Youki
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Google consacrait hier son "doodle" au peintre Foujita.
Cela m'a fait repenser à Youki, la jeune Française qui s'appelait Lucie, et que ce Japonais avait rebaptisée Youki, qui veut dire "neige", au moment de la faire poser pour le grand Nu qui la représente, couchée sous un ciel étoilé, veillée par un loup et par un oiseau, dans un paysage glacé de montagne.
Pour toujours elle resta Youki.
Youki, la femme de neige, connaissait-elle le conte japonais où une déesse triste et solitaire, à la peau blanche et lumineuse, vient partager la simple vie d'un homme qu'elle a sauvé du froid, et en a des enfants bien vivants, avant de disparaître ?
Je n'en sais rien.
En tout cas Youki ne fut jamais tout à fait une déesse, mais elle resta longtemps la muse de Foujita, et, lorsque Foujita la quitta, elle était déjà devenue la muse de Robert Desnos, qu'elle ne cessa plus d'inspirer, jusqu'à sa tragique arrestation.
Elles m'ont toujours semblé si mystérieuses, ces femmes qui semblent ne pouvoir exister qu'auprès d'un homme qu'elles inspirent, s'épanouissant à ne vivre qu'ainsi, hors d'elles-mêmes, abolies et métamorphosées par les oeuvres qu'elles ont suscitées - créatures de créateurs.
Certaines inspiratrices, modèles ou compagnes, un beau jour s'émancipent et deviennent des artistes. Mais celles-là, celles qui, comme Youki, sont nées pour être muses, ne le pourront, ne le voudront jamais.
Car muses elles sont et elles ne sont que muses. Etre muse suffit à remplir leur existence. Il est rare qu'elles enfantent, souvent elles se vouent à mourir encore jeunes - et belles -. Et, s'il leur arrive de vivre vieilles, Hélènes des soirs à la chandelle, et qu'un jour, comme Youki, elles en viennent à se raconter, elles n'ont à raconter que leur vie de muse.
Une certaine vision du féminin, allez-vous dire, dont elles seraient l'expression concentrée ? Certes, mais il me semble qu'il y a encore autre chose, de plus étrange et de plus douloureux.
Comment naissent-elles donc, ces étranges vocations de muse ?
Comment devient-on Youki ?
Ce fut, pourtant, pour elle, si simple, à lire ses "Confidences", le petit livre où elle a noté ses souvenirs.
Il y fallait de la beauté, bien sûr, et elle en avait.
Beaucoup de solitude et d'abandon - notre Youki fut très tôt orpheline.
Pas mal de gourmandise aussi, et une passion décidée pour la glace, puisque sa première rencontre avec le monde des artistes se fit par l'intermédiaire d'un jeune homme qui l'avait invitée, dans le métro, à venir déguster... une glace. "Je ne pus résister", écrit-elle...
Et, surtout, ce long désert gelé, tout au fond de son être, ce besoin de se perdre dans la tiédeur des autres, qui lui a fait remarquer, en conclusion de son livre :
"Je ne parle que de mes amis. Ils m'ont apporté et m'apportent encore cette chaleur sans laquelle je ne peux rien faire.
Marcel Proust disait qu'il n'aimait pas l'amitié parce qu'elle fait perdre du temps, mais il [...] devait faire son oeuvre. [...] J'ai du temps à perdre. C'est mon seul luxe. "
Voilà, je crois que Youki a tout dit dans ses Confidences : une muse, c'est une femme de neige, une créature de miroirs et de glace, qui se réchauffe au génie des autres, leur offrant en échange sa lumineuse blancheur pour qu'ils y inscrivent, comme sur une page toujours blanche et neuve, les rêves innombrables qu'ils ont à enfanter.
Et Foujita, qui, lui, connaissait parfaitement le conte japonais de la femme de neige - Youki onna -, avait si bien compris.