Un petit revolver dans son écrin
Je l'ai aperçue en passant. Elle battait dans son coin de vitrine comme un vieux coeur humain. L'horloge à remonter le temps.
Pour vingt-quatre euros seulement - vingt-quatre euros, ou vingt-quatre heures, qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que c'est donc, dans une vie ? - on pouvait l'acheter, l'emporter. Essayer.
Car, remonter le temps, n'est-ce pas que l'on pourrait, qu'on pourrait essayer... car on peut, on peut bien essayer ?
Je me suis arrêtée, tentée...
Mais sur le cadran envahi de reflets, dans son coin de vitrine, l'aiguille des secondes tressautait, bondissait, s'efforçait, et restait toujours immobile. Une libellule étrangement bloquée sur son élan vibrant. Incapable de fuir le point qu'elle semblait tant vouloir quitter. Tandis que l'aiguille des heures, et celle des minutes, lourdes, noires, impavides, se tenaient collées au cadran comme des mouches mortes.
Elle ne marchait donc pas, alors, finalement, cette horloge ! Vingt-quatre euros, c'est quand même quelque chose, pourtant ? Pour vingt-quatre euros, on est en droit de... de ne pas... enfin quoi !
Avertir le marchand... voilà ce qu'il fallait... certainement il aurait pu... on peut toujours, non ? faire quelque chose : changer la pile, peut-être ? Ou bien remonter un ressort, nettoyer un contact oxydé, replacer une tige sur son axe...
Cependant, l'aiguille des secondes continuait à tressauter et à s'efforcer, lancée vers le passé, poussée vers le futur, galopant immobile sur le cadran où se livrait cet étrange combat. Et elle battait si bien ainsi, comme une libellule au rebord de l'été, comme un coeur humain en hiver
que j'ai compris soudain que le marchand
malicieux ou sage
en réalité
n'avait conçu cette machine que pour cela.
Moussorgsky - Tableaux d'une exposition - Gnomus - 1874