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La farce, l'énigme et la laisse en abyme

Publié le par Carole

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         Que celui qui intime l'ordre se l'applique à lui-même, et se serre le cou de la laisse qu'il impose à tous, c'est bien rare.
        Mais que celui qui ordonne ne sache pas qu'il est soumis lui-même à la longe d'un maître, rien de plus fréquent.
 
       A l'envers, à l'endroit, toute pensée a son miroir : comprenne qui pourra.
 
     Ainsi, voyez-vous, comme il arrive si souvent, elle était amusante, elle était tout de même bien troublante, cette laisse en abyme, cette gigogne du trottoir...

 

Publié dans Fables

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La méduse

Publié le par Carole

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Elle flottait entre deux mondes, cette méduse. Transparente et molle comme l'eau, elle était un morceau d'océan, une incarnation pâle de l'infini, elle appartenait encore au troupeau fabuleux de ces créatures ondoyantes qui dansent, loin des regards humains, au ventre bleu des mers profondes... Poussée vers le sable gris, souillée par la lumière, tentée par l'échouage, elle était déjà la créature répugnante, urticante et puante, redoutée des baigneurs, qui allait pourrir sur la plage, laide et flasque, méprisée même des mouettes avides.
 
Je l'ai regardée un moment lutter, embrassée doucement par la houle, reculer, revenir, s'approcher lentement du rivage.
Elle est venue s'échouer enfin.
 
Il y a dans toute vie de ces moments d'hésitation. De ces lentes défaites. Rien de plus troublant, à chaque fois, que de se demander si le poids des regrets aurait pu infléchir la direction de la vague, ou si, au contraire, c'était le poids de la tentation qui conduisait la vague.

Publié dans Fables

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La maison sur le mur

Publié le par Carole

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On voit cela souvent, aux marges de la ville, dans ces béances où l'on construit : une maison fossile enfermée dans un mur, aplatie, écorchée et rugueuse, comme une cicatrice.
L'histoire est si connue : c'était, en banlieue, une rue de pavillons tranquilles, avec leurs petits jardins, leurs vieux et leurs enfants, leurs oiseaux et leurs chiens... 
Un jour, la maison a tremblé : on démolissait les pavillons d'à côté pour bâtir des immeubles.
Elle a longtemps résisté, avec sa cheminée, et son petit jardin, ses vieux, ses enfants, ses oiseaux et ses chiens. Inquiète et isolée, elle a vécu ainsi, frêle et forte, accolée au vainqueur, luttant de toutes ses pierres et de toutes ses poutres pour ne pas s'écrouler.
Et puis, comme tout s'use, et surtout le courage, elle a fini par céder, par se vendre, par s'écrouler, par s'incendier - est-ce qu'on peut savoir quoi, maintenant qu'on l'a démolie ?
Qu'importe ? On va bâtir d'autres immeubles, toute une rue d'immeubles, un rempart haut et gris, triomphant.
En attendant, la maison reste là, dans le mur de béton, comme un dessin d'enfant sali, avec sa cheminée, son toit en pente douce, ses planchers qui craquaient, ses papiers peints roses et bleus, son air maladroit et naïf.
Demain viendront les grues, les bétonnières, les ouvriers casqués. Dans le béton et les parpaings on l'emmurera tout à fait, la maison d'autrefois, avec sa cheminée, son toit en pente douce, ses planchers qui craquaient, ses papiers peints roses et bleus, et son petit jardin, et ses vieux, ses enfants, ses oiseaux et ses chiens.
Qui l'entendra gémir, le vieux dessin d'enfant, broyé et lézardé, coulé dans l'avenir ?
 
L'histoire est si connue... et ainsi va la vie comme on la fait aller. On démolit, on rebâtit. Plus haut, bien plus solide. Mais il y a toujours quelque part, invisible, oubliée, une cicatrice, un coin emmuré du passé qui pleure et se lézarde au profond du béton.

Publié dans Fables

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Le chien

Publié le par Carole

    Il y avait du brouillard ce matin-là. Un brouillard épais qui faisait surgir partout des fantômes. Et ce froid oublié, revenu avec septembre... Elle serrait dans ses mains glacées la poignée de son vieux cartable [...]
 
Suite du récit sur mon blog cheminderonde.wordpress.com

Publié dans Récits et nouvelles

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L'indicible

Publié le par Carole

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L'indicible... Il nous résiste, il nous repousse, éternel horizon qui s'éloigne toujours... On le sait bien qu'il est l'unique vérité, le seul rivage qui vaille le voyage, l'au-delà qui nous embarquerait vers l'ultime l'infini. Mais voilà, comment se taire ? L'homme est un animal bavard, qui ne supporte pas le silence. Et l'indicible, c'est tellement fascinant... tellement... inexprimable... enfin... tellement irritant...
Alors au lieu de rester sur le seuil, on brade les merveilles, on solde les reflets, on communique : événement, dernière démarque ! De tout ce qu'on ignore, on bavarde, on murmure, on écrit, on discourt. Pas un mystère qui ne se récite, ne se déclame, ne se disserte, ne se révèle, ne se pérore, en grands mots comme en cent...
L'indicible, c'est tellement... ineffable... Entrez donc, on vous dira tout !

Publié dans Fables

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A Villequier

Publié le par Carole

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A Villequier, où l'on montre la maison de Léopoldine, il y avait ce bouquet, face à la Seine qui se ferma comme une tombe. Ce n'était que l'une de ces compositions banales que les municipalités font poser à intervalles réguliers dans de grandes jardinières sans grâce, au bord des routes. Mais les fleurs éclataient dans l'air bleu, de toutes leurs vives couleurs elles vibraient et tremblaient dans le soir qui tombait, comme la douleur quand elle ne veut jamais mourir. 
Il avait l'air d'être là pour Elle. Pour Lui aussi.

Publié dans Fables

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Le perroquet de Flaubert

Publié le par Carole

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Pont-L'Evêque, maison à colombages
 
"Il s'appelait Loulou. Son corps était vert, le bout de ses ailes roses, son front bleu et sa gorge dorée."
(Flaubert, Un coeur simple)
 
     "Puis j'ai vu le perroquet. Il était installé dans une petite niche, vert brillant et l'oeil éveillé, la tête penchée dans un angle interrogateur. "Psittacus", dit l'inscription sur le bout de son bâton : "Perroquet emprunté par G. Flaubert au musée de Rouen pour être mis sur sa table de travail pendant la rédaction d'Un coeur simple, où il s'appelle "Loulou", le perroquet de Félicité."
 
      "Où est le perroquet ? Nous entendons encore sa voix ; mais tout ce que nous pouvons voir, c'est un perchoir en bois, vide. L'oiseau s'est envolé."
 
  "On ne sait pas ce qu'est devenue la vérité."
 
(Julian Barnes, Le perroquet de Flaubert)
 
 
 
    Dans un récit paru il y a quelques années, Julian Barnes racontait le parcours d'un admirateur de Flaubert qui, cherchant sa trace dans les musées de Normandie, y dénichait non pas le mais les perroquets de Flaubert, ce qui l'amenait, après une longue enquête, à la seule découverte réellement valable qu'il pouvait faire : qu'il n'y a en littérature aucune place pour la vérité et la certitude.
     A mon tour, j'ai cru découvrir un matin, à Pont-L'Evêque où vécut Félicité, sur la poutre d'une vieille maison qui aurait pu être celle de Madame Aubain, l'ancêtre de "Loulou" : cet oiseau de bois rouge flanqué d'un cou humain, bavard comme un perroquet, gracieux comme une colombe, griffu comme un vautour, chimère bizarre que le sculpteur avait posée sur la branche d'un rêve où les arbres ressemblaient à des fleurs d'Amérique... J'ai imaginé Flaubert à Pont-L'Evêque, se promenant du côté de la Touques, rencontrant soudain sur un colombage cet oiseau fabuleux, l'observant, s'en amusant, puis l'oubliant tout à fait, et le retrouvant enfin, des années plus tard, sans le reconnaître sans doute, au fond lentement distillé de ses souvenirs, pour en faire, dans son bureau de Croisset, au terme d'une série de métamorphoses, cet étrange compagnon de sa Félicité... 
   Mon histoire était fausse ?... Et alors ? Ce n'était pas plus faux, c'était plus juste peut-être, que de reconnaître le merveilleux Loulou dans ces ternes perroquets empaillés du musée de Rouen ou du pavillon de Croisset qu'on a montrés à Julian Barnes.
   Les vraies "sources" d'une oeuvre ne peuvent être saisies ni dans les musées, ni sur les façades des maisons, ni dans les lettres des écrivains - et moins encore dans les notes minuscules des éditions Pléiade. Elles ne sont nulle part et elles sont partout. Car ce qu'on appelle improprement création, et qu'on devrait bien plutôt appeler re-création, est un travail mystérieux de l'esprit, dont le cheminement ne se retrouve jamais, qui fait grandir les pensées des artistes, comme des oiseaux bizarres et merveilleux, sur la branche étroite des expériences les plus communes, des plus humbles rencontres, des hasards les plus minces. La vie, mesquine et généreuse, les leur propose, comme à nous tous, mais leur imagination, souveraine alchimiste, elle seule, en dispose.

Publié dans Fables

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Le Phare

Publié le par Carole

phare de Goury
Phare de Goury - Cap de La Hague
 
 
    Vu de la terre, ce n'est pas grand chose, un phare, juste une tige de pierre posée sur l'air brumeux, un arbre nu défeuillé par le vent, un clocher gris trop mince égaré dans le bleu.
    Pourtant, quand nous allons sur les chemins de la côte, c'est toujours à lui que nos regards reviennent. Vers lui que nous marchons. A lui que nous pensons.
    Comme s'il ne veillait pas seulement, là-bas, sur les navires qui vont en mer, mais aussi sur nous tous, les hommes de la terre. 
    Nous qui avons ce besoin de croire à la patience du gardien, au cri de la vigie, au mugissement rauque de la corne de brume.
    A ce qui veille, à ce qui garde, à ce qui aide.

Publié dans Fables

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Langsam

Publié le par Carole

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    A l'ombre du château, le bouquiniste vend de vieilles cartes postales. Morceaux de cartons jaunis, dérisoires, émouvants, impudiques. Traces de vies brassées et dispersées par les brocanteurs qui vident les tiroirs et nettoient les greniers, après les successions. [...]
Pour lire la suite du récit sur mon blog cheminderonde.wordpress.com, cliquez sur le lien: http://cheminderonde.wordpress.com/2013/09/05/langsam-wird-es-herbst/

Publié dans Récits et nouvelles

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La maison dans l'eau

Publié le par Carole

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On la croyait si ordinaire, si laide même, cette sombre maison du bord de l'eau, vraiment on aurait désespéré d'elle - et, soudain, au rayon d'un soleil qui passe, la voilà qui s'étire, toute trempée d'au-delà, dans le reflet du ciel.
Comme si la beauté se tenait toujours, partout, en embuscade, sous les pierres les plus grises et les vies les plus ternes, attendant le regard qui la prendra dans son reflet comme au filet d'éternité. Comme si toute chose ne valait que par son envers. Comme si on ne savait jamais rien de ce qu'on n'a pas vu hésiter et trembler.

Publié dans Fables

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