Le perroquet de Flaubert
Pont-L'Evêque, maison à colombages
"Il s'appelait Loulou. Son corps était vert, le bout de ses ailes roses, son front bleu et sa gorge dorée."
(Flaubert, Un coeur simple)
"Puis j'ai vu le perroquet. Il était installé dans une petite niche, vert brillant et l'oeil éveillé, la tête penchée dans un angle interrogateur. "Psittacus", dit l'inscription sur le bout de son bâton : "Perroquet emprunté par G. Flaubert au musée de Rouen pour être mis sur sa table de travail pendant la rédaction d'Un coeur simple, où il s'appelle "Loulou", le perroquet de Félicité."
"Où est le perroquet ? Nous entendons encore sa voix ; mais tout ce que nous pouvons voir, c'est un perchoir en bois, vide. L'oiseau s'est envolé."
"On ne sait pas ce qu'est devenue la vérité."
(Julian Barnes, Le perroquet de Flaubert)
Dans un récit paru il y a quelques années, Julian Barnes racontait le parcours d'un admirateur de Flaubert qui, cherchant sa trace dans les musées de Normandie, y dénichait non pas le mais les perroquets de Flaubert, ce qui l'amenait, après une longue enquête, à la seule découverte réellement valable qu'il pouvait faire : qu'il n'y a en littérature aucune place pour la vérité et la certitude.
A mon tour, j'ai cru découvrir un matin, à Pont-L'Evêque où vécut Félicité, sur la poutre d'une vieille maison qui aurait pu être celle de Madame Aubain, l'ancêtre de "Loulou" : cet oiseau de bois rouge flanqué d'un cou humain, bavard comme un perroquet, gracieux comme une colombe, griffu comme un vautour, chimère bizarre que le sculpteur avait posée sur la branche d'un rêve où les arbres ressemblaient à des fleurs d'Amérique... J'ai imaginé Flaubert à Pont-L'Evêque, se promenant du côté de la Touques, rencontrant soudain sur un colombage cet oiseau fabuleux, l'observant, s'en amusant, puis l'oubliant tout à fait, et le retrouvant enfin, des années plus tard, sans le reconnaître sans doute, au fond lentement distillé de ses souvenirs, pour en faire, dans son bureau de Croisset, au terme d'une série de métamorphoses, cet étrange compagnon de sa Félicité...
Mon histoire était fausse ?... Et alors ? Ce n'était pas plus faux, c'était plus juste peut-être, que de reconnaître le merveilleux Loulou dans ces ternes perroquets empaillés du musée de Rouen ou du pavillon de Croisset qu'on a montrés à Julian Barnes.
Les vraies "sources" d'une oeuvre ne peuvent être saisies ni dans les musées, ni sur les façades des maisons, ni dans les lettres des écrivains - et moins encore dans les notes minuscules des éditions Pléiade. Elles ne sont nulle part et elles sont partout. Car ce qu'on appelle improprement création, et qu'on devrait bien plutôt appeler re-création, est un travail mystérieux de l'esprit, dont le cheminement ne se retrouve jamais, qui fait grandir les pensées des artistes, comme des oiseaux bizarres et merveilleux, sur la branche étroite des expériences les plus communes, des plus humbles rencontres, des hasards les plus minces. La vie, mesquine et généreuse, les leur propose, comme à nous tous, mais leur imagination, souveraine alchimiste, elle seule, en dispose.