Une vieille pomme
Elle se perdait à la cave, je l'ai posée sur cette vieille assiette, jadis façonnée et peinte par les mains d'un très vieux potier provençal, et je l'ai emmenée au jardin. Puis je l'ai laissée là, sur la terrasse d'après-midi, à retrouver le soleil et à se baigner d'ombre aussi, et je l'ai regardée.
Car c'est beau, une vieille pomme, ridée et craquelée, parcheminée, ravinée, bosselée, tuméfiée, colorée, c'est beau comme une planète. C'est comme un monde entier, une vieille pomme, qui tourne dans le temps, et se prépare à mourir et à revivre en cercle, veillant sur ses pépins, en attendant la fin. Car elle est devenue ce que toujours elle devait être : le fruit bien mûr, patiemment enclos sur le vivant secret d'un coeur fécond.
On dit que le temps rend l'homme sage. Ce n'est pas vrai. Le temps souvent rend aigre, sot, routinier. Souvent il épuise les corps et il pourrit les âmes.
Le temps n'assagit que ceux qui savent extraire d'eux-mêmes le suc, le mûrir lentement, et le faire remonter dans chaque veine, dans chaque pli de leur être, jusqu'à ce qu'il frémisse sur leur peau en rides et chemins qui s'en vont vers eux-mêmes et creusent leurs sillons - inépuisables labyrinthes, routes entremêlées qui toutes prennent source au même coeur profond, où le voyage d'une vie d'un même trait s'achève et recommence.
Le temps est un alchimiste, qui nous fait devenir ce que nous étions. On ne lui ment jamais.