La lucarne
Derrière cette lucarne minuscule, tout un monde, fragile et désuet, de bijoux, de rubans, de mannequins cintrés et de porte-manteaux de couturière.
Un monde en miniature, mignon et ordonné comme une maison de poupée, absurde et triste comme le fouillis solitaire, au grenier, d'une vie oubliée.
Dans l'ombre surchauffée du toit, le petit ballet suranné d'un rêve encore fervent.
En l'absence de tout balcon, l'exigence de se montrer quand même à la fenêtre.
Malgré la rouille et la crasse, l'obstination à poser sur le monde un regard élégant.
Et, contre la vieillesse gagnant comme une lèpre, la douceur de la nacre et le frou-frou des soieries.
J'ai connu de vieilles, très vieilles femmes, qui s'obstinaient, seules depuis si longtemps, à serrer un corset sur une poitrine effondrée, à attacher de leurs doigts gourds sur un poignet enflé un rang de perles irisées, à nouer sur les plis dévastés de leur cou un foulard de soie rose et fleurie, à décrocher à grand-peine, sur l'instable perroquet du vestibule, un coquet manteau de laine fine, pour faire chaque matin, dans la rue où personne ne les reconnaissait, un tour très digne de promenade, dernière parade de l'élégance. Avec cette suprême volonté que mettent les danseuses épuisées à rejoindre avec grâce, le spectacle fini, les coulisses obscures, elles allaient toutes droites et parées sur un bout de trottoir sale et bruyant, s'efforçant de ne pas boiter, de ne pas trébucher, de faire ce qui se devait, d'être comme il faut, sous le regard dur et aimant de spectateurs aussi exigeants qu'invisibles - puis elles rentraient, sans pleurer, vieux corps souffrants, âmes veuves esseulées, dans l'ombre de leur logis vide.
Ma grand-mère était ainsi.