L'homme de Victor Hugo
J'ai découvert avec surprise, sur une colonne Morris, qu'on pourrait bientôt voir au cinéma l'Homme qui rit - le tragique et invisible Gwynplaine de Victor Hugo, celui dont le visage torturé, indescriptiblement détruit, ne pouvait pas plus être vu sans horreur que celui d'Elephant man.
Après tout, pourquoi pas ? Le cinéma redonne, bien souvent, l'impulsion de la vie aux oeuvres qu'on ne lisait plus guère - et tel est sans doute aujourd'hui le cas de ce monumental et terrible Homme qui rit. Et puis, je crois que Hugo, qui fut un adepte des premières expériences photographiques, aurait aimé le cinéma, sa force épique et son pouvoir de fasciner les foules.
Mais ce qui m'a paru le plus remarquable, sur l'affiche, c'est qu'on avait glissé le nom de Victor Hugo juste sous la première partie du titre - donc sous L'HOMME. Si bien qu'on pouvait lire, aussi bien que L'HOMME QUI RIT, ce titre en quelque sorte second - ou premier ? - : L'HOMME DE VICTOR HUGO.
Et tous les reflets mouvants de la ville en fête s'imprimaient en édifices croulants de lumière, en murailles d'or liquide, en manèges tounoyants, en pyramides rouges et tremblantes, récrivant en images incertaines et en échos sans fin cet HOMME QUI RIT, cet HOMME DE VICTOR HUGO, sur la paroi de verre lisse de la colonne Morris, que bleuissait la nuit.
L'écrivain de génie, n'est-ce pas celui-là justement, qui dans son oeuvre capture, pour qu'ils chantent ou qu'ils hurlent, tous les échos des âmes humaines, tous les reflets du monde ? La lumière et l'ombre. L'or et le sang. Le poids des êtres et la mobilité des destins. La vie présente et la vie à venir. Ce qui déjà existe, et ce qui existera dans les siècles inconnus. Ce que l'on voit et ce que l'on verra.
N'est-ce pas celui qui, posté comme un veilleur sur la route du temps, tend un miroir à l'Homme, ce monstre indéchiffrable et changeant, splendide, hideux, tragique et infini, puis qui lui dit : "regarde" ?