaient encore la rattraper par leurs mots qui trébuchent, comme s'ils pouvaient encore la retenir par leurs mains qui se serrent, cette ombre emportée tout là-bas.
Comme s'il était impossible, vraiment impossible de le laisser partir comme ça, dans ce silence des hommes qui cloue le cercueil de l'oubli, le pauvre mort qui a croisé leur chemin, et qui était peut-être, ils sont si jeunes, le tout premier qu'ils rencontraient.
 
 

 

 

Publié dans Fables, Nantes

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Demain printemps

Publié le par Carole

Demain printemps
J'étais au supermarché tout à l'heure.
C'était un soir comme les autres, un soir de fatigue et de foule, au retour du travail.
Un soir à pousser mon chariot, comme on pousse les jours que plus rien ne distingue des nuits.
 
Soudain, devant la boutique du fleuriste, j'ai vu éclore cette grande ardoise :
 
Aujourd'hui
St Joseph
Demain
Printemps
 
Printemps ? Demain ?
Dire que j'avais oublié, complètement oublié.
Demain ? Printemps ?
Bien sûr : demain !
Demain printemps.
 
Dans les allées encombrées de chariot, saturées de musique commerciale et de lumières criardes,
il y a eu soudain comme un parfum de jonquilles, de lilas bleus et de confettis envolés.
Comme un balancement de mimosas en fleurs dans la valse du vent.
 
J'ai reconnu le trait de craie figurant l'hirondelle, au coin du tableau noir.
La vieille porte blanche ouvrant sur le jardin où le chat dort à l'ombre...
 
Oh, cette barre du hissée sur son printemps comme un store au soleil, qu'elle était donc heureuse, et qu'elle s'envolait loin dans son bruit de drapeau, sur l'ardoise du fleuriste !
 
 
Aujourd'hui, St Machin, sur le calendrier où les jours se chiffonnent une page après l'autre, avant de retomber jaunis aux poubelles du temps.
Mais demain ?
Ah, demain !
Demain !

Demain printemps !
 

Publié dans Fables

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Mnémosyne, sol glissant

Publié le par Carole

Mnémosyne, sol glissant
Je passais près de la belle statue de Mnémosyne qui orne le hall de la médiathèque Jacques Demy. Quelqu'un avait posé tout près du socle ce panneau aux couleurs tonitruantes : "Attention, sol glissant".
Mnémosyne, sol glissant... ?
Si souvent, le hasard dépose son grain de vérité, comme une perle lisse et ronde au creux d'une huître sale et rugueuse, dans la coquille informe de tous ces mots qui passent et qui se croisent, dans nos villes de mots.
 
Quoi de plus vrai, en effet ? 
Sol glissant, la mémoire, qui peut nous entraîner si loin, si loin, au fond de nous, plus loin que nous, au coeur des choses, au bout du monde, vers cet abîme où la Chute nous dépouillera de notre dernier duvet d'ange.
Sol glissant, la mémoire, qui ne nous laissera plus jamais de repos, quand nous aurons commencé à errer, incertains, sur ses chemins glacés qui ouvrent dans l'obscur d'autres chemins glacés.
 
Sol glissant, la mémoire noire de cette ville.
Sol glissant, la mémoire jaune de nos gloires mensongères.
Sol glissant, la mémoire rouge de notre humanité.
 
Sol glissant, Mnémosyne.

Publié dans Fables, Nantes

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