Le souffleur de verre
Je n'avais jamais vu cela.
Le grain de pâte grise s'éveillant transparence en tournant dans la flamme.
La boule transparente grandissant sous le feu comme une fleur naissante.
La fleur mûrie enflée arrondissant ses flancs au souffle caressant d'un long roseau d'acier.
Le ventre rond du fruit se pressant dans un moule de bronze pour s'enfanter lui-même.
Et les pinces de fer lui sculptant au forceps une taille de guêpe et un fin col de cygne pour en faire sur la table la carafe de cristal où se boira le vin, où trempera le ciel.
Je n'avais jamais vu la matière s'éveiller dans le feu, sur le fer et le bronze, au souffle sûr et mesuré d'un homme qui jouait comme on rêve sur sa flûte vivante.
Non, tout cela, je ne l'avais jamais vu. Mais en regardant tout à l'heure travailler le jeune souffleur de verre qui nous montrait son art, j'ai cru que j'étais revenue aux premiers temps du temps. Dans l'antique saison où se firent les noces de l'homme, du feu, de l'air, et de la terre des métaux et des sources.
Et je me suis souvenue que chaque objet de notre monde, même le plus récent, même le plus frivole, même le plus savant, est né alors.
Et qu'il est né, autant que d'un besoin, bien plus que d'un besoin, d'un rêve.
De ce rêve très ancien, continué jusqu'à nous, que filèrent ces hommes, assis face à un feu sur la terre pigmentée, qui jouaient de la flûte en caressant le fer, en écoutant les sources, en regardant le ciel. De ce travail de ces hommes, patients et obstinés, qui apprirent lentement à façonner les songes.