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fables

Sur le seuil

Publié le par Carole

Sur le seuil
Hier soir, en fermant les volets, j'ai découvert sur le seuil un hérisson terrifié.
Stupéfait de m'avoir vue surgir dans la lumière comme venue d'un autre monde, il s'était blotti dans sa peur comme au creux d'un tas d'aiguilles. Son souffle effaré soulevait ses épines tremblantes, tout comme un coeur d'humain aurait battu la chamade.
Je l'ai imaginé, l'instant d'avant, courant furetant dans la nuit, vivant sa libre vie de hérisson dans le jardin rempli d'ombres et de froissements furtifs, en compagnie de la hulotte. Tandis que moi je me tenais à l'abri sous la lampe, dans la chaleur bien close de la maison.
Entre sa nuit et ma lumière, il n'y avait qu'une mince cloison. J'avais ouvert la porte.
 
Presque rien ne sépare l'existence des humains de celle des animaux sauvages.
Nous sommes comme eux faits de chair, nous souffrons comme eux de la peur, comme eux nous repoussons la mort par de pauvres moyens.
Mais nous avons posé partout des cloisons, et refermé les portes. Ils restent à l'extérieur, forcément étrangers : c'est à ce prix que nous sommes humains.
 
Parfois, pourtant, sur le seuil, nous rencontrons un petit hérisson, égaré, terrifié, et nous sommes surpris, et nous sommes émus de le trouver si proche, et si semblable à nous sous son manteau d'épines.

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Le houx

Publié le par Carole

Rezé- Persagotière

Rezé- Persagotière

J'ai d'abord cru que c'était une grappe de gui parasite.
Mais non, c'était un houx qui se nichait là-haut, à la fourche énorme du plus haut, du plus vieux, du plus large de tous les platanes de l'allée séculaire. J'ignorais que les houx pouvaient s'établir ainsi, perchés sur de vieux troncs comme oiseaux sur la branche.
C'était bien un houx cependant.
Un petit houx nouveau, un enfant du hasard né d'on ne sait quelle graine, qui n'aurait pas dû vivre, mais qui s'était enraciné, tenace, ébouriffé, dans le pauvre terreau d'un ancien nid défait.
Avec toute la douceur des êtres vraiment forts, l'immense platane avait recueilli l'égaré, il l'avait bercé dans le vent comme un jeune oisillon. 
Sans se demander si l'arbuste à venir allait lui prendre de sa sève, il l'avait protégé et il l'avait nourri, il l'avait installé sur ses larges épaules comme au bord d'une lyre. Et, lui, maintenant, le géant, il n'en était que plus vaste. Il n'en était que plus vert. Il n'en chantait que plus haut dans le choeur du printemps.

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La colombe

Publié le par Carole

La colombe
Il y a des photos, comme ça, qu'on prend pour rien ˗ ou peut-être pour eux. Oui, qu'on prend pour eux, au passage - pour eux que l'on ne connaît pas, pour eux qui ne le savent pas. Simplement pour qu'elles restent posées en lieu sûr, la trace de l'humble sourire, la lumière bleue d'un après-midi de printemps, la douceur d'être deux dans le jour finissant, la blancheur fugitive de l'aile de la colombe.
Pour qu'il existe encore, quelque part, au lendemain de solitude, de fatigue et de pluie, ce petit brin de quelque chose qu'ils auraient pu appeler le bonheur.

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La salle d'attente

Publié le par Carole

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    Dans la salle d'attente si étroite et si tiède, le malade s'ennuie. C'est long d'attendre ainsi.
   Par la porte bien close du cabinet tout proche passent des voix confuses, l'une hésitante et molle, l'autre assurée et forte. On prend les choses en main, là-dedans, au moins. Les voix parlent sans hâte derrière la porte close, cela fait un bruit doux qui le berce.
    Le malade s'ennuie, c'est bon d'attendre ainsi.
    Le soleil du balcon danse au rideau qui mousse, le vieux tapis à fleurs est sous les pieds qui battent la mesure des secondes un grand pré piétiné. Et le fauteuil canné aux longs bras dépaillés s'étire comme un baigneur. 
   Des casiers de métal, tassés contre le mur, remplis de fiches en ordre alphabétique, forment une paroi d'écorce brune et blanche, que le soleil joueur s'en vient escalader. Il y a là rangés des milliers de malades et de maladies... rien n'est plus commun que la maladie, pourquoi se croire unique ? se dit le malade placide.
    Le soleil ne semble pas se lasser de danser, le vieux fauteuil s'étire à l'été revenu. Le malade se sent vraiment tout à fait calme.
  Sur la petite table, des magazines anciens forment des taupinières fripées, colorées et bavardes... Le malade partage le clair bonheur d'Eva et les soucis de Charles, la noble nostalgie des empereurs déchus...  Oui... le miracle existe... on a des raisons d'y croire... puisque c'est reparti avec Eduardo... 
    Le malade est si bien maintenant... il est heureux de s'ennuyer. Il y a si longtemps que son corps douloureux ne l'a pas laissé s'ennuyer doucement. Le temps s'étire au grand soleil, le malade a le temps d'attendre, il a tout le temps devant lui... autrefois il aurait dit qu'il avait du temps à tuer... mais c'est une expression qu'il évite désormais.
    Le malade est si bien. Il sursaute et se trouble quand enfin on l'appelle. Le voilà trébuchant dans le cabinet sombre, nu comme un mort au jugement dernier, sous le regard qui sait. Et tout, à ce moment, a l'air d'aller trop vite. Un vertige le prend. Mais la voix grave et assurée prononce le verdict et lui donne les ordres, dicte les prescriptions. Non, rien ne presse en fait, puisqu'il y a encore tant d'autres rendez-vous à prendre, tant de confrères à consulter, tant de fiches à remplir, tout un avenir balisé qu'on lui trace, de clinique en laboratoire, de laboratoire en hôpital.
    Quand il sort, le malade hésite un peu sur le seuil, il jette un coup d'oeil sur la salle d'attente bien remplie maintenant, d'autres malades s'ennuient là à sa place, feuilletant les journaux, suivant des yeux le rayon de soleil étourdi pendu comme un vieux chat au rideau fatigué, traçant du bout du pied les fleurs manquantes sur la prairie du tapis râpé, consultant vaguement leur montre ou leur téléphone, des gens qui ont le temps, eux aussi...
    Il marche dans la rue, avec ses ordonnances, ses radios, ses analyses et ses mesures. Il est tard maintenant... c'était si long, c'est vrai, tout à l'heure, c'était si long, quand il s'ennuyait tant, dans la salle d'attente... Le malade repense à ce qu'on lui a dit, des mots précis, des mots savants, des mots déjà dits à tant d'autres... des mots bien durs tout de même, en y réfléchissant. Mais sur la liasse de prescriptions tout est clairement noté, tout est prévu et ordonné, on va le prendre en main, pourquoi donc s'inquiéter... ?
    Il fait froid dans la ville, que de nuages amassés soudain... c'était l'été pourtant, là-haut, il n'y a qu'un instant... Le malade se retourne pour jeter un coup d'oeil à la fenêtre claire, au-dessus du balcon fleuri où le soleil jouait comme un vieux chat. Comment la retrouver ? Plus rien ne la distingue, sur la façade morne de cet immeuble gris qui le regarde sans le voir, de tous ses yeux aveugles, indifférents.
   Ce n'est qu'une fois passé le carrefour si sombre que le malade comprend : l'attente, la longue attente, c'est maintenant qu'elle vient de commencer...

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A quai

Publié le par Carole

A quai
Un quai désert et sombre. Sur l'unique banc de fer, une femme s'assied. Agée, usée, pauvres savates aux pieds, manteau gris pauvreté sur ses épaules maigres. L'air dur, hostile. Elle mâche on ne sait quoi comme on mâcherait un mauvais coup.
J'attends la suite.
Voilà, il entre en scène en boitillant, il la suivait. Encore plus vieux, encore plus gris, encore plus pauvre, pitoyable et voûté, il s'approche lentement de la femme. Il lui demande quelque chose à l'oreille, et, comme il murmure à la façon des sourds et des acteurs, j'entends nettement que c'est "un peu d'argent".
Elle jubile.
— Non ! T'as qu'à travailler.
L'homme s'éloigne, tête basse, l'air honteux, résigné. Elle a cessé de remâcher, et crache maintenant son sourire de triomphe. Puis, quand le train s'arrête pour la prendre, elle grimpe alertement, rajeunie de mépris. Lui reste tout là-bas, au bout du quai, de plus en plus fatigué et voûté, à regarder de loin. 
 
Je ne sais pas pourquoi, j'ai eu l'impression qu'ils se connaissaient bien, ces deux-là. Que sans doute ils l'avaient souvent jouée, cette scène étrange, grotesque et brutale comme une bribe de Beckett. Un sketch écrit d'avance par l'éternelle humanité, où elle aurait été le maître et lui l'esclave. Deux rôles d'ailleurs parfaitement interchangeables. Aussi misérables l'un que l'autre, évidemment.

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Les murs

Publié le par Carole

Les murs
Au "pocheur" inconnu qui transforme en décor le ciment de la ville, et fait de nos trajets de lents chemins de ronde. A l'artiste modeste qui pose sur nos murs comme sur des cimaises ses grands cartons pensifs, peints à l'encre des nuits pour les petits du rêve.
 
 
Tant de mystères grandissent dans ce qu'on croit bâtir
Et tant de nids éclosent de tout ce qu'on détruit.
 
Les lents chemins qui mènent vers la vie qui s'éveille
Naissent aux terriers profonds des ombres qui sommeillent.

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Inauguration

Publié le par Carole

Inauguration
L'affiche est déchirée, pâlie d'oubli et de soleil, piquée de rouille et de pluie brune, froissée aux mains du vent, déchirée par le temps.
Mais le mot reste fièrement lisible, avec son R de naïve audace :
 
"INAUGURATION"
 
On aurait pu écrire "ouverture", mais on a préféré, pour se confier au sort, choisir "inauguration", qui retient quelque trace des antiques augures.
C'est une telle joie, de commencer, une si tremblante espérance.
 
Ouvrir la première page du cahier de feuillages, au premier jour des sources, pour y inscrire, à la pointe d'eau verte du crayon retrempé, les premiers mots du tout premier poème.
Poser la première pierre comme une graine dans la boue, parmi les fleurs semées et les rêves en bourgeons.
Planter le premier arbre pour l'offrir au jardin. Peindre au bout du chemin la petite maison.
 
Y croire et croire. S'arrêter sur le seuil.
Coller l'affiche sur le mur. Et détourner les yeux de la table du fond où s'est déjà assis Demain, joueur féroce qui la battra parmi ses cartes. Ne regarder que devant soi.
Passer la porte enfin et s'avancer. Essuyer l'ombre de la main comme un verre sale.
 
Dans tout commencement, toute la vie, tout l'élan de la vie.

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Le musard (réédition)

Publié le par Carole

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    "Tu sauras que "musardise" signifie rêvasserie douce, chère flânerie, paresseuse délectation à contempler un objet ou une idée... Tu sauras que, suivant certaines étymologies, "musarder" veut dire avoir le museau en l'air, ce qui est bien le fait du poète."
(Edmond Rostand, Les Musardises)
 
 
 
Ce musard bleu attendait à quai, posé sur le reflet des arbres, tirant un peu sur sa laisse rouillée. Après la pluie il avait conservé, au creux de son museau, un peu de l'eau du ciel.
Moi, l'éternisant, pour l'amuser je lui parlais, poétisant tout bas :
"Musardons, mon musard, puisqu'à musarder tu m'invites, musaraigne du flot.
Musardons pour amuser la Muse, l'enjôleuse musarde qui ne sourit qu'à ceux qui musent, aux nonchalants qui usent, abusent et jamais ne mésusent des douces musardises.
Musardons aux murmures de l'eau, aux reflets musagètes, à tout ce qui infuse.
Musardons, paressons en musarderies, posons-nous sur les mots qui sinuent et qui muent, sur les phrases profuses et les pensées diffuses.
Musardons, oublions la Camuse, qu'elle en reste confuse, cette absurde fâcheuse, cette obtuse faucheuse.
Musardons, qu'aucune crainte creuse, qu'aucune ruse abstruse ne vienne museler notre musette. Et puis, que la musique fuse, qu'elle soit juste, qu'elle soit forte, qu'elle soit douce, qu'elle soit âpre, qu'elle soit nécessaire à ceux qui nous écoutent, et même à ceux qui nous accusent !
Il ne nous faut rien de plus.
Car à ceux qui savent musarder, qu'on appelle poètes, la Muse donne tout ce qu'aux autres elle refuse."

 

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La brisure

Publié le par Carole

La brisure
Il pleuvait. A verse et à tristesse.
Tout près de la statue veillaient ces canards bruns.
De la même couleur exactement que la forme de pierre. Et comme elle immobiles au-dessus du bassin où ricochait l'averse.
C'était une si belle harmonie, un si délicat camaïeu de silhouettes et de nuances, que je me suis arrêtée. Un bon moment j'ai admiré, trempée, ce tableau du jardin sous son glacis de pluie.
Une image très pure, très heureuse, d'une grâce réconfortante, dans la boue d'un jour d'ombre.
 
Soudain j'ai vu la jambe brisée de l'enfant dans les bras de sa mère.
Le moignon ouvert du genou.
Et cette femme hallucinée, qui le tenait dans ses bras sans rien savoir, et se penchait trop loin, souriante, fascinée par sa propre image tremblante.
Tandis que le miroir piqué de pluie se déchirait comme un cri qu'on étouffe.
 
C'est si souvent ainsi : on admire l'harmonie. La grâce nous séduit. Le bonheur, d'un peu loin, nous semble si parfait. Ce n'est qu'après qu'on la remarque, la fêlure, la blessure.
La brisure. 

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Noir et blanc, blanc et noir

Publié le par Carole

Noir et blanc, blanc et noir

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Noir et blanc. Blanc et noir.
Droite et gauche. Gauche et droite.
Bure et plumes. Plumes et bure.
Rude et tendre. Tendre et rude.
Bons voisins. En damier.
Au balcon. Font la paire.
Différents. Vont ensemble.
Sous le vent. Se ressemblent.
Même vie. Même toit.
Comme toi. Comme moi.
L'un et l'autre. L'autre et l'un.
Compagnons.
Nom de nom !
Noir et blanc, blanc et noir

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