La fenêtre dans le mur
"And before me ran this long wide path, invitingly..." (H.G. Wells, The Door in the Wall)
Vous connaissez peut-être cette nouvelle d'H.G. Wells, qui s'intitule La Porte dans le Mur. Elle raconte l'histoire d'un enfant qui découvre un jour, au milieu d'un mur gris, une porte, colorée, lumineuse, qui mène à un autre monde. Il rencontre plusieurs fois la porte, ensuite, sur d'autres murs, et la dédaigne, puis, devenu adulte, il la perd tout à fait, et il se met alors à la poursuivre partout comme une obsession, sans jamais plus pouvoir la retrouver.
Sur ma route, j'ai rencontré, un beau soir de printemps, cette fenêtre qui s'ouvrait dans un mur gris. Elle penchait un peu, comme un visage fatigué, au-dessus de son balcon en coeur... Un rayon de soleil lui faisait un profil d'ombre fraîche, et des fleurs de charbon entrelacées aux grilles dansaient en liserons sur le ciment rugueux.
Il m'a semblé que quelqu'un m'appelait. J'ai cogné doucement à la vitre. Enfin j'ai aperçu, derrière le carreau un peu brouillé, deux yeux fanés tout grillagés de rides et qui me regardaient.
Il y en a tant, dans la ville, de ces vieilles gens que l'on distingue à peine derrière leur carreau gris, guettant sans fin le spectacle modeste de la rue, et passant les journées à attendre, à espérer on ne sait quoi - une visite, un infime événement -, ou juste à suivre le parcours lent des ombres, le passage des heures... Je n'aurais su dire si c'était un homme ou une femme qui se tenait là, derrière cette fenêtre, mais c'était un visage, et qui me souriait, qui avait l'air de me connaître... .
J'ai collé mes yeux sur la vitre, j'ai senti le battant céder doucement sous mon poids... la fenêtre n'était pas vraiment fermée.
J'aurais pu l'ouvrir tout à fait, j'aurais pu me pencher au balcon vers la chambre, j'aurais pu laisser entrer la lumière sur cette vie recluse, j'aurais pu bavarder un moment avec celle ou celui qui s'était réfugié dans cette ombre, et m'avait si longtemps attendue.
Mais je me suis simplement reculée, pour prendre la photo, avant de poursuivre ma route.
Plus tard, quand j'ai voulu revenir, retrouver la fenêtre, il n'y avait plus rien. Qu'un mur gris, lisse et froid. Du grand coeur charbonneux du balcon il ne restait qu'une ombre aussi imperceptible qu'une larme de pluie.
Ne te retourne pas : c'est ce que dit la nouvelle de Wells, c'est ce que disait déjà le vieux mythe. Je le savais si bien... pourquoi suis-je donc revenue ?