Petit homme
C'était, sur le mur d'un immeuble très neuf, à l'entrée du local à poubelles, un bonhomme au pochoir, un picthomme dérisoire, qui ne tenait plus sur ses jambes que par les angles usés de ses moignons.
Géométrique et sûr de lui, il jetait aux ordures, dédaigneux, méthodique, une Terre boursouflée de continents irréguliers, d'océans dentelés, de forêts sous le vent, d'animaux galopants, et de tant d'étranges richesses aux contours d'infini qu'il avait mesurées, gaspillées, dépecées, méprisées.
Il se croyait plus fort qu'Elle. Il n'avait pas l'air de comprendre qu'Elle allait rebondir comme un ballon, comme un remords, comme un coeur tout vivant, comme sa propre tête. Et réduire en morceaux le petit géomètre. Qui n'aurait plus qu'à se jeter lui-même, pièce à pièce, défait, dans le traître filet de son piège à ordures.
C'est drôle comme chaque année quand l'année se finit, on pense à tout cela qui pourrait se finir en ce monde infini.
Sur ses deux arêtes émoussées, sur ses moignons d'échasses, jusqu'où s'en ira-t-il encore, l'égaré qui croyait marcher droit, le petit homme qui voulut être grand ?