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Des mots dans la ville

Publié le par Carole

intuition.jpg
 
    Je passais sur le pont, quand j'ai lu ce message : "intuition..." Le mot était si bleu au-dessus de l'eau grise, il avait tellement l'air de courir plus loin, d'emmener quelque part... et puis cet oiseau bleu, à la dernière lettre, était si doucement posé... j'ai dit : "D'accord. Intuition, conduis-moi..."
    Un peu plus loin, sur l'autre rive, empruntant par hasard la passerelle qui mène à l'île, j'ai lu ce second mot :
 
création
 
     "Création..." Les lettres se décollaient un peu, et les couleurs pâlissaient, mais le mot se tenait debout, droit dans le gris du monde, décidé à tenir l'équilibre tremblant de sa haute colonne de lettres acrobates...
    Nous vivons assiégés de mots vibrants et aiguisés comme des armes, la ville sans répit nous jette au visage ses millions de mots scintillants, de mots clignotants, de mots tournoyants, de mots cliquetants, de mots qui promettent, de mots qui séduisent, de mots qui interdisent, de mots qui suggèrent, de mots qui ordonnent, de mots qui étourdissent... affiches, enseignes, panneaux, journaux... c'est partout un vacarme de mots vides et de lettres mortes, une fureur du rien, sonore et frénétique, à fracasser toute pensée...
     Mais parfois il arrive que quelqu'un se lève, saisissant son pochoir et son encre, sa planche à lettres, son petit pot de colle - cela pourrait aussi bien être un simple carnet, un bout de crayon usé -. Et il se prend à écrire quelque chose - quelque chose d'autre, quelque chose de très simple, juste un mot ou deux, mais qui pourraient avoir un peu de sens : "intuition", "création"... par exemple.
     Et il arrive aussi que l'on suive en rêvant ces mots légers qui passent dans la ville et se posent en silence comme des oiseaux bleus, comme des clowns heureux, sur le métal ou le béton. Conduit par eux, on va un peu plus loin, juste un peu au-delà, de l'autre côté des ponts.

Publié dans Nantes

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Au bord du ciel

Publié le par Carole

scarabée lilas ciel
 
Posé au bord du ciel
Il buvait au lilas.
Il était comme un autre
Ivre de mai étourdi de parfums
Ce scarabée si lourd
Né de la terre et nourri de bois mort.
Et la fleur dans le vent
Lui rendait son baiser.
 
L'amour de la beauté
N'est jamais malheureux.

Publié dans Fables

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Manifestation de notre désintérêt

Publié le par Carole

   manifestation de notre désintérêt 1
 
   Manifestation de notre désintérêt, de Jean Rouaud est un tout petit livre, que j'ai lu au jardin comme une fleur de mai. Les éditions Climats y ont réuni trois courts essais, très engagés, au plein - et bon - sens du terme.
   Du premier, placé sous le signe d'André Breton et de sa belle "Ecusette de Noireuil", mais aussi de Charles Fourier, l'utopiste poète, j'ai admiré l'écriture vive et nette, mais il m'a laissée un peu sceptique. Jean Rouaud nous demande d'opposer, à l'intérêt tyrannique de ce qu'on appelle aujourd'hui les "marchés", notre dés-intérêt, en renonçant à tout désir de superflu - non-violence anticonsumériste, en somme, de l'efficacité de laquelle je doute, croyant les marchés assez rusés pour nous intéresser à notre désintérêt même. Et puis, la passion et la conviction de cette étrange manifestation me semblent contredire ce désintérêt justement. Prêcher le désintérêt, s'y efforcer ?... mais on ne le prêche pas, on ne s'y efforce pas, il surgit, il est là, comme l'ennui et le désamour, ou comme le beau temps et la joie.
   Le second et le troisième essai de ce recueil - consacrés aux "prodromes" d'un mal qui vient - ont d'abord été publiés par Le Monde, dans ces fameuses pages "Opinions" qui permettent aux écrivains ou aux universitaires de croire qu'ils pèsent encore de quelque poids sur le cours fluctuant d'une opinion publique à laquelle on sut jouer jadis l'air du progrès, mais qu'on préfère maintenant coter en bourse. La première tribune est une lettre, adressée en mars 2007 à un encore ministre et néanmoins candidat à l'élection présidentielle, qui s'était permis de citer "Les Champs d'honneur" à l'appui de la sombre cause de "l'identité nationale". La seconde est une réflexion de décembre 2009 sur la vulgarité et le racisme décomplexé qui marqua cette année-là le tournant du politiquement admissible vers le grand "épandage de la pensée".
 
   Cette dernière tribune, qui devait remuer les consciences, et pour laquelle la rédaction du Monde avait prédit "un tintouin formidable", parut un samedi, raconte amèrement Jean Rouaud. "Et alors ? Rien, absolument rien. Pas un seul message en retour. Pas un mot de soutien. Le silence. Un silence que j'interprétai ainsi : "Ne vous mêlez pas de nos histoires, contentez-vous des vôtres." Comme si mes histoires n'étaient pas de ce monde."
 
    Je voudrais, ici, après tant d'années, envoyer à l'auteur déçu ce modeste message, mon petit mot de soutien tardif, infime battement de ma pensée et de ma sympathie, qui sitôt dit s'en ira se taire, avec tous ceux qui lui ont manqué, dans l'incessante rumeur des journaux, des débats politiques et des forums enflammés du web :
    Non, ami écrivain qui n'êtes pas l'ami des marchés, vos histoires ne sont pas de ce monde. Elles ne sont pas du monde où tout périt aussitôt né, dans l'obsolescence programmée que vous dénoncez. Elles ne sont pas non plus de ce "Monde" où s'expriment, dans le vacarme quotidien, des opinions tranchantes aussitôt oubliées, où débattent dans des forums provisoires des lecteurs rageurs mais au fond tout à fait indifférents.
    Elles sont d'un autre monde, non parce qu'elles ne nous parlent pas de ce monde, qui nous importe par-dessus tout, tel qu'il va ou tel qu'il ne va pas, puisqu'il est nôtre, mais parce qu'elles se déroulent dans un autre temps, sur un autre rythme. Un temps, un rythme, qui ne sont ni ceux des marchés, ni ceux des campagnes électorales, ni ceux des parutions quotidiennes ou des messages qu'on twitte, qu'on googlise et qu'on facebooke.
    Je veux parler du rythme de la réflexion, de l'imagination, de la beauté, de l'écriture patiente et toujours reprise, de la fantaisie et de la rêverie, ces flâneuses de nos vies. Du temps rêvé par André Breton pour sa petite Ecusette de Noireuil, où "tous les rêves, tous les espoirs, toutes les illusions danseront". Du temps de poésie qui "courbe les aubépines" au grand vent d'amour fou.
    Et seul l'intérêt que vous éveillerez, vous l'écrivain, seul l'intérêt que vous ré-veillerez, plutôt, nous donnant vos histoires, pour cet autre monde dont le coeur bat tout près du nôtre, saura nourrir notre dés-intérêt pour celui des marchés, des discours nauséeux, et des longs commentaires où s'agitent les trolls et les tribuns du web.
    Qui sait même si, une fois là, comme le beau temps et la joie, de sa seule force et sans avoir besoin de se manifester puisque chacun le connaîtra pour sien, il ne pourra pas changer, profondément, ce monde ?

Publié dans Lire et écrire

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L'âme du feu

Publié le par Carole

feu dansant
 
Dans la flamme qui ronfle, crache, bondit, s'écroule,
j'ai toujours soupçonné la bête et reconnu le dieu.
Voici que j'ai saisi son corps dansant,
et que j'ai aperçu l'âme du feu,
glissant comme l'eau vive, battant comme le vent
et se tordant en serpent fou qu'aurait craché la terre.
 
Et ce chenêt comme une clé
m'ouvrait la porte du foyer.
 
Devant la cheminée où danse en murmurant la flamme des vieux songes, nous sommes identiques aux plus anciens des hommes. Devant le feu qui rôde sur la branche, nous sommes tous les hommes. Nous sommes le berger revenu sous la pluie qui sèche avec son chien ses habits de misère. Nous sommes le chasseur qui fait rôtir la bête aux grands yeux de forêt. Nous sommes le semeur qui s'attarde le soir à écouter les voix qui chantent sous la cendre. Nous sommes le vieillard qui réchauffe au bois mort ses mains vides et qui tremblent. Nous sommes l'enfant pauvre dont le coeur étincelle à l'envol merveilleux du grand oiseau doré tout ruisselant d'aurores. Nous sommes ceux qui furent, tisonnant la mémoire et remuant les braises de cette humanité qui vit encore en nous.
Je pensais tout cela, et me disais aussi qu'il y a aujourd'hui, qu'il y aura demain, de plus en plus d'hommes sans cheminée, sans âtre et sans feu à bâtir, que ce n'est plus ainsi qu'on se chauffe aujourd'hui, de songes et de flammes qui dansent dans les âmes.
Que cela pourrait bien définir l'homme contemporain, d'être celui qui peu à peu perd le feu - le nomade aux errances glacées qui renonce aux ancêtres et renonce au foyer. L'homme nouveau sommé de tout réinventer. Jusqu'à ses rêves.

 

Publié dans Fables

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Lumière dans la nuit

Publié le par Carole

       plaque-cheminee-madeleine-copie-1.jpg
 
    Je vous parlerai aujourd'hui de bien peu. Juste d'une lueur serpentant sur la suie, d'un clair-obscur rêveur au rebord des ténèbres.
   Je vous parlerai d'un simple objet, sans valeur et si vieux, d'une plaque de fonte, toute noircie de suie, qui veille au fond d'une cheminée de granit.
   C'est un cadeau de mon grand-père, qui lui-même m'avait dit l'avoir reçu en cadeau. De qui donc ? je ne sais. Il était question dans son récit d'une vieille ferme qu'on démolissait, quelque part dans la Creuse, du coup de main qu'il avait apporté au déménagement des pauvres biens...
   Mon grand-père avait toujours rêvé d'avoir une cheminée, mais, s'étant obstiné à la construire lui-même - il tenait à la fois de Robinson et de Cyrus Smith, mâtinés tout de même de la naïve confiance de Ned Land - , jamais il n'en obtint que dépit et fumée. Il est si difficile de bâtir son foyer...
   Je crois que ce fut l'un des désastres de sa vie, un rêve abîmé de jurons, de sombres nuages et de moqueries fuligineuses...
 
    Parfois, le soir, dans notre cheminée - une vieille, large cheminée de ferme, si incongrue dans le "séjour" d'un pavillon banal, mais qui aurait enchanté mon grand-père -, nous faisons une courte flambée. Alors la plaque noire de suie, au dessin d'habitude illisible tant il est recouvert, s'anime et reprend vie, palpitant sous la flamme. On voit paraître, caressée par le feu, une douce Madeleine avec son petit pot, près d'un Christ barbu voyageur, tendant ses pieds las près du puits, sous l'arbre de la Samaritaine. Comme si l'artisan méditant avait mélangé les deux scènes antiques.
   Ils n'ont pas l'air du tout, d'ailleurs, ces deux-là, sous la flambée qui chante et murmure en ruisseau, de venir de la Bible, on dirait bien plutôt deux voyageurs heureux, dans un coin de campagne, qui se seraient rencontrés au bout de leurs longs chemins opposés, et qui se parleraient un moment, et se tendraient la main, étonnés de se sentir si proches l'un de l'autre.
    La flamme illumine leurs visages de suie, les arrache un moment à l'obscur, dans la lueur qui passe ils parlent et se sourient.
   Et nous, devant la cheminée dont avait si longtemps rêvé mon grand-père, nous regardons s'éclairer cette scène où se mêlent et se fondent, à la souple lueur de la flamme qui danse, tant de symboles, si souvent oubliés - du pardon, de la tolérance, de la générosité, de l'amour et de l'espérance.
 
   Depuis combien de siècles est-il mort, le vieil artisan de la Creuse qui en creusa le moule, suivant au bout de son marteau vibrant, à la pointe rougie de ses tenailles, le tremblement songeur, la pensée sinuante du feu qui murmurait ?
   Sans doute voulait-il nous rappeler, en offrant cette image si douce à la suie, et à l'ardeur du feu, qu'il n'y a pas de plus pure lumière que celle-là, surgissant un instant dans la nuit du monde - l'universelle lumière de la bonté qui rêve.

 

Publié dans Fables

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L'étoile et la vieille

Publié le par Carole

 l-etoile-et-la-vieille-2-copie-1.jpg
      L'étoile et la vieille, de Michel Rostain, éditions Kero, mars 2013
 
 
    Rien ne me préparait à lire ce livre, d'un romancier que je ne connaissais pas, évoquant une "étoile" qui n'a jamais brillé dans mon ciel, puisqu'il s'agit d'Yvette Horner, accordéoniste aux cheveux flamboyants que certes je n'ai jamais méprisée, mais que je n'avais jamais, jusque-là, imaginée autrement que souriante et valsante, dans un décor stroboscopique, sur un plateau kitsch et toc, chez Guy Lux ou  Michel Drucker.
    Mais en observant la quatrième de couverture, j'ai été frappée de lire que l'auteur, Michel Rostain, avait reçu en 2011, pour un roman précédent, le Goncourt du premier roman, alors que, né en 1942, il avait déjà 69 ans. Je me suis souvenue de François Truffaut découvrant dans un bac de livres soldés Jules et Jim, premier roman d'un auteur de 74 ans (ce n'était bien sûr pas tout à fait vrai), et l'ouvrant parce qu'il voulait, a-t-il dit (je cite à peu près, n'ayant pu retrouver l'exacte formulation), savoir ce que ce pouvait être qu'un jeune écrivain de 74 ans.
    L'auteur de L'étoile et la vieille n'avait que 71 ans... je pouvais bien acheter le livre. 
   Michel Rostain s'est librement inspiré, dit-il, d'un spectacle improbable qu'il a tenté de monter, en 2002, lui qui avait fait carrière comme metteur en scène d'opéras, avec Yvette Horner la "popu" (sic). De celle que dans son récit il appelle Odette, ce connaisseur de Tchaïkovsky a fait une sorte de "dame de pique", luttant de toute son autorité d' étoile, de tout son désir de musique, de toute sa folie de vivante, contre la vieillesse, le déclin et la mort, puis s'écroulant, le soir de la première, dans le délire et les vomissures, incapable d'affronter l'épreuve.
   Elle est belle, cette Odette, comme d'autres vieilles femmes que j'ai connues, lutteuses héroïques, pitoyables et superbes, menant fièrement ce combat que peut-être nous ne saurons pas mener, et s'écroulant comme des reines. Elle m'a émue, et je l'ai admirée.
    Mais c'est autre chose qui m'a frappée dans ce livre. Et c'est de cela qu'il me semble important de parler.
   Le coeur du roman, je crois, est dans cette scène, en apparence marginale, où le narrateur raconte qu'il a fouillé, pour y chercher des médicaments, dans le sac d'Odette, et en a retiré un cahier intitulé : "Mémoire". Dans ce cahier froissé la "vieille" notait tout, pêle-mêle, tout ce qu'il ne fallait pas oublier ("prise de sang mardi 9 heures", "chaussures", "Alexandre"... ), tout ce dont l'oubli aurait pu déclencher bien d'autres catastrophes que des prises de sang manquées ou des courses incomplètes, tout ce qui, en cas d'erreur, aurait pu mener au désastre définitif, au naufrage même de la pensée prise en défaut. Le centre obscur de cette histoire d'étoile, c'est en fait cela, ce soupçon incessant, cette hantise de la démence, de tout ce qu'on résume aujourd'hui par le mot Alzheimer. Ce doute, qui peu à peu s'empare de tous, d'Odette, de son entourage, du metteur en scène, surtout, et qui affleure sans cesse, à chaque erreur de l'artiste, à chaque trébuchement de la mémoire, quand le cahier ou la partition font défaut.
    Et, quand on referme le livre, on se dit que ce n'est pas la veillesse qui l'a abattue, cette Odette, que c'est bien plutôt cela. Le doute. Ce doute dont le narrateur la poursuit, ce doute dont on torture aujourd'hui tant de "vieux", toujours suspects de défaillances, épiés, jugés, tremblant comme des enfants de manquer leurs examens.
    Je crois qu'être vieux, être très vieux, comme Odette, cela ne devient vraiment effroyable que lorsqu'on a le malheur d'entrer dans l'ère du doute. Lorsque, pour faire face au soupçon des autres, à ce procès en déclin de la pensée qu'ils intentent à ceux dont le premier tort est d'avoir passé l'âge, on est contraint de serrer dans son sac à secrets, pour le relire sans cesse en cachette, le pauvre cahier de mémoire, dont les pages s'arrachent, où le crayon dérape, et où les mots se brouillent.
    Pourquoi le narrateur n'a-t-il pas fait confiance à Odette ? pourquoi n'a-t-il pas cru son intelligence intacte malgré la fatigue et l'angoisse, pourquoi a-t-il voulu sa chute - car, bien qu'il s'en défende, il est évident que cette chute, c'est lui qui l'a voulue, qu'il n'a été metteur en scène de rien d'autre que de cette chute - ?
    Elle était si forte, elle luttait si loyalement. Avait-il, lui, plus très jeune déjà, comme on dit, avait-il tellement peur de vieillir ? 
     Autour de nous, combien d'Odette ? et combien de metteurs en scène naufrageurs ?

 

Publié dans Lire et écrire

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