Retard
Le tram s'est arrêté devant la gare.
-Hier, dit le garçon qui se tient debout près de moi, j'étais en retard.
-Oui, dit l'autre garçon qui se tient debout près de moi.
-Il y a eu un suicide sur la ligne.
-Je sais, j'étais aussi dans le train.
-On a attendu... c'était... la galère que c'était...
-Oui, la galère...
-Cette galère...
Le tram s'est déjà éloigné, bientôt il sera à l'arrêt suivant, déjà il est à l'arrêt suivant Mais tous les deux, ils ont les yeux rivés vers la gare qu'on n'aperçoit plus qu'à peine, et ils n'arrivent pas à clore leur récit maladroit.
-Il s'est...
-Cette galère que c'était...
-Un truc de fou...
-On est tous descendus du train.
-C'était...
-Oui, c'était...
-Une galère...
-Jamais vu ça...
-C'était...
Ils ne se parlent pas vraiment. Ils ne savent pas s'en parler. Mais ils n'arrivent pas à se taire. Et de leurs jeunes mains, comme ils l'empoignent, tous les deux, cette barre métallique à laquelle ils se sont accrochés.
Comme s'ils pouvaient encore la rattraper par leurs mots qui trébuchent, comme s'ils pouvaient encore la retenir par leurs mains qui se serrent, cette ombre emportée tout là-bas.
Comme s'il était impossible, vraiment impossible de le laisser partir comme ça, dans ce silence des hommes qui cloue le cercueil de l'oubli, le pauvre mort qui a croisé leur chemin, et qui était peut-être, ils sont si jeunes, le tout premier qu'ils rencontraient.