Ecume
Cette brindille de l'automne plantée sur le rivage comme une croix rustique, combien de temps faudrait-il au courant pour la coucher sur le sable ? Combien de temps pour l'emporter au loin, radeau léger, insecte du flot boueux ?
Elle était si fragile, déjà dénudée par l'hiver, et de si peu de poids bientôt dans le grand naufrage.
Mais sur ce brin de vie infime, luttant contre le courant noir, s'accumulait et grandissait l'écume délicate - dentelle de l'eau douce, souffle ajouré des vagues. Et la mince brindille était dans son écrin neigeux comme un rameau d'ébène.
Souvent, ce n'est pas aux êtres qu'on croit forts que la beauté se donne,
ce n'est pas vers les grands chênes qu'on admire qu'elle s'avance
heureuse, généreuse.
Souvent, ceux qu'elle choisit,
sans bruit,
ceux qu'elle choisit vraiment,
à qui elle passe au cou le collier de pure écume,
sans rien en dire à la rumeur,
ce sont ceux simplement, si délaissés sur leur rivage,
qui savent se tenir au bord des vagues,
humbles et droits,
pour la regarder bien en face,
sans regret de la vie,
avant d'être emportés
plus loin
qu'eux-mêmes.