Aki
En ces premiers jours gris qui annoncent l'hiver, tandis que commencent les vendanges des coteaux de la Loire, je prépare mon voyage à venir au Japon. Et voilà qu'aujourd'hui j'apprends qu'en japonais "automne" se dit "aki" - ce qui s'écrit 秋, kanji formé en associant au premier signe, qui désigne les récoltes, celui qui désigne le feu. Je caresse du doigt pour l'apprendre le dessin très pur de l'idéogramme... il me semble en effet reconnaître ce grand incendie des fruits mûrs, et la chaleur féconde des rizières ressemées. Même je vois très bien, dans l'élan dentelé des traits qui s'entrecroisent, ce haut flamboiement des roues d'or et de sang que font les arbres au bord des routes, dans leur dernière parade.
Ce nom brûlant est aussi un prénom féminin, du reste très commun, qui, lui, s'écrit fréquemment あき, a-ki.
Car il est tout à fait possible d'écrire "automne" ainsi, à la manière maladroite des étrangers (qui restera toujours la mienne), des jeunes enfants et des gens peu instruits, en associant simplement deux signes du syllabaire hiragana : あき, a-ki.
Or, lisant à haute voix ces deux syllabes : "a-ki", on pourrait désigner, tant il y a d'homonymes en japonais, non seulement l'automne, mais aussi le vide, la vacance et l'attente, l'oisiveté sereine du temps libre ; ou bien tout au contraire la lassitude, l'épuisement, la fatigue d'une longue peine. Notions que deux kanjis différents dessineront à leur tour.
Et... et je crois préférable d'interrompre ici mes explications sans doute confuses d'élève appliquée et peu douée...
... mais c'est une très belle chose, vraiment, dans cette complexité si déroutante de l'écriture japonaise, qu'on puisse lire à la fois dans le livre d'images des superbes kanjis - si denses et si chargés de sens et d'élégance qu'ils sont chacun comme un vers de haïku -, et dans l'humble syllabaire, si riche, lui, d'homonymies miroitantes, aptes à dire aussi bien la saison des fruits que la jeune fille en fleurs, la mélancolie vague de ceux qui atteignent, après la peine des jours enfuis, l'automne de la vie, ou la patience sereine du passeur qui nous fera signe, tout à l'heure, de monter dans sa barque pour traverser le fleuve.
Ainsi, glissant d'une écriture à l'autre, "aki", l'automne, est tour à tour la fin de l'été, et le commencement de l'hiver, qui lui-même est l'attente, un peu triste et lasse, du printemps dont la ferveur fera naître l'été brûlant, où flambera de nouveau l'automne.
Cette façon de penser me plaît, qui désigne l'enfant nouveau-né du nom de la saison des morts, qui fait de ce qui doit finir l'attente d'un lendemain, de la feuille oisive et fanée le nid des récoltes nouvelles, de la grappe mûrie l'incendie des étés à venir, de notre lassitude le songe mélancolique d'où renaîtra la vie.
Il y a dans ce mot, "aki", comme dans bien d'autres mots japonais, le cercle fascinant de la brûlure des jours, de la douleur de disparaître et de la paix trouvée dans la douceur d'attendre. On goûte, en l'épelant, ce vin subtil de poésie et de méditation qui manquera toujours à notre "automne".