Traverser les cours
- Cours Saint-André, statue d'Olivier de Clisson -
Traverser les cours saint Pierre et saint André, c'est s'aventurer dans une étrange partie d'échecs.
Les pions de pierre blanchâtre sont posés chacun sur leur case, immobiles, hiératiques. Le roi au centre - Louis XVI - , la dame - Anne de Bretagne, et son unique cavalier - Arthur III -, les deux tours, intactes et hardies, la main sur le pommeau de l'épée - Du Guesclin, Olivier de Clisson. Ce sont les blancs, forcément. Les noirs, ce sont peut-être ces arbres aux branchages assombris de pluie et de cieux gris, plantés avec une régularité maniaque. A moins que ce ne soient ces soldats de 1870 misérables et vert-de-grisés, ou ces otages de 1942 tragiques et fusillés, pions de bronze pugnaces trempés dans l'eau des morts, qui montent la garde aux deux extrémités.
Et toi, passant égaré sur les cours, tu te sens toujours si inquiet, de ne pas savoir de qui tu es le fou. Que fais-tu là, perdu dans cette partie dont les calculs t'échappent ? Joues-tu pour les blancs ou pour les noirs ? Ou n'es-tu qu'un insecte qu'Ils ne prennent pas la peine de balayer du plateau sur lequel Ils se penchent ? Qu'attendent les Joueurs, depuis tant d'années, pour jouer le coup suivant ? Tu ne sais pas, tu ne sais rien, tu t'en vas au hasard, glissant sur l'échiquier de ton pas qui ne saurait pourtant peser, tu as toujours l'impression de déranger un ordre fragile, tu as toujours l'impression de ne pas être à ta place, de te tromper.
Cours saint Pierre et saint André, tu ne te promènes jamais volontiers, tu passes toujours aussi rapidement que possible, cela te met si mal à l'aise de traverser cette partie interrompue, dans l'ombre de ces Muets d'en-haut, qui jouent, invisibles, à ne pas jouer.