Mélissa et Germain
Mélissa et Germain, il y a des mois que je vous rencontre chaque jour sur ma route. Voilà que vous aurez bientôt passé votre premier hiver, et ce panonceau circulaire, solidement accroché à l'arbre de la zone industrielle, est maintenant contre l'écorce comme une lune douce où, sur vos noms qui s'effacent, la pluie, le vent et le soleil ont posé leurs cratères, leurs vallées, leurs chemins, leur errante lumière.
Sans doute aviez-vous accroché cet écriteau pour guider les invités de votre noce, ou de la fête qui devait sceller votre union. Vous l'avez fait assez solide pour résister au vent et à la pluie, aux jours qui passeraient, et, la fête depuis longtemps achevée, vous ne l'avez pas enlevé. Je crois que cela vous plaisait, de savoir que vos noms veillaient là-bas, et qu'ils montaient pour vous le chemin de ronde, gardiens fidèles, sur l'écu de carton.
Mélissa et Germain, vous le saviez, que c'est audacieux, d'écrire deux prénoms humains côte à côte sur une feuille unique. Vous le saviez, que la route est longue et qu'elle est âpre, qu'on peut s'accrocher la peau au fil de fer aigu qui déchire les vies comme des arbres, et que les mots s'enfuient, au vent qui les balaie, aux pluies qui font pleurer... Mais vous avez fabriqué l'écriteau, et vous l'avez posé comme un bouclier sur le corps frêle du petit arbre de la zone industrielle.
Et maintenant, qu'adviendra-t-il ? Peut-être que peu à peu vos deux noms se fondront à l'écorce de l'arbre, pour y grandir en feuillages et en paix, ramée de tendresse heureuse, au milieu de l'agitation des hommes. Peut-être que bientôt toutes les tempêtes accumulées dans vos coeurs tourmentés se lèveront pour vous déchirer, vous séparer, et vous jeter, guenilles de papier, solitaires, au grand souffle du monde. Ou bien plutôt, peut-être, ne restera-t-il demain sur le tronc de l'arbre qu'un cercle vide et creux comme un coeur sans bonheur, enveloppe fanée d'un message oublié, où vous continuerez, silhouettes pâlies, à faire semblant de vous aimer.
Je n'en sais rien et vous non plus n'en savez rien. Mais j'aime voir quand je passe, entre les usines et les bureaux, au bord de la route accablée de camions et d'automobiles affairées, que, sur le petit arbre du trottoir, vos deux jeunes noms ont déjà traversé leur premier hiver.