L'arbre et le grillage
On ne l'avait pas remarqué sans doute quand on avait posé le grillage. Il était si petit, à peine une touffe de feuilles dans l'herbe, peut-être même un simple gland que l'automne avait égaré sous la mousse. Et personne n'avait pris la peine de l'arracher. Ou bien il était déjà là, jeune pousse incertaine et fragile, mais le tronc mince était à un peu de distance de la clôture, et on n'avait pas eu le coeur de l'abattre.
Puis il avait grandi, il avait forci, n'ayant pas d'autre choix que de s'appuyer sur le fer qui lui mordait la peau mais soutenait son élan.
Il était devenu finalement un arbre accompli, le plus beau, le plus grand de la haie, le plus chargé d'oiseaux et de nids pépiants.
Il y avait dans son écorce tant de blessures, tant de plaies corsetées par la ligature de métal.
L'acier lui était entré dans la chair et il s'était fiché peu à peu tout au fond de son être comme un os aigu.
C'était un arbre étranglé, un arbre dans les fers, mais qui n'en élevait que plus haut son libre et léger feuillage,
semblable à bien des hommes :
de ce qui l'opprimait faisant le support de sa vie,
de ses morsures nourrissant son écorce,
de sa douleur faisant un tronc solide,
fermement s'appuyant sur ce qui le blessait.
Et nul n'aurait su dire,
depuis tant d'années qu'il avait remâché ce fer,
si le grillage était son mal
d'enfance et de toujours,
ou s'il était, de tous ses biens, le plus précieux.