Les Centaures (réédition revue)

Publié le par Carole

le centaure 5

 

   La ville est peuplée de Centaures. Ils sont bien vieux, ne galopent plus guère, mais se tiennent assis, nonchalants et rêveurs, revêtus de lichens, de feuilles mortes et de vert-de-gris, dans les allées des jardins et des parcs.
    Ce sont des bancs de bois, de vieux bancs de rondins cerclés de fonte, achetés en nombre vers 1930 à la maison Wasmer et Cie de Bischaviller - ou à la maison Graff et Cie de Kogenheim. On lit très bien leur nom dix fois repeint, inscrit en grandes majuscules par le moule de l'usineur : LE CENTAURE.
    Comme les sphinx, c'est de profil qu'il faut les admirer, à l'ombre d'un grand magnolia ferrugineux ou d'un fier tulipier : ils ont encore si forte allure, avec leur encolure sinueuse, leur grand front pur, leurs larges pattes et leurs reins solides.
    Immobiles et doux, ils emportent au loin des vagabonds errants et des mères fatiguées, des veuves et des veufs, et de jeunes Achille endormis sur leur croupe. Des chiens fous, des chatons, des pigeons, parfois des hommes aussi, déposent leur engrais comme une offrande sur leurs pieds rivetés. Impassibles ils regardent, là-bas, ce que nous ne savons plus voir.
    Quand le soleil les frappe, rayant le sol de tous les barreaux de leur ombre, ils se souviennent. Ils revoient en pleurant les vallées d'Arcadie, les cieux vibrant d'étoiles et d'oiseaux, les forêts ondoyantes, les libres étendues d'avant. Dans la lumière qui flambe, tout recommence et tout finit. Et c'est encore ce grand combat contre les Lapithes, et cette lutte sans merci, cette défaite impitoyable qui vit mourir leur peuple et disparaître, à jamais, l'ancienne alliance de l'homme et de la nature, sous les coups acharnés de la civilisation et de la raison nouvelle. 
   Alors le jardin tout entier frémit, dans un long et muet hennissement humain.

Publié dans Nantes

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D
Elle est très évocatrice cette photo de banc. Et de savoir que c'est un Centaure, c'est encore mieux.<br /> Merci pour ce joli texte
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M
Animés par toi ces centaures deviennent très émouvants
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M
Si les bancs gardent en eux les ondes des conversations des utilisateurs, que de secrets chuchotés, de rires partagés,...<br /> <br /> Superbe Carole<br /> Merci
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F
quel beau texte
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F
Bel hommage pour ces bancs d'un âge certain et qui sont toujours là!!Leur bois a du être repeint et vernissé ainsi que la fonte qui le soutient mais respect à "CENTAURE" Bisous Fan
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J
Tu sais si bien parler d'eux ! Eux sauraient sans doute en dire bien long sur les humains. Belle journée Carole; Amitiés. Joëlle
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L
Juste pour te dire un petit bonjour de convalescente. Je ne t'oublie pas. Je reviendrai bientôt, merci pour ton amitié, chère Carole.
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N
Il y a une autre vie, celle de l'imaginaire, qui croise, grâce aux poètes, le vraie vie, et nous la fait aimer. Merci encore, poète.
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Q
Loin de leurs jardins habituels, ils nous offrent beaucoup.<br /> Merci pour ce très beau texte, Carole.<br /> J'aime les bancs...
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A
super ! j'adore ce côté découverte d'un patrimoine industriel mêlé d'humour qui fait ouvrir les yeux sur le mobilier urbain que l'on côtoie sans toujours y prêter l'attention nécessaire.<br /> merci<br /> bonne journée
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L
En effet, on les croise souvent ces centaures, et combien nous sommes heureux de nous y reposer!
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J
J'en ai croisé... J'en croise encore. Majestueux. Combien de corps ont-ils accueillis. Combien de repos mérités, de détresse, d'amour et de gaîté ont-il été les témoins ? Le banc, comme la gare, est un croisement du temps et de l'espace. Jonas
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A
Magnifique, Carole ! Magnifique !!
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C
Quelle belle façon de ressusciter la mythologie. Oui, nous sommes aussi fait de mythes ! Beau dimanche ensoleillé à vous, Carole.
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A
Il faudrait bien qu'il en reste encore quelques uns de ces vieux sages, pour nous emmener galoper sur la voie <br /> de la nature, le jour où, enfin, nous aurons compris combien nous nous sommes trompés et qu'il est grand temps de rebrousser chemin...
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C
Parfois, les chemins se sont refermés... Il faut savoir rebrousser chemin à temps.
R
Honte à moi !<br /> J'avais oublié ce superbe texte ... ainsi, bien sûr que le commentaire que voici bientôt trois ans j'avais ici déposé.<br /> Je n'ai qu'un chose à ajouter : au fil des textes et des photos que vous nous avez offerts depuis, votre blog demeure un havre de pure beauté, littéraire autant qu'iconographique.
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C
Merci beaucoup, Richard. C'est votre compliment qui est très beau. <br /> De temps à autre je reprends un "vieil" article et j'essaie de l'améliorer. Il reste encore beaucoup à faire.
J
Je connais ce genre de banc... fonte et bois, un bon vieux public.... ;-)
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V
Ton écriture m'émerveille Carole<br /> - Et je suis du genre centaure, qui ne baisse pas le licol facilement ;-)
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C
<br /> <br /> Merci Valdy - et reste "centaure", c'est le moyen de galoper loin !<br /> <br /> <br /> <br />
C
Merveilleux texte qui étreint le coeur, appelant des émotions rêveuses à califourchon sur ces dos de centaures.<br /> Où vont les âmes des vieux bancs lorsqu'ils sont arrachés à la terre mère? Dans la voûte étoilée, où ils reprennent leur forme d'hybrides cavaliers et répandent, sans crainte de les rompre, les<br /> voeux humains qui ont chevauché leurs puissantes échines.<br /> La magie, à l'état pur, une brillante, poétique et palpitante réflexion que tu nous offres. J'en suis émerveillée!<br /> Excellente journée<br /> <br /> Cendrine
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C
<br /> <br /> Merci, Cendrine, ce sont tes commentaires-bijoux qui m'émerveillent. Ils sont magiques et réveillent en moi l'énergie d'écrire losqu'elle faiblit.<br /> <br /> <br /> J'ai beaucoup beaucoup de difficultés avec OB en ce moment. En particulier il m'est souvent impossible d'accéder, dans la journée, aux commentaires et d'y répondre. C'est curieux, la nuit, c'est<br /> plus facile... enfin, j'ai pris énormément de retard, excuse-moi. La cause n'en est pas l'indifférence.<br /> <br /> <br /> <br />
L
Les centaures hennissent comme l'homme crie quand on l'abat. Tes rencontres quotidiennes nous ouvrent des horizons inconnus où je te suis à la trace...Merci, Carole,<br /> <br /> Lorraine
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C
<br /> <br /> Ces centaures témoignent d'une époque où hommes, bêtes et bois s'accordaient étroitement.<br /> <br /> <br /> Je garde un côté paIen, sans doute, car je déplore la perte de cette vision du monde.<br /> <br /> <br /> <br />
R
Absolument remarquable !<br /> <br /> Si j'avais encore été Enseignant, j'aurais sollicité votre autorisation pour partir de ce superbe texte aux fins d'évoquer, non seulement l'art d'écrire mais aussi diverses notions mythologiques<br /> avec mes Étudiants ...
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C
<br /> <br /> Et je vous aurais donné cette autorisation très volontiers !<br /> Merci pour ce commentaire qui m'a fait rougir, tout de même.<br /> <br /> <br /> <br />
V
Superbe, cette rêverie sur le thème des Centaures !! Tu nus transportes.... (c'est le cas de la dire !)
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C
<br /> <br /> à dos de centaures, alors ! Merci Valentine, à bientôt.<br /> <br /> <br /> <br />
H
Des bancs semblables, on en a fait l'élevage partout, on les montrait dans les parcs de chez nous. Je les ai chevauchés et tant et tant aimés. Il n'y en a plus, ils ont été abattus, à part le<br /> dernier de sa race qu'on a laissé mourir et dont il ne reste qu'un vestige. Je l'ai pris en image et bercé en mon coeur avec tous les autres que je conserve dans le paysage de mon âme.<br /> <br /> Merci Carole, j'ai une affection particulière pour ces bancs, pour les chevaux aussi.<br /> <br /> Hélène*
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C
<br /> <br /> Ton commentaire a trotté droit jusqu'à mon coeur qui hennit... de joie ! Merci, Hélène.<br /> <br /> <br /> <br />
M
Observation dans un square et légendes, une superbe envolée!
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C
<br /> <br /> Il y avait si longtemps que j'avais envie de parler de ces braves vieux "centaures" de nos parcs !<br /> <br /> <br /> <br />
B
Un hommage quasi homérique à ces bancs publics qui soulagent nos corps fatigues et accueillent sans broncher nos augustes postérieurs !
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C
<br /> <br /> J'aime beaucoup ton idée d'"hommage homérique" ! Merci, Balladine, à bientôt.<br /> <br /> <br /> <br />
J
Des Centaures qui ont les courbes gracieuses de belles dames, toutes en arrondis et douceur. Si vie leur prêtait parole, ils seraient intarissables ! Amitiés. Joëlle
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C
<br /> <br /> Mais en écoutant bien, on les entend souvent raconter l'Arcadie...<br /> <br /> <br /> <br />
N
Un modeste banc qui, par tes mots, accède à l'Olympe!
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C
<br /> <br /> Et j'admire ce commentaire ! Merci, Nounedeb.<br /> <br /> <br /> <br />
J
Combien de séants les ont poli et de dos humains... Vrai qu'ils ne font pas leur âge !!! S'ils pouvaient écrire comme ces bancs d'école... Que de pages ils rempliraient... Merci Carole... Bel<br /> après-midi à toi !
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C
<br /> <br /> Parfois, les enfants y écrivent des mots d'amour... <br /> <br /> <br /> <br />