Quelque chose de Sarajevo
Hôtel de la Duchesse Anne - Nantes
Le soir où il a brûlé, les rues voisines se remplissaient de cendres chaudes, comme à Pompéi.
De vieilles gens se racontaient les bombardements de 43, que la fumée leur rappelait.
Il flottait sur l'été commençant comme un parfum de ruine et d'agonie.
Les arbres du jardin des plantes faisaient non de la tête, en hennissant dans le vent brûlant.
Le feu grimpait aux poutres des charpentes comme un animal fou.
Cela grondait et frémissait d'une colère ancienne, d’un souffle de volcan et de guerre.
La clarté du couchant s'est prolongée dans la nuit jusqu'à l'aube du lendemain.
Il est resté près du château ce grand corps vide et blanc, ce grand squelette séché au feu, aussi mort et aussi immortel que la duchesse en sabots.
Portes murées, parois recouverts de suie et de tags, et, tout là haut, dans les feuillages art-déco épargnés, comme à la cime d’un grand pommier foudroyé, l’enchantement de ces balcons, nids de béton pour les anges, et la merveille de ces fenêtres ouvertes tout grand sur le ciel.
Château de Belle au bois brûlé, depuis dix ans endormi, hésitant entre mourir et vivre, entre défaite et renaissance.
Et c'est bien comme cela. Il faut qu'il y ait dans une ville un petit coin de Pompéi. La mémoire des désastres, la certitude de la fragilité. Quelque chose de Sarajevo.