Un pont de drapeaux
Nantes - pont de la rue de Feltre au-dessus de la rue de l'Arche Sèche
"And the walls came tumbling down" (Gospel)
Un peu partout, ici, dans les rues du centre, des Sénégalais vendent, sur des étals de plein air, de modestes objets de cuir, de métal, ou de tissu - des porte-monnaies, des sacs à main, des ceintures, des bijoux, des vêtements colorés. La pacotille, en somme, que l'on troquait jadis pour de la chair humaine, maintenant venue d'Afrique et proposée à vil prix, par un de ces étranges va-et-vient de l'histoire, dans les rues de cette même ville qui la fabriquait à profusion pour ses armateurs.
Or ces Sénégalais vendent aussi, depuis peu, des drapeaux, longues bannières de tous les pays, qui pendent en lés colorés et flottants aux hampes de métal de leurs petits chapiteaux. Je ne sais pas à quoi peuvent servir de tels drapeaux - peut-être les agite-t-on lors des matchs de football, ou bien peut-être des immigrés, qui se souviennent surtout d'être des émigrés, les accrochent-ils, en souvenir du pays, dans le séjour de leur petit appartement HLM, dans un coin resté libre de leur étroit meublé, au mur indifférent d'une chambre d'hôtel.
Quoi qu'il en soit, c'est très beau, ces drapeaux, dans la grisaille ambiante, beau comme le linge claquant de toutes les couleurs du monde sur les hauts fils qu'on tend, l'été, dans les jardins ensoleillés.
J'aime tout particulièrement, surtout l'après-midi, quand le soleil donne, cet étal du pont de la rue de Feltre, posé, comme le wagon oublié d'un jeu d'enfant, au-dessus de la triste rue de l'Arche Sèche où se trouvaient jadis les fossés de la ville, au pied des murailles. Souvent, en franchissant le second pont, en face, - ce pont Sauvetout au nom plein d'espérance -, on tourne un peu la tête, on regarde les pans soyeux qui flottent, mêlant leurs couleurs et leurs lignes en des plis fraternels, et on a l'impression de voir remuer, dans le vent de demain, oublieux des orgueils, dédaigneux des frontières, un grand mur de tissu dont les portes légères s'ouvrent et battent sans cesse. Parfois même on croit voir là un autre pont - un pont joyeux de tuniques bigarrées allant dans la lumière - le grand pont, jeté par-dessus les fossés sur les ruines oubliées des vieux remparts, de la joie et de l'harmonie des hommes. Bien sûr, l'illusion ne dure que quelques instants, juste le temps d'atteindre l'autre bord, celui où le soleil n'entre pas, où l'ombre éployée sous la Tour, la Babel d'ici, est le seul étendard.
J'aime tout particulièrement, surtout l'après-midi, quand le soleil donne, cet étal du pont de la rue de Feltre, posé, comme le wagon oublié d'un jeu d'enfant, au-dessus de la triste rue de l'Arche Sèche où se trouvaient jadis les fossés de la ville, au pied des murailles. Souvent, en franchissant le second pont, en face, - ce pont Sauvetout au nom plein d'espérance -, on tourne un peu la tête, on regarde les pans soyeux qui flottent, mêlant leurs couleurs et leurs lignes en des plis fraternels, et on a l'impression de voir remuer, dans le vent de demain, oublieux des orgueils, dédaigneux des frontières, un grand mur de tissu dont les portes légères s'ouvrent et battent sans cesse. Parfois même on croit voir là un autre pont - un pont joyeux de tuniques bigarrées allant dans la lumière - le grand pont, jeté par-dessus les fossés sur les ruines oubliées des vieux remparts, de la joie et de l'harmonie des hommes. Bien sûr, l'illusion ne dure que quelques instants, juste le temps d'atteindre l'autre bord, celui où le soleil n'entre pas, où l'ombre éployée sous la Tour, la Babel d'ici, est le seul étendard.