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fables

Gris

Publié le par Carole

Gris
Les murs sont gris.
La ville est grise.
Le temps est gris.
La vie est grise.
Les gens sont gris.
Et l'âme est grise.
 
Le monde est gris.
C'est convenu,
c'est entendu.
 
Mais les mots,
les mots, au moins,
les mots qui dansent comme atomes dans la poussière des villes, on peut les rouler chaque soir sur la peau de soleil qui revêt les trottoirs, on peut les retremper au frisson pailleté de néon des pluies grasses, on peut les baigner de lumière au pied des réverbères où s'épanchent les chiens
 
pour en repeindre à l'or fin
de fantaisie
de poésie
les murs la vie
la ville le monde
l'âme et le temps
les réverbères et les chiens dans le soir
la poussière les néons les trottoirs
les gens qui passent sans rien voir
 
et même le mot
Gris

Publié dans Fables

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Café des Ami

Publié le par Carole

Café des Ami
Au café des Amis, chaque soir après le travail, ils tapaient la belote en repeignant le monde en rouge, en vert, en beau.
Puis la retraite est venue. Eux, ils ont continué à venir au café des Amis, à taper la belote tous les après-midis, à repeindre le monde, en rose et en vert pâle, en pas si mal.
Puis quand la mort s'est invitée, ils sont encore venus, après les enterrements, ceux qui restaient, pour taper la belote, et repeindre le sombre en gris, en pas si noir.
 
Jusqu'à ce qu'à la fin il reste seul, le dernier des Amis. 
Alors le Temps lui-même, le Temps qui jamais ne se trompe et connaît ses accords, de son pinceau tranquille, lui a repeint l'enseigne, au singulier, rien que pour lui. Avant que le patron lui aussi ne disparaisse, et que le café des Ami, vendu et revendu, ne reste là, fané et déserté, à attendre, tout seul, on ne sait quoi, on ne sait qui ne viendra plus, comme un vieil homme sur le trottoir.
 

Publié dans Fables

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L'échelle - suite

Publié le par Carole

    Je l'ai revu dans le bus, tout à l'heure, l'homme qui avait trouvé l'échelle.
  Il tenait toujours, extatique, son volume de Harry Potter lorsqu'il est monté, essoufflé, alors que le chauffeur démarrait déjà.
    Il s'est assis sans regarder autour de lui, et il s'est aussitôt plongé dans sa lecture.
   Il avait cessé de suivre les lignes avec son morceau de papier, les mots n'avaient plus qu'à peine besoin de se poser sur ses lèvres désormais presque immobiles.
 
  Il était arrivé presque à la fin du livre. Le tas épais des feuilles déjà tournées était sous sa main gauche comme la haute pente qu'il venait de gravir. Et la liasse menue des dernières feuilles avait déjà ce parfum doux, d'automne et de regret, des lectures qu'on achève.
   Il souriait toujours. Mais il allait bientôt connaître la tristesse du mot FIN. Cette vague détresse qui saisit le lecteur, quand tout se clôt, et que l'ombre retombe sur le monde lumineux qui vivait dans les pages. Son sourire en était déjà un peu obscurci, mais il ne cédait pas. Et c'était merveilleux de le voir ainsi, prêt à affronter cette fin dont l'insupportable amertume allait l'entraîner dans un autre volume, puis dans un autre encore, dans un autre toujours, pélerin désormais inlassable de son propre chemin.
 
   Je me suis dit que je m'étais trompée, l'autre jour. Ce n'était pas sur une échelle aux barreaux de bois raides qu'il s'était engagé, mais plutôt sur un de ces vieux ponts incas sans cesse retressés et retendus au-dessus des gouffres - un de ces ponts de fibres, fragiles comme la paille, solides comme l'effort humain, qui mènent obstinément à l'autre rive.
 

El puente Q'eswachaka - capture d'écran

 

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Le mendiant et les oiseaux

Publié le par Carole

Le mendiant et les oiseaux
Il s'était installé un trône sur les marches en ciment. Sur les cartons, dans les sacs de plastique, sous sa couette de nylon, allongé comme un dieu, le visage invisible, il régnait.
De temps à autre, on voyait sa main attraper dans un seau une poignée d'on ne savait quelle farine granuleuse, qu'elle dispersait négligemment sur le trottoir.
Tous aussitôt, affamés et avides, en foule ils venaient à la manne, les pigeons et les tourterelles, les oiseaux-mendiants de la rue. S'entassant, s'acharnant, se frappant de l'aile et s'accrochant du bec, pour picorer leur part trop menue et lui jeter des regards implorants. Mais lui, impassible, invisible, dédaignait de replonger sa main dans la manne.
Alors, audacieux et voraces, ils approchaient, toujours plus près, pour quémander encore, encore... Et sa main attrapait dans un autre seau, derrière sa couette, des pierres pour les chasser. Et tous, effrayés et meurtris, s'enfuyaient éperdus dans un grand froissement de plumes.
Puis sa main replongeait dans la manne, large et généreuse... Tous se précipitaient encore vers son trottoir, grignotant au hasard et grimpant prudemment, humble foule obséquieuse, pour l'implorer et s'approcher de lui - le maître des oiseaux, le roi des clochards ailés de la rue, qui tout à l'heure leur lancerait de nouveau des pierres.
 
Le destin l'avait choyé et il l'avait brisé. Le destin l'avait béni et il l'avait trompé. Le destin lui avait promis le bonheur des hommes, et puis il l'avait fait mendiant.
 
Alors lui, vautré sur son trône de carton, roulé dans sa fourrure de nylon à fleurs, il jouait désormais, magnanime et terrible, tout en haut de ses marches couronnées de plastique, à être le Destin.

 

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Trace

Publié le par Carole

Trace
La pluie battait sur les toits bruns sa mesure engourdie
comme un coeur fatigué tout embrumé de nuit.
Et les fenêtres illuminées se repliaient sur leurs trésors
et chaque réverbère chuchotait dans son or
des secrets pleins de larmes qu'on se hâtait de fuir
sur les trottoirs glissants sous les parapluies gris.
 
Rouge-feuille, rouge-vie,
rouge-feu, rouge-pluie,
rouge-fer, rouge-coeur, 
rouge-rouille, rouge-amour,
rouge-gorge, rouge-oronge,
rouge-sang, rouge-ronge,
 
elle était devant moi comme une trace de pas
du temps.

Publié dans Fables

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Fenêtre à la mangeoire d'oiseaux

Publié le par Carole

Fenêtre à la mangeoire d'oiseaux
  Ils m'émerveillent, ceux qui ouvrent leurs vitres, dans le gris de ce monde, comme des ailes bleues, sur des jardins d'oiseaux et des chants de bourgeons.
 
  Ils m'émerveillent, ceux qui pendent à leurs murs, tout dévorés de lèpre, d'étroits balcons de bal, pour que des fleurs en rose y dansent sur les grilles.
 
  Ils m'émerveillent, ceux qui ne veulent voir, au carreau de nuages, que l'arbre qui grandit et le jour qui picore dans la paume des feuilles.
 
 Ils m'émerveillent, ceux qui sèment en hiver, sur les murs endeuillés des grandes villes noires au crépi de misère, tous les nids du printemps.
 
  Ils m'émerveillent, ceux qui ont les yeux purs.

Publié dans Fables

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Non Oui Oui Non

Publié le par Carole

Non Oui Oui Non
Non, disait l'un, Oui, disait l'autre. 
Oui, disait l'autre, Non, disait l'un.
Et l'un clamait que l'autre disait faux,
L'autre criait que l'un était mauvais,
Et l'un rageait contre le Oui de l'autre,
Et l'autre tempêtait contre le Non de l'un.
Ils allaient en venir aux coups, aux flammes et à la guerre...
Car Oui, hurlaient les uns, mais Non, grondaient les autres !
s'attroupant près des autres, se groupant loin des uns,
pour marcher en armées identiques et inverses sur des routes inverses et semblables où les uns et les autres et les autres et les uns s'effaçaient tous en rangs.
 
Car c'est ainsi : un monde où l'on ne sait plus dire que Oui ou Non, un monde où l'on n'est plus que cet un ou cet autre.
n'engendre plus que des bonshommes sans visages, 
silhouettes interchangeables et irréconciliables
avançant en armées sur des routes hurlantes 
qui s'en vont au néant.
 

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Heure d'hiver

Publié le par Carole

Heure d'hiver
Ouvrez c'est l'heure
Ouvrez la porte
Au vent qui heurte
Au vent qui frappe
C'est l'heure d'hiver
Le jour des morts.
 
Nos verres se brisent
Au pli des ombres
Plus de champagne
Au fond des coeurs.
 
Mais le vent jappe
Et l'heure aboie.
 
Avec nos mains
Qui sont des feuilles
Et nos regrets
qui tremblent et pleurent
Ouvrons au vent
Qui nous emporte
Et faisons fête
Au temps qui grogne
 
Puisque nous sommes
Ses enfants.

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L'échelle

Publié le par Carole

.

Il est monté dans le bus, tenant dans ses bras un volume grand format, corné et défraîchi, des aventures d'Harry Potter. 
Il avait le visage extatique des disciples et des anges, il ne semblait rien voir, que ce gros livre dans ses bras - Harry Potter et la chambre des secrets.
A son âge, ai-je pensé, très sottement.
Puis je me suis replongée dans ma propre lecture.
Quand j'ai levé la tête, j'ai vu qu'il s'était assis face à moi, à quelques places de distance, sur ce siège un peu haut, derrière la cabine du chauffeur, où l'on est si bien seul. Les yeux fixés sur le livre ouvert, il remuait les lèvres, et il suivait les lignes avec une feuille de cahier d'écolier qu'il avait pliée en deux, comme font les enfants lorsqu'ils viennent d'apprendre. De temps à autre, il se mettait à sourire, hochant la tête, approbateur. La feuille pliée ne descendait pas bien vite, sur le grand flot des lignes. Mais il était patient, continuait à murmurer les mots, et à sourire aux phrases qu'il rencontrait enfin.
C'était un homme de plus de cinquante ans, aux cheveux grisonnants, au front déjà ridé.
Il venait de découvrir le bonheur de lire.
Il venait de trouver l'échelle.

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Taches d'automne

Publié le par Carole

Taches d'automne
L'automne... ce n'est rien tout d'abord. A peine une petite tache, minuscule, bien circonscrite, presque invisible, dans l'intacte verdeur. Une tache brunâtre, cernée comme un oeil fatigué... mais vraiment si petite. Une simple tache... ou deux, peut-être. Deux, oui, on pourrait bien l'admettre, ou même trois, tout au plus. Mais vraiment pas grand chose.
L'automne, ce n'est tout d'abord presque rien. Juste un grain de rousseur sur la peau qui se hale. C'est la pluie qui fait loupe, c'est notre oeil qui larmoie, il n'y a pas de quoi, pas de quoi s'inquiéter.
Et puis... puis insensiblement. Mais est-ce qu'on sait comment ? Cela grandit et cela gagne, cela rouille, cela saigne, sous le vert qui se fripe, comme un cancer qu'on cache pour qu'il ne nous voie pas.
Jusqu'à ce qu'à la fin, tout étonnée, pelotonnée dans le vent brun d'hiver, tombe la feuille
morte.
 

Publié dans Fables

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