Le soldat sur la route
Il y a en ce moment au château de Nantes une exposition rare : on y montre les remarquables gravures de guerre réalisées par Jean-Émile Laboureur entre 1914 et 1918, pendant les années qu'il a passées "à l'arrière".
On le lui a bien reproché, en son temps, cet "arrière-plan" confortable qui fit de lui un spectateur.
L'exposition présente même la lettre très joliment tournée du bec qu'un corbeau de 14 adressa à l'état-major pour faire tomber l'artiste de son nid dans la boue des tranchées:
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Pourtant, j'ai rarement vu regard plus juste que ce regard du graveur "planqué", refusant l'héroïsme avec toute la vaillance des déserteurs-nés.
Qu'il observe, comme Prévert, les soldats innocents et coupables, au tir forain s'offrant eux-mêmes comme des cibles.
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Ou, plus profond encore, qu'il nous montre ce simple soldat s'en allant sur la route.
Seul, à la lisière maigrelette d'un désastre rageur, avançant sans détourner le regard sur l'étroit chemin de sa vie, sans savoir si mais avançant, parce qu'il n'y a rien d'autre à faire qu'à aller voir ailleurs quand tout flambe, il m'a mieux fait comprendre le "voyage" de Céline, sur cette route mince et rêche comme une corde qui ne mènera qu'à la nuit, mais qu'on s'obstine à tenir jusqu'à la dernière culbute et le dernier fossé.
Il semble bien naïf, l'ami Apollinaire, dans son bel uniforme. Surtout bien conformiste.
Il en faut du courage pour préférer la vie, dans la foule des héros.
Il en faut, de la force, pour avancer, solitaire et léger, du côté des vergers, quand le monde veut gronder.
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