Le musard (réédition)
"Tu sauras que "musardise" signifie rêvasserie douce, chère flânerie, paresseuse délectation à contempler un objet ou une idée... Tu sauras que, suivant certaines étymologies, "musarder" veut dire avoir le museau en l'air, ce qui est bien le fait du poète."
(Edmond Rostand, Les Musardises)
Ce musard bleu attendait à quai, posé sur le reflet des arbres, tirant un peu sur sa laisse rouillée. Après la pluie il avait conservé, au creux de son museau, un peu de l'eau du ciel.
Moi, l'éternisant, pour l'amuser je lui parlais, poétisant tout bas :
"Musardons, mon musard, puisqu'à musarder tu m'invites, musaraigne du flot.
Musardons pour amuser la Muse, l'enjôleuse musarde qui ne sourit qu'à ceux qui musent, aux nonchalants qui usent, abusent et jamais ne mésusent des douces musardises.
Musardons aux murmures de l'eau, aux reflets musagètes, à tout ce qui infuse.
Musardons, paressons en musarderies, posons-nous sur les mots qui sinuent et qui muent, sur les phrases profuses et les pensées diffuses.
Musardons, oublions la Camuse, qu'elle en reste confuse, cette absurde fâcheuse, cette obtuse faucheuse.
Musardons, qu'aucune crainte creuse, qu'aucune ruse abstruse ne vienne museler notre musette. Et puis, que la musique fuse, qu'elle soit juste, qu'elle soit forte, qu'elle soit douce, qu'elle soit âpre, qu'elle soit nécessaire à ceux qui nous écoutent, et même à ceux qui nous accusent !
Il ne nous faut rien de plus.
Car à ceux qui savent musarder, qu'on appelle poètes, la Muse donne tout ce qu'aux autres elle refuse."