La brisure
Il pleuvait. A verse et à tristesse.
Tout près de la statue veillaient ces canards bruns.
De la même couleur exactement que la forme de pierre. Et comme elle immobiles au-dessus du bassin où ricochait l'averse.
C'était une si belle harmonie, un si délicat camaïeu de silhouettes et de nuances, que je me suis arrêtée. Un bon moment j'ai admiré, trempée, ce tableau du jardin sous son glacis de pluie.
Une image très pure, très heureuse, d'une grâce réconfortante, dans la boue d'un jour d'ombre.
Soudain j'ai vu la jambe brisée de l'enfant dans les bras de sa mère.
Le moignon ouvert du genou.
Et cette femme hallucinée, qui le tenait dans ses bras sans rien savoir, et se penchait trop loin, souriante, fascinée par sa propre image tremblante.
Tandis que le miroir piqué de pluie se déchirait comme un cri qu'on étouffe.
C'est si souvent ainsi : on admire l'harmonie. La grâce nous séduit. Le bonheur, d'un peu loin, nous semble si parfait. Ce n'est qu'après qu'on la remarque, la fêlure, la blessure.
La brisure.