L'art du temps
L'art du temps... c'est ce que j'ai pensé, une fois de plus, ce matin, en songeant qu'elle allait encore se terminer, cette "Folle journée" de musique dont les heures toujours si brèves s'étirent pourtant sur plus d'un jour.
L'art du temps, l'art dont la matière est le temps, voilà ce que c'est, pour moi, que la musique, et ce pour quoi elle me fascine.
L'art du temps, la musique - car elle seule sait compter chaque instant, chacune de ces pulsations vibrantes du monde qu'elle appelle des temps, pour leur donner leur place, précieuse et minutieuse, dans l'écrin d'infini que leur fait le silence.
L'art du temps, puisqu'elle n'existe que dans l'instant, et que rien ne saurait la fixer, malgré l'illusion des enregistrements - mais qu'elle ne peut jamais mourir, vivant et revivant en chaque instrumentiste qui recommence, en chaque auditeur qui revient.
L'art du temps, vraiment - car elle seule sait reproduire le temps dans son rythme battant, dans l'élan qui le pulse au cercle toujours rejailli de sa perte incessante.
Et voilà pourquoi il est toujours si délicieusement douloureux d'assister à un concert. D'entendre la musique dans l'éphémère suspens où elle nous est donnée, avant de nous être reprise. Comme si on entrait dans la matière même de ce temps qui frappe et souffle et chante dans nos veines sa musique de vie, de mort et d'ici-au-delà.
Jamais je ne le comprends mieux que lorsque je vois, chaque année, Michel Corboz diriger encore son ensemble vocal, depuis la chaise où il se tient si vieux, comme un jeune musicien, parmi tant de jeunes musiciens que nous voyons vieillir.
Chaque fois comme si c'était la première fois. Chaque fois comme si c'était la dernière fois. Chaque fois comme si c'était l'unique fois.
C'était, tout à l'heure, le Requiem de Mozart. Où résonnent à jamais les dernières notes entendues en son coeur par celui qu'on jeta à la fosse commune.
C'était aujourd'hui.
Et c'était déjà hier.
Demain peut-être.