La mare
Il faisait si froid ces jours-ci.
Chaque matin et chaque soir, moi qui me hâtais de foncer quelque part, je passais devant eux qui n'allaient nulle part, je courais devant eux qui attendaient toujours, posés sur la glace de la mare, communiant immobiles dans la même patience.
Qu'attendaient-ils, ainsi groupés ? Que l'eau dégèle, libérant les poissons d'en-dessous aussi immobiles et figés qu'eux-mêmes ? Qu'un grand vent de printemps tout chargé de pollens et d'insectes les emporte à nouveau, en long V de victoire, jusqu'au bord des nuages ? Ou simplement que la tiédeur revenue les autorise enfin à nager, à aimer et à cancaner, à dépenser comme de petits soleils cette énergie qu'ils tentaient, pour durer dans le froid, de contenir en eux ?
Tout cela à la fois, sans doute.
Ils attendaient patients, car il faut bien attendre, quand pour survivre on doit se tenir immobile, se serrer comme un poing sur sa propre chaleur, et refermer ses ailes et replier son coeur, à se faire oublier de la mort aux yeux blancs, ce hibou qui s'abat sur tout ce qui remue.
Ils attendaient ensemble, car on n'a jamais jamais pu le passer seul, quand le monde est de glace, le pont tremblant de givre qui mène au lendemain.