Le souffleur de verre

Publié le par Carole

Le souffleur de verre
Je n'avais jamais vu cela.
Le grain de pâte grise s'éveillant transparence en tournant dans la flamme.
La boule transparente grandissant sous le feu comme une fleur naissante.
La fleur mûrie enflée arrondissant ses flancs au souffle caressant d'un long roseau d'acier.
Le ventre rond du fruit se pressant dans un moule de bronze pour s'enfanter lui-même.
Et les pinces de fer lui sculptant au forceps une taille de guêpe et un fin col de cygne pour en faire sur la table la carafe de cristal où se boira le vin, où trempera le ciel.
Je n'avais jamais vu la matière s'éveiller dans le feu, sur le fer et le bronze, au souffle sûr et mesuré d'un homme qui jouait comme on rêve sur sa flûte vivante.
 
Non, tout cela, je ne l'avais jamais vu. Mais en regardant tout à l'heure travailler le jeune souffleur de verre qui nous montrait son art, j'ai cru que j'étais revenue aux premiers temps du temps. Dans l'antique saison où se firent les noces de l'homme, du feu, de l'air, et de la terre des métaux et des sources.
Et je me suis souvenue que chaque objet de notre monde, même le plus récent, même le plus frivole, même le plus savant, est né alors.
Et qu'il est né, autant que d'un besoin, bien plus que d'un besoin, d'un rêve.
De ce rêve très ancien, continué jusqu'à nous, que filèrent ces hommes, assis face à un feu sur la terre pigmentée, qui jouaient de la flûte en caressant le fer, en écoutant les sources, en regardant le ciel. De ce travail de ces hommes, patients et obstinés, qui apprirent lentement à façonner les songes.

Publié dans Fables

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N
Premiers créateurs, que tu fais vivre sous nos yeux. Comme ils devaient chercher, expérimenter, s'émerveiller, se désespérer.
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L
Ton texte recrée ce monde infiniment délicat des souffleurs de verre. Et nous laisse, rêveurs, de ce miracle aux formes inventées comme des bulles. Si ancien, si beau!
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C
La pâte de verre, c'est bien de la pâte humaine et vous le dites magnifiquement.
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R
Remarquable hommage à la création humaine ...
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M
observé en orfèvre aussi bien que ces hommes executant leur travail avec passion!
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A
Tes mots sont aussi envoûtants que le travail de ces hommes qui façonnaient les songes, ton texte comme un récit initiatique...
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Q
Que j'aime tes impressions Carole !<br /> J'ai vu travailler des souffleurs de verre... je les ai admirés. Mais la prochaine fois, c'est à ton texte que je penserai.<br /> "De ce travail de ces hommes, patients et obstinés, qui apprirent lentement à façonner les songes."<br /> Magnifique !!!
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M
Magnifique présentation d'un travail sublime. Le rêve devient réalité au gré du souffle et l'objet unique prend forme. Dans ma région nous avions deux cristalleries royales.. qui ont dû fermer.
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A
Quel texte magnifique, Carole... Pour rebondir sur ce que tu 'écrivais, l'univers, dans son immense sagesse, t'a confié cette tâche : nous enchanter par la beauté de tes mots et des idées qu'ils évoquent... Dire qu'il y a eu des souffleurs de verre ici dans la région et que je les ai manqués. Je n'ai jamais vu cette merveille qu'à la télévision.
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J
Ah suis allée voir cela non plus... j'adore ce métier d'art, la bouche et la savoir faire de la main... c'est vrai que ça parait... "vieux jeu"...pourvu que longtemps encore on est de ces travailleurs-là... merci, JB
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