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fables

Bain de soleil

Publié le par Carole

Bain de soleil
C'est au bord du Lac, près d'un très vieux château qui rougeoie dans le soir.
Par une de ces journées d'été qui finissent en splendeur de tableau, juste avant que le peintre ne tourne vers la nuit son chevalet, pour que son oeuvre dorme et rêve un autre monde.
 
L'autocar vient de s'arrêter, et ils sont descendus tous les trois.
L'homme, la femme et l'enfant.
Ils se sont approchés de l'eau. Ils se sont assis sur la rive, face au couchant, ce long poisson léger qui coule sur l'eau bleue son ventre pailleté.
On les a entendus, de loin, se parler dans une langue qu'on ne comprenait pas.
Puis l'homme s'est déshabillé, il est entré dans l'eau, et il s'est avancé, nu et brun dans son simple caleçon, vers la lumière. Il a posé sa peau sur l'écaille dorée des vagues, et lorsqu'il a commencé à nager, on a vu son corps sombre se mêler au soleil dans chacun de ses muscles.
Quand la lumière a disparu, derrière les montagnes, là-bas, il est revenu vers la rive où l'attendaient la femme et le petit enfant qu'elle berçait dans ses bras.
Il s'est rhabillé lentement dans l'ombre des rochers, et ils sont repartis tous les trois vers l'arrêt d'autocar. 
De loin, on les a entendus encore qui se parlaient dans leur langue inconnue.
Et on s'est dit que c'était surprenant, qu'ils soient venus en car simplement pour cela. Pour ce très bref bain de couchant, cette nage de lumière sur le rebord du temps.
Puis on s'est dit que non, ce n'était pas surprenant. Qu'un qui va dans le noir avec ses deux bras nus et sa sueur de pauvre veuille tremper son corps dans la dorure de l'eau qui lave chaque soir les pinceaux du vieux peintre.
Qu'une femme, un enfant, le regardent avancer, grand et fort et roussi de lumière, au centre du tableau, avant que tout, de nouveau, ne s'éteigne et se ferme, aux cahots et virages du dernier autocar.

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En somme

Publié le par Carole

Yvoire - Pierre d'Equarre - Lac Léman

Yvoire - Pierre d'Equarre - Lac Léman

A Yvoire, sur le Lac, veille une vieille - une très vieille pierre.
Il paraît qu'un glacier qui roulait là jadis l'emporta d'un sommet dans sa langue râpeuse, puis la laissa tomber.
 
C'était il y a des mille et des milliers de mille milliers d'années.
Elle est restée patiente et solitaire, pendant des mille et des milliers de mille milliers d'années, attendant simplement que les derniers glaciers, fondant de toutes leurs larmes, la recouvrent d'eau grise pour d'autres mille et milliers de mille milliers d'années. 
Audacieuse, assurée, comme un pas japonais dont l'élan se serait suspendu juste au-dessus du flot, pour amorcer un pont - ou tendue douloureuse comme un poing fatigué, au-dessus de l'eau lente où se noierait quelqu'un ? On n'a jamais pu décider, même aux jours de prière où rôdaient sur sa peau les grands dieux disparus qui savaient les mystères.
C'est, paraît-il, ce qu'on appelle une roche erratique.
 
Entre le ciel, l'eau et la terre, appuyée sur le vent pour glisser dans le temps,
une île un jour surgie et un jour engloutie
qui survécut à tout ne survivra à rien
tortue Galapagos posée là par hasard et par nécessité
s'effaçant par erreur ou relativité
rien qu'un point minuscule une infime virgule
sur l'immense addition des mille et des milliers 
et des mille milliers.
 
Une vieille erratique.
Comme l'humanité
en somme.

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Affichage à but idéal

Publié le par Carole

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C’est à Lausanne et c’est réellement idéal.

On dessine une affiche. Il faut que ce soit pour vanter un projet qui ne rapporte rien, une belle idée, un joli spectacle, une histoire à ne pas dormir debout, un petit coin de Cocagne, un château en Espagne. Rien d’autre n’est permis que ce qui ne saurait se compter dans les comptes. Rien que ce qui se conte.
Quand on a bien passé l’affiche au bleu du rêve, on la recouvre de cette poudre colorée d’étoiles qui change en papillons les ailes du courage.
On ne la colle pas. On la fait tenir par les coins très provisoirement avec de l’adhésif à paquets.
Car il faut que l’idée puisse voler librement et aller où elle veut comme lettre à la poste.
Le panneau sur lequel on la pose est un peu en hauteur. C’est mieux que les passants aient à lever un peu la tête. C’est mieux aussi que les oiseaux puissent y faire leur nid si elle leur chante.
Ensuite on attend quelques jours.
Le plus souvent, l’idée retombe sur le sol, épuisée, toute fanée.
De temps en temps, tout de même, il y en a une qui ouvre grand ses ailes et s’en va tourner quelque part, là-bas, de ce côté du ciel où le soleil se lève.
On ne saura jamais ce qu’elle deviendra.
Mais il est permis d’espérer.

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La fenêtre dans le mur

Publié le par Carole

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      "And before me ran this long wide path, invitingly..." (H.G. Wells, The Door in the Wall)
 
 
    Vous connaissez peut-être cette nouvelle d'H.G. Wells, qui s'intitule La Porte dans le Mur. Elle raconte l'histoire d'un enfant qui découvre un jour, au milieu d'un mur gris, une porte, colorée, lumineuse, qui mène à un autre monde. Il rencontre plusieurs fois la porte, ensuite, sur d'autres murs, et la dédaigne, puis, devenu adulte, il la perd tout à fait, et il se met alors à la poursuivre partout comme une obsession, sans jamais plus pouvoir la retrouver.
    Sur ma route, j'ai rencontré, un beau soir de printemps, cette fenêtre qui s'ouvrait dans un mur gris. Elle penchait un peu, comme un visage fatigué, au-dessus de son balcon en coeur... Un rayon de soleil lui faisait un profil d'ombre fraîche, et des fleurs de charbon entrelacées aux grilles dansaient en liserons sur le ciment rugueux.
    Il m'a semblé que quelqu'un m'appelait. J'ai cogné doucement à la vitre. Enfin j'ai aperçu, derrière le carreau un peu brouillé, deux yeux fanés tout grillagés de rides et qui me regardaient.
    Il y en a tant, dans la ville, de ces vieilles gens que l'on distingue à peine derrière leur carreau gris, guettant sans fin le spectacle modeste de la rue, et passant les journées à attendre, à espérer on ne sait quoi - une visite, un infime événement -, ou juste à suivre le parcours lent des ombres, le passage des heures... Je n'aurais su dire si c'était un homme ou une femme qui se tenait là, derrière cette fenêtre, mais c'était un visage, et qui me souriait, qui avait l'air de me connaître... .
    J'ai collé mes yeux sur la vitre, j'ai senti le battant céder doucement sous mon poids... la fenêtre n'était pas vraiment fermée.
    J'aurais pu l'ouvrir tout à fait, j'aurais pu me pencher au balcon vers la chambre, j'aurais pu laisser entrer la lumière sur cette vie recluse, j'aurais pu bavarder un moment avec celle ou celui qui s'était réfugié dans cette ombre, et m'avait si longtemps attendue.
    Mais je me suis simplement reculée, pour prendre la photo, avant de poursuivre ma route.
 
    Plus tard, quand j'ai voulu revenir, retrouver la fenêtre, il n'y avait plus rien. Qu'un mur gris, lisse et froid. Du grand coeur charbonneux du balcon il ne restait qu'une ombre aussi imperceptible qu'une larme de pluie.
    Ne te retourne pas : c'est ce que dit la nouvelle de Wells, c'est ce que disait déjà le vieux mythe. Je le savais si bien... pourquoi suis-je donc revenue ?

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La mer veille

Publié le par Carole

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J'ai tout de suite aimé cette enseigne naïve et colorée où le soleil et l'ombre se penchaient côte à côte, pour éclairer ensemble le jeu profond des mots.
 
Car rien n'est plus vrai.
La mer veille.
 
Sur le vieux coelacanthe et la jeune dorade
Sur la baleine en pleurs et sur le thon qui saigne
Sur l'oiseau qui se couche aux plages de mazout
Sur ce que nous tuons ce que nous méprisons.
La mer veille
 
Sur l'esclave épuisé le clandestin noyé
Sur les trésors enfouis aux grands champs d'ossements
Sur le fantôme errant des mondes à conquérir
Sur notre convoitise et sur nos coeurs arides
La mer veille
 
Sur les îles qui penchent et les volcans qui tremblent
Sur le marin qui lutte avec le vent là-bas
Sur les désespérés qui l'attendent au rivage
Sur nos cris nos appels sur nos âmes brisées
La mer veille
 
Sur la lune qui tourne au bras des marées lentes
Sur l'étoffe des nuits et sur le pli des aubes,
Sur le grain de l'étoile et sur la fleur du sable
Sur le sillon qui va et qui revient sans trêve
La mer veille
 
Sur toutes les détresses sur toutes les merveilles
Dans l'instant de la vague et dans l'éternité
Patiente prudente presciente savante
La mer veille
 
                - Et nous ?

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Envie de prendre la porte

Publié le par Carole

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"Allez paître. Il y a assez longtemps que vous mangez du foin. Voici venu le printemps." (Henry David Thoreau)
 
 
Quelquefois - qu'est-ce donc qui nous prend, nous saisit par la manche, nous attrape aux épaules et nous pousse à l'abîme ? - peut-être que c'est tout ce vert des arbres, de l'autre côté de la rue, qui cogne à la fenêtre comme un coeur bien vivant - ou bien ce coin de mouchoir bleu, là-haut dans les nuages, derrière la pluie qui bat - ou alors cette mouche obstinée, sous le plafond trop bas, heurtant du front l'ampoule comme un soleil perdu, au sortir de l'hiver - qui peut le dire ?
Mais voilà, quelquefois, comme ça, d'un coup, sans savoir pourquoi,
on a envie de prendre la porte.
De tout laisser de tout claquer.
Les jours noirs la pluie froide le parapluie sans joie.
La vie en ville le balcon du cinquième.
Les gens et les soucis.
Les murs sales le métier gris.
Envie de tout laisser de tout jeter.
D'arracher de leurs gonds ces ombres qui nous gênent et nous bouchent la route.
De tout plaquer en grands accords sonores.
De tout planter dans la terre odorante.
De tout larguer dans les rivières et l'océan.
D'envoyer promener sa vie.
De marcher de marcher
dans le printemps dans le vert des grands arbres dans la rosée des prés dans le proche et dans le lointain.
De s'en aller en arc-en-ciel par-dessus les heures sombres.
De grandir en soleil sur les chemins d'en-haut.
De glisser en rivière sur les cailloux du ciel.
De s'en aller
très loin
tout près
vers soi.
 
Mais voilà que sans savoir pourquoi - qu'est-ce donc qui nous prend, nous appuie sur le crâne, nous ligote les nerfs, nous arrache à nous-même et nous ramène à la raison ? - on se lève, on ferme la porte entrouverte, on tire les rideaux, on écrase la mouche comme un mégot.
On continue
à n'aller nulle part.
Et on a un peu honte, quand on reprend le soir son parapluie trop lourd,
De sortir dans la nuit qui descend lentement
Et de marcher voûté comme un nuage bas,
très loin
si loin
de soi.

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A la renverse

Publié le par Carole

A la renverse

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Se laisser renverser, se laisser emporter, se laisser secouer. Se laisser bousculer, se laisser remuer. Ricocher. Jeter en tournant sur soi-même les vilains uniformes de chiffons couleur trouille qu'on avait emportés. Bondir un peu plus haut, et, pivotant toujours, secouer la boue grise de tous les préjugés qui lestaient nos semelles sur les sentiers battus. Se laisser retourner comme un oiseau luttant contre le vent, ne jamais s'arrêter, ne se tresser de nids qu'au fil de l'horizon. Danser comme une perle sur la peau de la nuit. Nager un peu plus loin.
Puis revenir à terre, puisqu'il le faut toujours. Prendre sa part de chute, puisque toujours on tombe. Renfiler son chemin, puisqu'on n'en aura qu'un. Mais le garder encore, le clair regard d'oiseau, alors qu'on rampe en bas. Etre d'ailleurs, pour mieux être d'ici, ne jamais avoir peur de n'être nulle part.
Pour pouvoir avancer - partir à la renverse.

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Les ombres

Publié le par Carole

Les ombres
C'était hier l'été qui n'était pas pour aujourd'hui qui ne sera pas pour demain.
Ils nous fuient, les beaux jours, comme poissons sous l'eau.
 
Feuilles mortes au printemps, la pluie vous fouette avec ses cordes, et le vent vous emporte sous ses arbres d'automne.
Tandis que nous courons après juillet sur les voies du déluge, par le chemin tortueux des orages, dans la boue des promesses défuntes. 
Les ombres
Mais moi, ce qui plus que tout me manque, 
ce n'est ni le soleil acrobate dans son ciel en maillot de lumière,
ni la danse légère des papillons d'un jour sur le somme du lézard,
ni le parfum du soir s'étirant sur le seuil dans la tiédeur des roses.
Non. Ce qui plus que tout me manque, ce sont les ombres.
Les ombres qui font le monde profond, qui remuent l'illusion et dessinent les heures sur nos pas qui s'allongent.
Les ombres, qui sont l'âme au soleil des Schlemihls que nous sommes.
Les ombres, qui ouvrent sur nos yeux leurs persiennes à mystères comme des paupières bleues.
Les ombres.
Les ombres

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Que lui

Publié le par Carole

Que lui
Savourer l'instant
A croquer si gourmand
Si amer écoeurant
Savourer l'instant
Lézardé déchirant
Incliné si charmant
Savourer l'instant
Parfumé entêtant
A crever oppressant
Savourer l'instant
Obstiné révoltant
Exalté fascinant
Savourer l'instant
Qu'il soit l'un qu'il soit l'autre
Qu'il soit riche ou soit pauvre
Qu'il soit grand qu'il soit humble
Qu'il soit clair qu'il soit ombre
Savourer l'instant
Car de toutes ces choses 
Que nous avons crues nôtres
Et de toutes ces luttes
Que nous avons perdues
Et de toutes ces larmes
Qui ont trempé nos âmes
Et de toutes amours
Qui furent notre jour
Il ne reste que l'heure 
Qui tourne sur le seuil
 
Comme font les mendiants
dans le creux de nos mains
Ou la boue des chemins
Recueillir cet instant
Qui ne luit qu'en passant
Sur nos corps vagabonds
Sur nos vies sans toujours
Car nous n'avons
A nous
Que lui.

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Je ne sais pas pourquoi

Publié le par Carole

Je ne sais pas pourquoi
Je ne sais pas pourquoi
ça me rend toujours triste
de les voir s'éloigner
ceux qui semblent s'aimer
marcher vers l'horizon
dans les beaux jours si bleus
ceux qui marchent ensemble
s'en aller vers la mer
peu à peu disparaître
ceux qui ont l'air heureux.
 
Je ne sais pas pourquoi 
j'en ai le coeur serré
quand je les vois au loin
marcher sans rien savoir
ceux qui veulent être heureux
dans tout ce bleu qui tremble
tandis que leurs silhouettes 
se fondent dans la brume
tandis que leurs empreintes
s'effacent sur le sable.

Publié dans Fables

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