L'âme du feu
Dans la flamme qui ronfle, crache, bondit, s'écroule,
j'ai toujours soupçonné la bête et reconnu le dieu.
Voici que j'ai saisi son corps dansant,
et que j'ai aperçu l'âme du feu,
glissant comme l'eau vive, battant comme le vent
et se tordant en serpent fou qu'aurait craché la terre.
Et ce chenêt comme une clé
m'ouvrait la porte du foyer.
Devant la cheminée où danse en murmurant la flamme des vieux songes, nous sommes identiques aux plus anciens des hommes. Devant le feu qui rôde sur la branche, nous sommes tous les hommes. Nous sommes le berger revenu sous la pluie qui sèche avec son chien ses habits de misère. Nous sommes le chasseur qui fait rôtir la bête aux grands yeux de forêt. Nous sommes le semeur qui s'attarde le soir à écouter les voix qui chantent sous la cendre. Nous sommes le vieillard qui réchauffe au bois mort ses mains vides et qui tremblent. Nous sommes l'enfant pauvre dont le coeur étincelle à l'envol merveilleux du grand oiseau doré tout ruisselant d'aurores. Nous sommes ceux qui furent, tisonnant la mémoire et remuant les braises de cette humanité qui vit encore en nous.
Je pensais tout cela, et me disais aussi qu'il y a aujourd'hui, qu'il y aura demain, de plus en plus d'hommes sans cheminée, sans âtre et sans feu à bâtir, que ce n'est plus ainsi qu'on se chauffe aujourd'hui, de songes et de flammes qui dansent dans les âmes.
Que cela pourrait bien définir l'homme contemporain, d'être celui qui peu à peu perd le feu - le nomade aux errances glacées qui renonce aux ancêtres et renonce au foyer. L'homme nouveau sommé de tout réinventer. Jusqu'à ses rêves.