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La Création

Publié le par Carole

La Création
"Dem kommenden Tage sagt es der Tag,
Die nacht, die veschwand, des folgenden Nacht."
("Le jour le dit au jour qui vient,
La nuit qui disparaît, à la nuit suivante")
Haydn - La Création 
 
 
J'avais croisé l'autre jour cette petite fleur sur mon chemin.
Petite fleur poussée sur le mur gris, qui s'arrachait à l'ombre, lançant vers les étoiles les fusées de ses graines. Petite fleur en majesté dont les pétales roulaient sur le ciment comme baguettes de tambour. Petite fleur frottant au vent ses cordes blanches de harpe en joie. Fleur de craie tournoyante qui voulait écrire son poème au tableau avant que la pluie ne l'efface.
Elle est partout, la Création. Sur les murs de la ville aussi bien que dans les musées et les salles d'orchestre. Car elle est une, toujours la même, quelque forme passagère que lui donne le hasard ou l'effort. Car c'est partout le même élan, sans fin recommencé, pour qu'il y ait, au lieu de rien, toujours, toujours, quelque chose. 
Quelque chose. Cela est si modeste, souvent, humble et fragile comme une fleur.
Mais voilà qu'à peine né du rien, irrésistiblement, ce quelque chose, quoi que ce soit, fleur du chemin, bout de craie ou partition d'orchestre, se met à tendre vers le tout - vers cette perfection que le hasard ou l'effort réalise parfois à la fin, mais qui elle-même ne peut s'atteindre que pour disparaître aussitôt. Avant de renaître, ailleurs, forcément, un peu plus loin, un peu plus haut, ressemée par le vent et la pluie, dans ce grand élan de toujours qu'on appelle 
Création.
 
Je pensais à cela ce matin en assistant à la merveilleuse représentation de la Création de Haydn qui nous a été donnée pour la Folle Journée par le Sinfonia Varsovia et l'Ensemble vocal de Lausanne.
Michel Corboz ne les dirigeait plus. Il est si vieux maintenant.
Je me suis souvenue de la petite fleur qui semait ses étoiles, avant de disparaître sous la pluie.
 

Publié dans Nantes

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Banc'al

Publié le par Carole

Banc'al
Je l'ai vu au Jardin des Plantes.
Oh, certes, il n'aurait pas cassé trois pattes à un canard. Faisant le pied de grue, il attendait sur ses béquilles, incertain, vacillant.
Il était né pour ramper sur le sol, après tout, dans la boue et la paix, et voilà qu'il lui était poussé, au lieu d'une griffe de lézard, ce grand pied de statue qui voulait qu'il s'élève.
Nain affligé d'une patte de géant, il ne savait qu'en faire.
Banc'al - comme tant d'autres - il n'avait reçu du destin que ces dons incomplets qui nous font trébucher avant même d'avoir pris notre élan. 

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Pas de côté

Publié le par Carole

Grue Jaune - Anciens Chantiers navals de Nantes - 9-11-2015

Grue Jaune - Anciens Chantiers navals de Nantes - 9-11-2015

Tout à l'heure, on travaillait sur la Grue Jaune, redevenue machine sur les chantiers de l'île. Des ouvriers, là-bas, s'agitaient à nouveau, si haut dans les nuages, par-dessus l'estuaire, qu'ils devaient voir loin sur la mer les bateaux d'autrefois.
 
Un peu plus tard, quand j'ai passé le pont, le Belem revenu, patient sous sa mâture comme un grand cerf portant ses bois, attendait à l'attache, retrempé dans l'or frais qu'il avait bu au fleuve, aussi vaillant qu'au jour où il sortit des cales.
 
Et c'était comme si ce soir-là, le soleil en rêvant, après avoir joué sur son ancien Pleyel sa fatale ritournelle, avait osé, distrait, avant de s'en aller, un petit pas de côté,
un léger pas chassé sur la pédale douce
qui aurait fait glisser le lent clavier des heures.
Laissant vibrer
note après note
les jours d'avant.
Laissant danser
claires et vivantes
toutes les ombres 
mortes.
Le Belem, lancé à Nantes en 1896 et revenu au port - 9-11-2015

Le Belem, lancé à Nantes en 1896 et revenu au port - 9-11-2015

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Les Centaures (réédition revue)

Publié le par Carole

le centaure 5

 

   La ville est peuplée de Centaures. Ils sont bien vieux, ne galopent plus guère, mais se tiennent assis, nonchalants et rêveurs, revêtus de lichens, de feuilles mortes et de vert-de-gris, dans les allées des jardins et des parcs.
    Ce sont des bancs de bois, de vieux bancs de rondins cerclés de fonte, achetés en nombre vers 1930 à la maison Wasmer et Cie de Bischaviller - ou à la maison Graff et Cie de Kogenheim. On lit très bien leur nom dix fois repeint, inscrit en grandes majuscules par le moule de l'usineur : LE CENTAURE.
    Comme les sphinx, c'est de profil qu'il faut les admirer, à l'ombre d'un grand magnolia ferrugineux ou d'un fier tulipier : ils ont encore si forte allure, avec leur encolure sinueuse, leur grand front pur, leurs larges pattes et leurs reins solides.
    Immobiles et doux, ils emportent au loin des vagabonds errants et des mères fatiguées, des veuves et des veufs, et de jeunes Achille endormis sur leur croupe. Des chiens fous, des chatons, des pigeons, parfois des hommes aussi, déposent leur engrais comme une offrande sur leurs pieds rivetés. Impassibles ils regardent, là-bas, ce que nous ne savons plus voir.
    Quand le soleil les frappe, rayant le sol de tous les barreaux de leur ombre, ils se souviennent. Ils revoient en pleurant les vallées d'Arcadie, les cieux vibrant d'étoiles et d'oiseaux, les forêts ondoyantes, les libres étendues d'avant. Dans la lumière qui flambe, tout recommence et tout finit. Et c'est encore ce grand combat contre les Lapithes, et cette lutte sans merci, cette défaite impitoyable qui vit mourir leur peuple et disparaître, à jamais, l'ancienne alliance de l'homme et de la nature, sous les coups acharnés de la civilisation et de la raison nouvelle. 
   Alors le jardin tout entier frémit, dans un long et muet hennissement humain.

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Etoiles

Publié le par Carole

Etoiles
  La semaine dernière il était à l'amende. On voulait le chasser.
  Voici qu'il était de retour tout à l'heure, dans la cohue du samedi, plus vif et brillant que jamais, le petit violoniste.
 
  Un peu plus loin j'ai croisé un pianiste des rues dont l'écriteau disait : "la Manche est aussi belle que la Méditerranée".  Aussi belle, peut-être, et aussi agitée, hélas !
 
  Ils sont si peu de chose, ils sont si légers, si fragiles, et si vite emportés aux caniveaux des villes, ces êtres de passage qui posent parmi nos ombres leurs pauvres étoiles de joie factice - bulles de rien pailletées de misère, aussitôt effacées dans le grand vent des foules.

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Vous qui peinez et travaillez

Publié le par Carole

Nantes - Ancienne église Saint-Georges des Batignolles - fresque de Pierre Bouchaud.

Nantes - Ancienne église Saint-Georges des Batignolles - fresque de Pierre Bouchaud.

J'ai pu voir enfin, hier, à l'occasion des journées du Patrimoine, les belles fresques de l'ancienne église ouvrière des Batignolles.
"Venez à moi, vous qui peinez et travaillez", disait le grand Christ de l'autel à tous ceux que la vieille malédiction a condamnés à travailler à la sueur de leur front et qui s'affairent autour de lui.
J'ai pensé à Diego Rivera. Une référence tellement inattendue, dans cette petite église nantaise.
On représente souvent, dans les églises, ici ou là, de chapiteau naïf  en statue émoussée, l'humble travail des Humbles. Mais il n'est pas fréquent de le célébrer ainsi, somptueusement, et de lui consacrer - littéralement - l'essentiel du décor.
Si peu fréquent même, si surprenant et si dérangeant - par ce mot j'entends qu'un certain ordre est mis à mal, bouleversant rangs et places -, que je me suis demandé si ce n'était pas pour cela, au fond, et non pour on ne sait quel risque d'écroulement, que cette église des pauvres, échappant à grand peine à la démolition, avait été, après un demi-siècle seulement d'existence, définitivement fermée, remplacée par un nouveau et terne bâtiment de béton. 
Quoi qu'il en soit, j'ai admiré cette célébration naïve de la peine des hommes.
Des hommes... Et des femmes aussi.
Car, et c'est sans doute le plus admirable et le plus dérangeant, dans cette église où Marie elle-même dresse la table en compagnie du petit Jésus, avant de retourner ravauder son linge, elles n'ont pas été oubliées, ces millions de femmes laborieuses qui cousent, nourrissent et soignent, et, de tous leurs efforts méprisés, toujours recommencés, soutiennent le monde et le font tourner, le créant et le recréant sans cesse - divinement.
Vous qui peinez et travaillez
Vous qui peinez et travaillez

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La grande roue, le cimetière, et les lointains bleutés (réédition)

Publié le par Carole

grande-roue-cimetiere-14.jpg
 
J'ai profité, comme bien d'autres, des Journées du Patrimoine pour me rendre au sommet de la tour de Bretagne.
Là-haut, après le premier moment de trouble provoqué par le vertige, ou peut-être plutôt par les ombres étranges que dessine l'épais grillage tendu comme une tente pour empêcher les suicides, chacun bientôt cherchait avec passion à retrouver, derrière les mailles de fil de fer, là-bas, sa maison, son petit morceau d'univers, son tout de chaque jour, avalé par l'immensité du paysage.
Renonçant à trouver le mien, qui se noyait sans espoir dans les masses indistinctes de la banlieue, j'ai posé mon appareil dans un trou du grillage pour prendre cette photo.
C'était si étonnant, si évidemment symbolique... la grande roue de la fête foraine surgissait devant moi toute blanche et légère, comme une fleur de pissenlit semant au vent d'automne, et, derrière elle, à droite, dans la direction que traçait l'infime colonne Louis XVI presque effacée, juste après les bosquets encore bien verts du Jardin des plantes, j'apercevais nettement ce champ gris semé de hautes pierres, ponctué de rares arbres sombres : le cimetière de la Bouteillerie.
La roue tournait lentement, blanche et bleutée, au bord du ciel, bien au-dessus des toits, avec son chargement d'humains en fête - le cimetière attendait dans la paix qu'ils reviennent à l'hiver, qu'ils redescendent vers la terre...
Une petite vanité, en somme, vue de très haut.
 
Rien d'étonnant au fond à ce que, depuis le sommet de la Tour, si haut bâtie pour célébrer la grandeur de la ville et l'audace des hommes, on voie ainsi les maisons se dessiner en cubes dérisoires, et la vaste cité se réduire à si peu - semblable à ces plans-reliefs d'architecte qu'on montre dans certains musées - au musée des Invalides, par exemple, et même au Clos-Lucé d'Amboise, où j'en ai observé un récemment, représentant la ville idéale de Léonard, juste sous la maquette si émouvante de l'homme volant, ce bel Icare suspendu dans les airs par de courtes ailes de chauve-souris. - De quoi réfléchir à nos égarements de mortels, minuscules et superbes enfants de Dédale.
 
Depuis l'église si lourdement posée, à gauche, on aurait peut-être pu tracer quelques voies d'espérance - mais ce n'était, hélas ! que Saint-Clément, terne bâtisse de la fin du XIXe siècle, seule église bourgeoise et laide parmi tant d'admirables que l'on peut voir à Nantes.

Cependant, il y avait, dans les fonds, là-bas, comme sur un tableau de Léonard, ces beaux lointains bleutés où la terre rejoint le ciel. Par un jeu patient et subtil d'ombre et de lumière, sfumato, insensiblement. Ces grands chemins vaporeux et sereins où tremble l'horizon, au bord laiteux du monde. Ces longs glacis trempés de brume et lavés de clarté, au pied des pentes bleues du temps, où l'infini fait signe.

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Café du rêve

Publié le par Carole

Café du rêve
ecousent Je passais dans la rue. C'était un de ces jours où l'on se dit que rien n'arrivera, puisque tout est si laid.
Soudain il y a eu ce léger souffle de vent. J'ai entendu au-dessus de moi le froufrou d'un rideau, et j'ai levé la tête :
Café du rêve
 
Un peu pompette et très usé, il avait si longtemps dormi, le vieux rêve, à l'enseigne des copains d'abord et des lendemains qui chantent. Il avait si longtemps cherché l'aventure dans le marc, et si souvent refait le monde en tapant la belote contre son verre d'absinthe. Il s'était tellement fatigué lézardé démodé.
Qui donc ne l'aurait cru désormais
bien mort mal enterré ?
Alors ce souffle chaud sur la vitre refaite, ce mot dansant chantant qui veut dire hospitalité,
TERANGA
c'était comme un message
un de ces beaux hasards
qui recousent les ombres
avec le fil des âmes.
 
 
Et dans leur nuit là-bas, sur l'étroit bastingage de l'ancienne vitrine, il m'a semblé les voir, les vieux rêveurs, agiter leur main pâle
comme des voyageurs qui s'en iraient plus loin.

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Incendie

Publié le par Carole

Basilique Saint-Donatien, Nantes, 15 juin 2015 à 16h44

Basilique Saint-Donatien, Nantes, 15 juin 2015 à 16h44

Si je vous dis que ce matin, Saint-Donatien brûlait, et que, ce soir, Saint-Donatien fumait, toit crevé, pierres noircies, je crois que vous n'allez pas vraiment comprendre.
Il faut d'abord que je vous raconte deux histoires.
La première est assez récente : c'est celle de l'incendie de la cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul, en 1972.
Un couvreur travaillait sur le toit, soudant au chalumeau... exactement comme à la basilique Saint-Donatien-Saint-Rogatien, ce matin. 
Histoire jumelle...
 
La seconde est très, très ancienne : c'est celle des gémeaux Donatien et Rogatien -Rogatien et Donatien. Romulus et Rémus d'ici, doux comme des enfants, martyrisés et fondateurs. Sur leurs corps confondus on a bâti, dit-on, la première église d'ici, et la foi de la ville, à l'ombre dorée de leur palme aujourd'hui toute noire, se reposait depuis bientôt deux millénaires.
Histoire de jumeaux... 
 
Incendie
Voilà, je crois que vous commencez à comprendre ce qui tout à l'heure ne s'est si bien consumé que pour se raviver, à la rumeur des flammes et à la flamme des symboles, dans le brasier de Saint-Donatien : un grand pan de mémoire, et cette petite part de légende dont toute ville a besoin pour y planter ses fondations.
 
Cette étrange impression, aussi, que tout, ici, est voué à la gémellité comme le monde à l'éternel retour.
 
http://www.ouest-france.fr/eglise-saint-donatien-incendie-actuellement-leglise-3484512

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Au jardin

Publié le par Carole

Au jardin
Dans le journal local, on apprenait récemment que le Jardin reçoit tant de visiteurs qu'il est désormais "saturé".
"Saturé", le Jardin ? livré aux foules, aux badauds en troupeaux et aux enfants en joie ?
Peut-être.
Mais moi, ce qui toujours m'émeut, quand j'y passe, c'est la solitude.
Solitude des passants. Solitude sur les bancs. Solitude en rouge et solitude en gris. Solitude d'ici, solitude de là-bas. Solitude est partout.
Le Jardin est saturé, c'est vrai. Saturé de solitude. Si lourdement chargé de solitude qu'il tanguerait et tournoierait comme un radeau perdu, si les arbres et les fleurs, et les oiseaux tranquilles et les vieux bancs Centaure, ne l'amarraient, de toutes leurs ailes et de toutes leurs racines, de toute leur éternité vivante, à l'immobile Eden.
Au Jardin ils s'en viennent tous, les silencieux, les oubliés, poser leur grand fardeau de solitude. Dans la douceur des ombres et l'appel des colombes, elle ne fait presque plus mal, la misère Solitude. Dans la paix du Jardin, bon cimetière des coeurs, elle est le vieux chien qui attend patiemment, sans tirer sur sa laisse.
 
Au jardin

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