Le pin
Près du château, juste devant les douves, sur le bout de pelouse qui a remplacé ce qui fut autrefois un quai de Loire, juste là, tout près du fleuve enterré, pousse l'arbre le plus étonnant de la ville - bien plus remarquable et bien plus rare que le magnolia d'Hectot, le gleditschie ou le sophora de Krone qui font l'ornement du jardin des Plantes -. C'est un pin parasol, très vieux, singulièrement penché, semblable à ces arbres solitaires qui, dans les tableaux de Corot, indiquent au spectateur une mystérieuse et oblique direction, barrant du trait sombre et épais de leur tronc toute autre certitude. C'est un de ces vieux arbres de l'ancien quai qui ont connu le fleuve quand il miroitait au soleil. Ployé presque jusqu'à terre, comme le sont si souvent les rudes arbres du littoral qui naissent d'une graine accrochée aux falaises et grandissent accablés par le vent, il a détourné du ciel ses branches énormes, et, vers la Loire enterrée, étendue morte entre ses racines, il a fait un tel effort qu'il a fallu l'étayer de lourds tréteaux de métal. Penché, épuisé, ses deux bras appuyés sur ses béquilles de métal, c'est un vieillard qui attend sur la rive absente, un invalide qui se souviendrait.
C'est un arbre qui tombe immobile - comme tant d'entre nous. C'est un arbre sourcier, qui écoute en pleurant le long appel de l'eau étouffée de terre et de gravats. C'est un arbre qui aime, désespérément, entraîné par sa passion comme par une terrible tempête.