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Discipline

Publié le par Carole

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Une petite plaque bleue, encadrée d'un filet blanc comme une plaque de rue, est vissée sur la coque de métal du Maillé-Brézé. Elle n'indique qu'un mot : "Discipline".

Pas d'autre direction, pas d'autre choix. Rien d'autre à nous dire. "Discipline".

Et lisant ce mot - "Discipline" - vissé là comme il est vissé sur tant de crânes humains, parmi les canons, les périscopes et les lance-torpilles, devant le Malafon paralysé, sur ce navire de guerre depuis longtemps défunt et embaumé de peinture grise, j'entends la voix de Maria Casarès dans l'Orphée de Jean Cocteau, la dure voix de la Mort houspillant Cégeste si tendre et maladroit : "J'exige une discipline de fer, comme sur un bateau."

 

Publié dans Nantes

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Obséquiosité

Publié le par Carole

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- Parc du Petit Port -

Qu'un arbre, né pour se dresser haut, et grandir compagnon des oiseaux et des astres, se laisse aller à poser genou à terre, à ramper comme un lierre, pour complaire à un très banal et sans doute provisoire réverbère, cela n'arrive pas que dans les jardins de la ville, si l'on y réfléchit un peu.

Publié dans Nantes

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Traverser les cours

Publié le par Carole

 

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 - Cours Saint-André, statue d'Olivier de Clisson -

Traverser les cours saint Pierre et saint André, c'est s'aventurer dans une étrange partie d'échecs.

Les pions de pierre blanchâtre sont posés chacun sur leur case, immobiles, hiératiques. Le roi au centre - Louis XVI - , la dame - Anne de Bretagne, et son unique cavalier - Arthur III -, les deux tours, intactes et hardies, la main sur le pommeau de l'épée - Du Guesclin, Olivier de Clisson. Ce sont les blancs, forcément. Les noirs, ce sont peut-être ces arbres aux branchages assombris de pluie et de cieux gris, plantés avec une régularité maniaque. A moins que ce ne soient ces soldats de 1870 misérables et vert-de-grisés, ou ces otages de 1942 tragiques et fusillés, pions de bronze pugnaces trempés dans l'eau des morts, qui montent la garde aux deux extrémités.

Et toi, passant égaré sur les cours, tu te sens toujours si inquiet, de ne pas savoir de qui tu es le fou. Que fais-tu là, perdu dans cette partie dont les calculs t'échappent ? Joues-tu pour les blancs ou pour les noirs ? Ou n'es-tu qu'un insecte qu'Ils ne prennent pas la peine de balayer du plateau sur lequel Ils se penchent ? Qu'attendent les Joueurs, depuis tant d'années, pour jouer le coup suivant ? Tu ne sais pas, tu ne sais rien, tu t'en vas au hasard, glissant sur l'échiquier de ton pas qui ne saurait pourtant peser, tu as toujours l'impression de déranger un ordre fragile, tu as toujours l'impression de ne pas être à ta place, de te tromper.

 Cours saint Pierre et saint André, tu ne te promènes jamais volontiers, tu passes toujours aussi rapidement que possible, cela te met si mal à l'aise de traverser cette partie interrompue, dans l'ombre de ces Muets d'en-haut, qui jouent, invisibles, à ne pas jouer.  

Publié dans Nantes

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Sagesse

Publié le par Carole Chollet-Buisson

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"FMR" a tagué d'innombrables murs dans la ville. C'est un tagueur exubérant, et pourtant modeste, qui se contente de poser partout ses trois lettres, et ne semble pas prétendre, comme beaucoup d'autres, à des exploits acrobatiques ou esthétiques.

J'aime bien ce nom qu'il s'est choisi et j'y vois en effet une forme de sagesse : le tagueur qui veut laisser partout sa marque, pour exister dans ce monde trop peuplé où les vies sont englouties, reste pourtant conscient que la trace disparaîtra, éphémère insecte aux ailes de peinture blanche, perdu dans la ville éphémère.

Posé sur un arbre, que j'ai photographié à la fin de l'été, au tournant gris de l'année, cet FMR un peu fatigué, et déjà délavé, qui semble glisser vers le sol - cela me semble la note juste, pour finir sagement ma série des Proverbes.

Publié dans Nantes

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Etre et entrer - Les lettres éteintes -

Publié le par Carole Chollet-Buisson

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Ce soir-là, au-dessus de la porte du Lieu unique, deux lettres étaient éteintes, si bien que le mot "être" apparaissait tout vif et brûlant dans le mot "entrée". Je n'avais jamais pensé à la parenté de ces deux mots. J'ai trouvé beau le bref message de ces lettres de néon vacillantes, qu'on réparerait dès le lendemain sans doute. 

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Au jardin

Publié le par Carole Chollet-Buisson

Les jardins de la ville sont remplis d'êtres insignifiants et merveilleux, capables de marcher lentement, de suivre les longs détours des chemins qui tournent, d'étudier les panneaux qui désignent les arbres, de se pencher sur un reflet dans l'eau, de faire, comme le fameux Lloyd, le rival du docteur Ecorchard, des "festins de tulipes", ou de regarder pousser les fruits du kaki sous la gangue des hivers gris. Ce sont les vrais passants de la ville, ceux qui savent avancer au rythme de leurs propres pas, qui sont les pas des arbres, les pas des oiseaux, et les pas des chemins.

Au jardin des Plantes, j'ai choisi ces trois-là, que j'ai trouvés si émouvants.

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D'abord, ce jeune prêtre. Le jardin est proche de la cathédrale, de l'Evêché et du séminaire, si bien qu'on rencontre assez souvent des soutanes dans les rues avoisinantes. Spectacle sévère et édifiant, froissement silencieux du tissu sur les trottoirs sombres. Mais ce jeune homme, avec son sac à dos, sa démarche vigoureuse, et, surtout, cette façon qu'il avait de lever la tête pour regarder les oiseaux, le ciel, le printemps... je ne m'étais pas d'abord aperçue qu'il portait une soutane. Ce n'est pas à Julien Sorel que j'ai pensé, mais à Fabrice Del Dongo.

 

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Puis j'ai vu - et compris aussi, je crois - cette mariée attendant sur un banc, loin de la noce, après la séance de photos, reposant sur les vieux pavés ses pieds martyrisés par les escarpins neufs, étirant sur le brave banc "Centaure" son corps souple fait pour nager et courir au soleil, et regardant, toute rêveuse, passer des cyclistes en jeans.

 

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Enfin j'ai aimé cette vieille femme au milieu des pigeons, seule et toute voûtée, mais si curieuse encore du monde et des autres, s'appuyant à regret sur sa canne pour mieux comprendre les belles évocations de magnolias du japonais Maruyama.

 

Et tous les autres derrière elle, ces silhouettes amusantes ou charmantes, humaines ou animales - en accord avec la vieille femme, avec le prêtre et son sac à dos, avec la mariée et les cyclistes, avec les pigeons, avec les chemins qui tournent, avec le temps qui s'arrête, avec les magnolias, avec le Japon, avec le monde entier.

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Violettes et myosotis

Publié le par Carole Chollet-Buisson

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"Violettes et Myosotis", boulevard Eugène Orieux - photomontage -

 

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Au coin du boulevard Eugène Orieux et du boulevard Michelet habite un vieux, très vieux couple : Violettes et Mysosotis. Leur union remonte, à en juger par le style vaguement art-déco des fresques qui ornent leurs murs de gros moellons, au début du siècle précédent. Ils s'aiment encore d'amour tendre pourtant, du lien solidement maçonné de deux pavillons jumeaux, comme on en bâtissait en ce temps-là dans les banlieues emplies d'herbes folles et de vignes.

Myosotis se penche doucement vers la gauche, côté Michelet, Violettes lorgne un peu vers la droite, côté Orieux - qu'importe puisqu'ils sont fermement attachés.

Leurs noms gracieux sont peints en lettres d'enluminures sur des plaques de tôle un peu mangées de rouille, comme tous les vieux os. Des fleurs passées s'y entrelacent : de petites violettes mauve pâle, couleur de couperose, pour Violettes, et des myosotis de ce bleu délavé des yeux tendres qui se sont usés, pour Mysosotis.

Autour d'eux c'est un fracas de voitures, de motos, de tramways, d'autobus, et de grues sans repos remuant dans leurs jardins éventrés les pavillons des anciennes banlieues, pour faire pousser sur les décombres désuets de leur mauvais goût un avenir de béton lisse.

Ils n'ont pas même l'air de s'en apercevoir. Comme tant de vieilles gens qui n'ont pas vu que leur monde finissait, ils traversent le temps sans comprendre, s'inclinant doucement vers la mort comme les fleurs se fanent - Violettes au bras de Myosotis, Myosotis au bras de Violettes.

Violettes si timide qu'elle ose à peine ouvrir son coeur, - modeste en sa couleur, modeste en son séjour - , Myosotis qui ne l'oublie pas - petite fleur bleue tendre des chevaliers du rêve -.  Ils murmurent pour nous, dans la ville qui gronde, des mots mièvres et doux venus de loin, du langage des fleurs, des guirlandes à Julie et des étroits jardins de paradis enclos sur le bonheur.

 

                                      violettes

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Le pin

Publié le par Carole

 

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Près du château, juste devant les douves, sur le bout de pelouse qui a remplacé ce qui fut autrefois un quai de Loire, juste là, tout près du fleuve enterré, pousse l'arbre le plus étonnant de la ville - bien plus remarquable et bien plus rare que le magnolia d'Hectot, le gleditschie ou le sophora de Krone qui font l'ornement du jardin des Plantes -. C'est un pin parasol, très vieux, singulièrement penché, semblable à ces arbres solitaires qui, dans les tableaux de Corot, indiquent au spectateur une mystérieuse et oblique direction, barrant du trait sombre et épais de leur tronc toute autre certitude. C'est un de ces vieux arbres de l'ancien quai qui ont connu le fleuve quand il miroitait au soleil. Ployé presque jusqu'à terre, comme le sont si souvent les rudes arbres du littoral qui naissent d'une graine accrochée aux falaises et grandissent accablés par le vent, il a détourné du ciel ses branches énormes, et, vers la Loire enterrée, étendue morte entre ses racines, il a fait un tel effort qu'il a fallu l'étayer de lourds tréteaux de métal. Penché, épuisé, ses deux bras appuyés sur ses béquilles de métal, c'est un vieillard qui attend sur la rive absente, un invalide qui se souviendrait.

C'est un arbre qui tombe immobile - comme tant d'entre nous. C'est un arbre sourcier, qui écoute en pleurant le long appel de l'eau étouffée de terre et de gravats. C'est un arbre qui aime, désespérément, entraîné  par sa passion comme par une terrible tempête.

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Fenêtre sur l'Erdre - embarcadère de Port-Durand -

Publié le par Carole

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Les fenêtres sont des miroirs aux yeux ouverts. Les rues chargées de passants, les rivières et les arbres, les tours et les voitures, les lumières des vitrines, les ombres de la nuit - et le ciel et le ciel  - y glissent comme des barques sur leur reflet fuyant.

Elle joue à tout multiplier, la ville, dans ses milliers d'iris. Elle se prend, la ville, pour l'infini.

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Belvédère

Publié le par Carole

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Cette drôle d'échauguette, avec sa hotte de fil de fer, son auvent de palettes et sa balustrade de tuyauterie, c'est le belvédère de la Villa Déchets - vous savez bien, ce bidonville militant, ce pavillon entièrement, exclusivement, obstinément bâti de déchets récupérés. On en a beaucoup parlé, souvenez-vous, avant, bien sûr, de passer à autre chose.

 

Et maintenant, deux petites fables.

La première, je l'ai appelée "ectoplasmes", vous allez voir pourquoi.

 

Ectoplasmes

  Il y a, quelque part dans le Pacifique, dans une de ces zones de calme plat que fuient tous les navires, une île étrange, une île flottante, une île entièrement constituée de déchets de plastique ; bouteilles vides, chaussures de plage, sacs de courses, jouets d'enfants, accumulés par les courants, venus de tous les bateaux des mers, de tous les rivages de l'océan, de toutes les rivières de la terre, ils gisent là, flottants, errants, à demi décomposés mais se refusant à mourir.

  Ce sont les ectoplasmes de l'abondance factice de nos supermarchés, l'ombre molle des frais cocas-colas que nous avons bus au soleil, le nadir de nos heures exaltées de shopping, le squelette des barbies roses et blondes de notre enfance.

  Ils vont à la dérive, loin de nous, et nous croyons pouvoir les oublier - si peu les ont vus. Mais chaque année, l'île grandit un peu, beaucoup, calmement, silencieusement ; aujourd'hui elle est grande comme la France, demain elle sera vaste comme l'Allemagne, après-demain immense comme l'Europe. Puis elle absorbera du monde ce qu'il en restera d'apeuré, d'épuisé. Les fantômes grandissent ainsi dans leurs coins d'ombre, calmement, silencieusement, immensément, inexorablement, jusqu'à étouffer les vivants.


La seconde fable s'intitule "le dernier baiji". Et la voici.

 

  Le dernier baiji vient de mourir. Heurté par un cargo, empoisonné au plomb ou au mercure par l’eau dont il avait été le dieu. Son corps s’est débattu une dernière fois dans le soleil, de sa large queue il a frappé le fleuve, puis s’est abandonné. Il s'est échoué dans un bouquet de roseaux englués de pétrole, ou contre un amas de bidons gras; les mouettes ont entamé son ventre blanc et rongé ses entraille ; les pies ont becqueté les lambeaux pourrissants ; les fourmis ont nettoyé sa carcasse. Puis il s'est enfoncé dans la boue noire de la rive.

  Le baiji était un dauphin de rivière qui vivait en Chine, dans le grand fleuve Yangzi dont il avait été le seigneur depuis la naissance du monde. Il était si beau, si délicat, qu’on affirmait qu’il avait été jadis une princesse, noyée par un père tyrannique. Il portait bonheur aux pêcheurs, son chant inspirait les poètes qui parfois naviguaient sur son dos, et les jeunes filles l’imploraient lorsqu’elles étaient amoureuses.

  Mais il y a beau temps qu’il n’y a plus dans les fleuves ni dieux, ni nymphes, ni princesses, ni poètes. Le seul seigneur qui subsiste en ce monde, c’est l’homme, avec ses moteurs, ses usines, ses déchets, sa passion du gain, et son génie de l’invention qui l’a si brillamment emporté sur l'harmonie de la Création. Aussi le baiji a-t-il disparu, comme ont disparu avant lui tant de milliers d’espèces.

  Dans le jardin d’Eden le vieux peintre oublié, supplanté par son jeune rival, efface chaque jour une de ses oeuvres. Et il soupire, pathétique et risible, comme font les vieillards dont plus personne ne se préoccupe, quand ils repensent au monde d’avant. 


-Pourquoi, demandez-vous, pourquoi ces fables ?

-Pour pas grand chose. Juste pour vous expliquer que je le trouve beau, ce belvédère de récupération, ce baldaquin sans grâce, avec sa hotte de fil de fer, son auvent de palettes et sa balustrade de tuyauterie, et puis, surtout, sa patience de gardien du phare, son air de nous dire qu'on pourrait bien, et sa façon de regarder au loin malgré tout, même s'il ne peut pas se dresser bien haut dans son petit coin de la Bottière, sous la voie du tramway.

Publié dans Nantes

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