Rien sans peine
L'inscription ornait un de ces pavillons de petite banlieue que les métropoles d'aujourd'hui promettent à la démolition.
Rien sans peine...
Les lettres de fer semblaient trembler de rouille, de froid et de vieillesse. Comme ceux qui vivaient encore là.
C'était le temps où les maisons de banlieue parlaient, où elle racontaient de modestes histoires de réussite et d'espérance, où elles s'appelaient "Sam suffit", "Mon rêve" ou "do mi si la do ré". Le temps où l'on bâtissait soi-même son petit pavillon ouvrier pour que les enfants en héritent. Le temps de l'Ecureuil et des Castors et du Crédit Foncier. Le temps où l'on croyait dur comme fer forgé aux lendemains qui chantonnaient que la peine en valait la peine
mais qu'on n'a rien sans peine...
Dans les périphéries lointaines où se terrent aujourd'hui les modestes demeures du bonheur populaire, qui donc irait encore écrire cela, au fronton de son pavillon à crédit?
Ce n'est pas que la peine ait disparu. Ce n'est pas non plus que la peine n'en vaille vraiment plus la peine. C'est plutôt qu'elle est devenue toute honteuse et anxieuse, tout à fait silencieuse, la pauvre peine des gens de peu. Qu'elle a cessé de chantonner et de fanfaronner, en serrant ses gros poings d'ouvrière. Et qu'elle tremble à le voir s'approcher de ses maisonnettes de paille, de ses maisonnettes de bois, de ses maisonnettes de brique, le grand diable goulu que l'on tire par la queue pour qu'il se tienne coi, le jeune loup aux dents longues qui a nom "avenir".